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Résurrection et vie éternelle

 

1. Mort et au-delà dans les cultures et les religions du monde

1. L'être humain devant la mort

À de très rares exceptions près, les êtres humains se sont toujours souciés de la mort et de ce qui la suit. À peu près partout, dans toutes les régions habitées de notre terre, et de tout temps, à n'importe quelle des époques que nous connaissons, l’histoire des religions, des cultures et des mentalités nous conduit à faire trois constatations.

1. L'être humain sait qu'un jour sa vie terrestre se terminera et il y pense. Il envisage et attend son décès assez rarement dans la confiance et la sérénité, parfois avec seulement une pointe d'inquiétude, le plus souvent avec beaucoup d'angoisse, même quand il ne veut pas se l'avouer. Il est possible que cette conscience de devoir mourir se rencontre aussi chez certains animaux, nous l’ignorons. Elle est en tout cas présente chez l’immense majorité, pour ne pas dire la totalité des êtres humains.

2. L'être humain s'intéresse aux défunts. Il s'occupe et se préoccupe d'eux. Il en prend soin par le moyen de rites funéraires. Il prévoit un emplacement pour eux dans l'espace des vivants, en aménageant des cimetières ou en dressant des monuments commémoratifs. Il estime qu'il a des obligations à leur égard, et leur consacre une portion de son temps. Ces soins donnés au mort constituent très souvent des comportements de protection: d'abord contre le mort, pour le neutraliser, afin d'éviter qu'il ne revienne tourmenter les vivants; ensuite et aussi contre soi-même, contre ses émotions; ils aident à affronter et à traverser le deuil. Ils sont également des actes d'affection, de souvenir, qui entretiennent et prolongent les relations que l'on avait avec le défunt, qui le maintiennent d'une certaine manière présent dans le monde des vivants, qui empêchent qu'on l'en élimine totalement, qu'il tombe dans un complet oubli.

3.En général, l'être humain ne croit pas à la cessation de son être, à l'anéantissement de son existence. Il voit plutôt dans la mort une autre manière de vivre, un mode différent d'exister. Il n'admet pas une disparition ou une dissolution de sa personne. On constate cette croyance en un au-delà presque partout, en tout cas jusqu'à une époque récente. Il semble qu'actuellement, elle diminue et recule en Europe où des sondages font apparaître une proportion importante de gens qui croient qu’il n’y a plus rien après le décès. Il s'agit d'un fait relativement nouveau. On a voulu l'expliquer par l'allongement de la durée de la vie. Autrefois et naguère, on mourrait jeune et prématurément. L'immense majorité des défunts ont moins de 20 ans dans l'Antiquité et moins de 40 ans en 1900. Aujourd'hui fréquemment, la mort arrive après une longue existence; elle résulte d'un processus d'usure marqué par une baisse des facultés et parfois par une dégradation physique. Elle nous apparaît alors comme un aboutissement logique, non comme une interruption scandaleuse. Du coup, l'idée d'une survie perd de son sens, et s'impose moins. Cette explication intéressante et ingénieuse me laisse cependant perplexe : d'abord, parce que l'affaiblissement de la croyance en l'au-delà affecte l'Europe, mais non l'Amérique du Nord qui connaît pourtant le même phénomène d'allongement de la vie; ensuite, parce que pendant longtemps on a été plus sensible à la mort des vieillards qu'à celle des enfants, et qu'on s'est plus occupé de leur tombe et de leur sort que dans le cas de jeunes défunts.

En tout cas, si aujourd’hui on semble avoir, dans nos pays, moins de certitude concernant l’au-delà qu’autrefois, on continue à beaucoup s’interroger à son propos. Le montre avec évidence le succès impressionnant des livres qui parlent de communication avec des défunts ou qui traitent des expériences de gens qui au cours d’une maladie ou d'une opération chirurgicale se sont approchés de la mort, y sont presque entrés et ensuite sont revenus à leur vie. La question de l’après vie demeure, persiste, continue à nous travailler; elle n’a pas, loin de là, disparu.

2. Les représentations de l'au-delà

De manière un peu schématique, on peut ranger les diverses conceptions et représentations de l'après vie que l’on trouve dans le monde des religions en six grandes catégories.

