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Naissance de Jésus
Naissance de Jésus
5. Conclusion
Dans les analyses que j’ai exposées, en suivant les travaux des spécialistes, il y a beaucoup d'hypothèses et de suppositions (je ne l’ai pas caché). Elles ne sont pas gratuites ; elles se fondent sur des indices et sur une étude rigoureuse des textes. Il n'en demeure pas moins qu'on ne peut pas les présenter comme des certitudes ; on ne sort jamais du plus ou moins probable. Personne ne peut reconstituer les événements. Il n'y a peut-être rien d'historique dans l'ensemble de ces récits qui seraient, alors, des romans à thèse, ce qu'a soutenu Charles Guignebert. Et, il se peut que pour construire leurs récits, les évangélistes aient repris de nombreux éléments historiques, comme le pense Xavier Léon-Dufour. Nous n'en savons et n’en saurons jamais rien. En tout cas, ce n'est pas l'exactitude historique, mais le message à transmettre qui importait aux évangélistes.
De leur côté, les exégètes contemporains ont tendance à ne pas s’interroger sur les faits en eux-mêmes : ils s’intéressent plutôt, à la manière dont les rédacteurs des évangiles les arrangent et les éclairent, autrement dit à la manière dont ils mettent en scène des événements réels ou fictifs (au fond peu importe dans cette perspective). Leurs récits reprennent et modifient de thèmes connus pour exprimer leur message propre, et, dans une ligne qui se réclame de Derrida, il faut les comprendre à partir de leur rapport avec d'autres textes, plus précisément en s’attachant aux écarts ou aux différences qu'ils introduisent. Par rapport aux lectures classiques, il s'opère un déplacement, voire un renversement, considérable : le sens ne se situe pas dans les événements que raconte le texte, mais dans le texte lui-même, dont la manière dont il est construit et agencé.
En contraste avec les incertitudes quant aux événements et à leur déroulement, le message de ces textes paraît clair. Ce qui a amené certains théologiens dans les années 50-70 à dissocier le message du récit, à garder la prédication en écartant la narration. Ainsi André Malet, dans la ligne de Rudolf Bultmann, voit dans les récits de Noël, « une manière mythologique (que nous ne pouvons plus faire nôtre) de traduire la foi (que nous faisons nôtre) en Christ. On peut retenir l'intention du récit, tout en refusant sa forme ». On pourrait parler de démythisation (même si Malet, dont la démarche est plus complexe, récuse ce terme et ce qu’il recouvre) : éliminons le mythe pour ne garder que le sens qu'il entend transmettre.
Depuis quelques années, une autre attitude prédomine. Elle insiste beaucoup sur la nécessité du mythe. On ne peut pas le supprimer ni le remplacer. Il fait surgir un monde, un monde non pas de faits et de choses, mais de sens, de valeurs dont il fait percevoir la saveur. Il ne fournit pas des informations sur des événements ou des objets (croire cela, c'est tomber dans la mythologie et régresser de la saveur au savoir). Il fonctionne comme des poèmes ou des paraboles qui éveillent et suscitent en nous des réalités qu'aucun autre mode d'expression ne peut faire surgir. La philosophie depuis Platon jusqu'à Hans Jonas a beaucoup utilisé le mythe ; elle y voit un langage spécifique approprié pour tout ce qui va au delà du constat, pour tout ce qui touche non aux choses mais à l'existence. Il ne s'agit pas tant d'un monde autre que d'une autre dimension du monde. On nous invite donc à recevoir le mythe en tant que tel, c'est à dire en sachant qu'il s'agit d'un mythe, sans le transformer en mythologie, mais sans non plus le faire disparaître.
J'illustre cette attitude par une comparaison musicale. Prenons La flûte enchantée de Mozart. Cet opéra contient un message de tonalité maçonnique (la victoire de la lumière ou des Lumières, qu’incarne Zarastro, sur les ténèbres séduisantes de l'obscurantisme représentées par la Reine de la Nuit), qu'il met en scène dans une histoire fantasmagorique. Un littéraliste ou un fondamentaliste assimile mythologie et réalité ; il affirme et tente de démontrer que les choses se sont bien passées ainsi et que l’histoire racontée est conforme aux événements arrivés. La démythisation voudra se passer de l'histoire pour ne retenir qu'un message qui, du coup, devient exsangue et sec. La plupart des auditeurs évitent aussi bien la mythologie que la démythisation. Ils entendent à travers l'histoire et sa musique, sans la tenir pour un reportage sur des faits, un message qui ne peut être dit autrement. La flûte enchantée fait vibrer, palpiter le message de certains courants maçonniques du dix-huitième siècle et nous permet de percevoir son attrait, sa force, peut-être aussi quelques-unes de ses faiblesses. L'opéra de Mozart apporte plus que n'importe quel exposé analytique pour la compréhension des idéaux maçonniques de cette époque, même si, en tant qu'histoire, il s'agit d'une légende, d'un mythe, voire d'une fiction. Il en va de même pour les récits évangéliques concernant Noël.
En contraste avec les incertitudes quant aux événements et à leur déroulement, le message de ces textes me paraît fort et clair. Ils nous disent que Jésus représente un tournant dans notre histoire spirituelle. Il sème, il inaugure, il met en route un nouveau monde et une nouvelle humanité (autrement dit une manière différente de vivre notre humanité). Cette nouveauté, encore balbutiante et clopinante comme un bébé, il appartient à chacun de nous de l’accueillir dans notre existence, de la concrétiser dans notre époque, de la faire grandir, se fortifier et se développer, ce qui est possible avec l’aide et sous l’impulsion de l’Esprit. Vivons Noël non pas comme la commémoration plus ou moins folklorique d’un événement du passé, mais comme l’ouverture et l’élan vers l’avenir que Dieu prépare et auquel il nous appelle.
André Gounelle
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