1. En premier lieu, on trouve l’idée qu’après son décès, le défunt poursuit une existence amoindrie, appauvrie, fantomatique. Il devient une ombre sans consistance; il ne connaît ni grande joie ni grande tristesse. Il baigne dans une sorte d’ennui et d’indifférence à tout. On le plaint (le "pauvre"). Ce thème se rencontre aussi bien dans la Grèce ancienne (ainsi dans le chant 11 de l'Odyssée) que dans certains textes de l'Ancien Testament.

2. La seconde catégorie de représentations s’oppose à la première en ce qu’elle voit au contraire dans l'au-delà une vie exaltée, qui connaît une intensité supérieure à celle de la terre aussi bien dans le malheur (pour les damnés) que dans le bonheur (pour les bienheureux). Selon une formule que l’on emploie parfois dans les condoléances, mourir signifie partir pour un monde meilleur, et ceux qui restent sont plus à plaindre que ceux qui s’en vont.

3. Pour une troisième catégorie de conceptions, très courante en Afrique, le décès fait entrer dans une existence qui reste terrestre, en devenant invisible. Les défunts ne quittent pas le monde, toutefois on ne les voit plus. Ils continuent à agir, mais autrement, et il importe de s’entendre avec eux, d’entretenir des relations de bon voisinage. Ce qu'on appelle le culte des ancêtres établit le plus souvent des règles de convivialité entre les vivants et les morts qui se partagent le même espace.

4. Quatrièmement, pour beaucoup, le décès opère une dissociation entre les deux éléments qui composent notre être, et qui correspondent en gros au corps et à l'âme. Le corps périt, l'âme subsiste. Que devient-elle? Tantôt elle va vivre dans un monde céleste, spirituel ou métaphysique; tantôt, elle cherche un autre corps dans lequel elle se réincarne.

5. En cinquième lieu, on trouve l'affirmation de la résurrection de la personne. Le décès l'anéantit entièrement, corps et âme et, ensuite, un acte de Dieu, la recrée, souvent en même temps qu'il régénère l'ensemble de l'univers. Cette conception a probablement son origine dans le mazdéisme de l'Iran ancien; elle a beaucoup influencé les auteurs bibliques.

6. Enfin, sixième catégorie de représentations, certains croient que le décès entraîne la fusion de l'individu avec le tout. Durant notre vie terrestre, nous sommes semblables une goutte d'eau isolée de la mer. À notre mort, nous retournons à l'ensemble dont nous faisons partie et seules disparaissent les séparations et limitations qui faisaient de nous une individualité. De même rien de la goutte ne s'anéantit quand elle revient à l'océan, mais elle n'existe plus en tant que goutte. Des vulgarisateurs scientifiques, au demeurant très contestés, comme Charon et Thomas, ont essayé de donner actualité et vigueur à ce modèle en parlant de particules élémentaires d'énergie qui s'associent dans des combinaisons diverses et changeantes. Dans cette perspective, le décès d'un individu marquerait la dissociation des particules qui le composaient et qui vont désormais se regrouper autrement. Rien ne périt, donc, mais tout se retrouve ailleurs et différemment.

2. La Résurrection du Christ

Après cet aperçu sur les cultures et les religions, nous nous tournons maintenant vers le christianisme. Avant de voir les représentations qu'il propose de l'au-delà, il faut s'arrêter sur la résurrection du Christ, et réfléchir sur son sens et sur sa nature.

1. Importance de Pâques

Pour le Nouveau Testament, la résurrection du Christ, le jour de Pâques, est l'événement central de l'histoire de l'humanité, et elle a une importance fondamentale pour la foi chrétienne. "Si le Christ n'est pas ressuscité, écrit Paul aux Corinthiens*, notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine" (vaine dans le sens de vide, sans contenu). Depuis les toutes premières prédications chrétiennes, celle de Pierre à Jérusalem à Pentecôte ou celle de Paul à Athènes, jusqu'à aujourd'hui, les chrétiens n'ont cessé d'insister sur le caractère central, essentiel et décisif de la Résurrection. Longtemps, Pâques a été la plus grande fête chrétienne (aujourd'hui, Noël tend à la détrôner, à prendre la première place, mais pour des raisons qui n'ont rien de théologique ni de religieux).

2. Retour à la vie et Résurrection.

Pourquoi cette importance accordée à la résurrection du Christ? Certes, il n'arrive pas tous les jours qu'un mort revienne à la vie. Pourtant, cela se produit quelque fois. Pensons, par exemple, à ces opérations où un patient passe par une mort clinique avant d'être ramené à la vie. On a même envisagé qu'on pourrait parvenir à provoquer artificiellement la mort d'un individu, à le conserver en bon état, en le congelant, et plus tard à le ranimer. Il deviendrait alors banal d'être un ressuscité.

Du temps de Jésus, circulaient plusieurs histoires de morts revenus à la vie. En Grèce, on racontait qu'Orphée était descendu aux enfers (au séjour des morts) pour y chercher sa femme Euridyce et la ramener à la vie terrestre. En Égypte, il y avait le mythe d'Isis et d'Osiris. Dans l'Ancien Testament, on trouve des récits de résurrection : ainsi le prophète Elie rend la vie au fils de la veuve de Sarepta. Le Talmud nous apprend qu'au premier siècle de notre ère, certains rabbins passaient pour avoir le pouvoir de ressusciter. On se souvient qu'Hérode, entendant parler de Jésus, se demanda si Jean Baptiste, qu'il avait fait décapiter n'était pas revenu à la vie. Les Évangiles nous rapportent que Jésus a opéré des résurrections : celle de son ami Lazare, celle de la fille de Jaïrus, celle du fils de le veuve de Naïn.

Pourquoi dans ces conditions tellement insister sur l'événement de Pâques? Pourquoi affirmer qu'il est unique, décisif et fondamental? Pour le Nouveau Testament, il n'y a aucune comparaison, aucune commune mesure entre les faits ou les récits que je viens de mentionner et ce qui arrive au Christ trois jours après sa crucifixion. Dans un cas, nous avons des retours à la vie naturelle, dans l'autre le surgissement d'une vie surnaturelle.

Le retour à la vie naturellereprésente l'objectif que poursuit la médecine. Elle veut rendre au malade la santé qu'il a perdue et lui permettre de vivre aussi normalement que possible. Il en va de même pour les résurrections opérées par les prophètes, les disciples, ou par Jésus lui-même. Le miraculé retourne à ses occupations habituelles, il retrouve la vie qu'il menait auparavant. Lazare a repris son travail, sa place à son foyer; il a vécu, il a vieilli et il est mort. La fille de Jaïrus a grandi, s'est probablement mariée et eu des enfants; elle a vécu, elle a vieilli et elle est morte. La résurrection se présente ici comme une guérison particulièrement spectaculaire. Elle rétablit le cours d'une existence accidentellement interrompue, elle n'en change pas la nature.

Lesurgissement d'une vie surnaturelle, voilà ce qu'entendent annoncer les récits de Pâques. Après sa résurrection, Jésus ne revient pas à son existence passée. Il apparaît et disparaît, il se manifeste et s'éloigne de manière toujours mystérieuse. Certes, les évangiles soulignent fortement la réalité physique et matérielle de la résurrection. Jésus mange et boit. On peut le toucher; on trouve son tombeau vide. Le Ressuscité n'est pas un fantôme inconsistant ou une illusion qui s'expliquerait pas quelque phénomène psychique. Toutefois, les évangiles insistent encore plus sur la transformation intervenue. Ses compagnons ont de la peine à reconnaître Jésus et à l'identifier. Ainsi Marie Madeleine dans le jardin qui le prend d'abord pour le jardinier; ainsi les disciples d'Emmaüs qui cheminent avec lui, l'écoutent, et ne découvrent qu'après que c'est le Christ qui est avec eux; ainsi les disciples qui pêchent dans la mer de Tibériade qui ne le reconnaissent pas tout de suite. Remarquez que dans ces trois cas, c'est par la parole, quand il se met à parler que l'on reconnaît le Christ : d'où l'idée que le ressuscité se manifeste par et dans la prédication. Le ressuscité échappe aux lois et aux limitations humaines; il entre dans une pièce dont les portes sont fermées. Il n'aura plus à mourir. Après sa résurrection, sa personne revêt une autre dimension et sa présence a un caractère surnaturel.

3. La signification de la résurrection du Christ.

Larésurrection du Christne constitue pas seulement une guérison qui permet le retour à la vie physique habituelle. Elle ne se borne pas à un phénomène de cadaver redividus (cadavre revenu à la vie). Elle ne se contente pas de réparer un accident, d'annuler une anomalie, de rétablir l'ordre normal des choses. Elle représente bien autre chose : le surgissement dans notre monde d'une forme de vie nouvelle et originale qui vient de Dieu, et qui dépasse nos possibilités naturelles. On pourrait parler de la vie eschatologique, ou de la vie du Royaume. Cette vie incarnée en Jésus est ouverte et offerte à ses disciples qui dans la foi commencent à y entrer; elle fait d'eux des êtres nouveaux.

Telle est la signification de la résurrection du Christ pour la foi. À Pâques, la vie divine (venant de Dieu) à laquelle tous les hommes sont appelés, fait son entrée dans le monde.

3. Les conceptions chrétiennes de l'au-delà

Pour le Nouveau Testament, la vie éternelle commence dès maintenant, grâce à la résurrection du Christ à laquelle nous participons par la foi. Que le Nouveau Testament qualifie cette vie d'éternelle signifie qu'elle ne s'arrête pas à notre décès. Alors que se passe-t-il, qu'y a-t-il après la mort? A cette question, les chrétiens ont donné des réponses différentes que je range en cinq grandes catégories.

1. La conception spatiale

La première, élaborée au Moyen Age, a fortement marqué la culture occidentale. Elle se caractérise par une représentation spatiale ou topographique de l'au-delà, dont on affirme qu'il comprend trois lieux: l'enfer, le purgatoire et le paradis. La question de l'après vie se pose donc ainsi: quand l'homme meurt, c'est à dire quand il sort de l'ici-bas, qu'il le quitte, vers où va-t-il se diriger, dans quel endroit ira-t-il? Trois itinéraires possibles se présentent. Ce que la tradition catholique appelle "le jugement particulier" qui intervient au moment même de la mort ou juste après, décide de celui qu'il va prendre.

1. Le premier chemin conduit à l'enfer les méchants, les mauvais. Ils y souffrent, ils y subissent des tortures, que certains auteurs décrivent avec une imagination et une délectation fort suspectes. Il n'y a pour eux aucun espoir. Quand on entre en enfer, on n'en sort jamais, on y séjourne définitivement. Il existe une gradation ou une hiérarchie entre les damnés; en fonction de la gravité de leurs fautes, leurs supplices sont plus ou moins terribles, et ils se répartissent entre les divers "cercles" de l'enfer.

2. La deuxième route, qu'empruntent les bienheureux et les saints, aboutit au Ciel ou au paradis; on y connaît la béatitude, où y contemple Dieu, et on y jouit de la compagnie des anges et des saints. De même qu'en enfer, quand on y a été admis, on y demeure à toujours (mais là personne ne s'en plaint), et il y a une hiérarchie : selon ses mérites, ses œuvres et ses vertus, on se trouve plus ou moins près de Dieu.

3. Enfin, pour ceux qui ne sont pas assez bons pour mériter le Ciel, mais pas assez mauvais pour qu'on les envoie en enfer, il existe un troisième itinéraire avec deux étapes. La première les amène au purgatoire, où ils subissent des souffrances qui constituent à la fois une peine et une purification. Ils y restent plus ou moins longtemps selon les cas et en sortent afin de se rendre, dans une seconde étape, au paradis, jamais en enfer. Il n'y a aucune incertitude quant au sort des âmes du purgatoire; elles arrivent toutes, en fin d'un parcours plus ou moins long au ciel, à l'état de salut et de béatitude.

Cette première catégorie de représentations appelle trois remarques.

- D'abord, elle se fonde entièrement sur un principe de rétribution. Chacun reçoit une récompense ou un châtiment proportionnel à ce qu'il a fait durant sa vie. Les mérites acquis ici-bas décident de la place qu'on occupe dans l'au-delà. Comme l'ont souligné les Réformateurs, on est très loin de la proclamation évangélique du pardon (ici, tout se paie), et du salut gratuit.

- Ensuite, l'au-delà ne s'inscrit pas dans la perspective d'une transformation de l'univers à la fin des temps, du surgissement de la nouvelle terre et des nouveaux cieux qu'annonce l'Apocalypse. On ne parle pas de la venue du Royaume de Dieu, mais du déplacement individuel du défunt qui fait mouvement d'un lieu à l'autre, qui change de place dans une structure fixe. Le christianisme du Moyen Age ne sait pas très bien que faire du jugement dernier et de la résurrection générale; il ne peut pas les supprimer à cause des textes bibliques qui en parlent, mais en les maintenant, il introduit une incohérence assez grave dans son système de représentations.

- Enfin, cette topographie de l'au-delà apparaît aujourd'hui peu crédible. On ne peut pas imaginer, comme au Moyen Age, un paradis qui se situerait au dessous de la voûte du ciel, ou un enfer dans les profondeurs souterraines de la terre. Il s'agit d'une manière de voir les choses qui date vraiment d'un autre âge.

2. La conception temporelle

Une seconde catégorie de représentations, elle aussi ancienne, a été dans les année 50, reprise et défendue par des théologiens francophones, principalement Oscar Cullmann et Philippe Menoud, qui se situent dans ce qu'on appelle la théologie de l'histoire du salut.

Ils critiquent sévèrement les représentations spatiales que nous venons de voir. Ils les accusent de n'avoir pas de fondements bibliques, de venir tout droit du paganisme, gréco-romain. Ils leur reprochent de nier la radicalité de la mort, d'en faire seulement un passage, une mutation et une métamorphose. Ils soulignent que pour les Écritures, principalement pour l'Ancien Testament, le décès ne représente pas une transformation de l'être, mais sa destruction, sa totale disparition, son anéantissement. Les grecs, qui croient en l'immortalité de l'âme affrontent sereinement le décès. Ainsi Socrate, condamné à la peine capitale par ses juges, boit la ciguë, et meurt paisiblement entouré d'amis avec qui il devise et plaisante. La mort, au contraire, épouvante l'homme biblique, il la redoute et se débat contre elle. Ainsi Jésus prie pour qu'elle lui soit épargnée. Abominablement supplicié sur la croix, il crie son désespoir: "pourquoi m'as tu abandonné?". Le grec pense que la mort délivre l'âme du poids et de la prison que représente pour elle le corps; tandis que pour le croyant biblique, le corps et l'âme forment une unité indissociable. Le décès les atteint l'une et l'autre, et il entraîne la destruction totale de l'être, la cessation de toute forme de vie. Il nous plonge dans le néant. Le message de la résurrection ne signifie pas qu'une partie de notre être échappe à la mort, mais que Dieu nous recrée à partir de rien, qu'il va faire resurgir un être qui n'existait plus.

Dans cette perspective, nos auteurs vont parler de l'au-delà en termes non pas topographiques, mais chronologiques, distinguer des "temps" et non des "lieux" différents. La destinée d'un chrétien se déroule, selon eux, en trois moments successifs.

1. La première période est celle de la vie actuelle où, dans la foi, il se trouve au bénéfice de la résurrection du Christ à Pâques et où il attend son retour à la fin des temps. L'au-delà entre à Pâques dans notre monde et y agit, mais il n'a pas encore tout envahi et tout modifié; il n'a pas absorbé l'ici-bas. Dans l'existence croyante, la vie éternelle commence à se manifester et à agir. Elle la travaille et la transforme en partie; mais elle n'a pas encore éliminé la mort. Sur terre, le croyant se trouve entre un "déjà là" (ce que le Christ lui a déjà donné, le pardon, la grâce, le salut), et un "pas encore" (le croyant n'est pas encore totalement sanctifié, la terre n'est pas transformés, il vit une tension entre le "vieil homme", l'homme d'avant sa conversion, qu'il est encore, et la "nouvelle créature" qu'il a commencé à être, mais qu'il n'est pas complètement).

2. À notre décès, commence un second temps. Le croyant ne vit plus de la vie de la terre, mais pas encore de celle du Royaume. Il se trouve près du Christ, entre ses mains, dans un état supérieur à celui de sa vie terrestre, mais qui n'est pas l'état final. Cet état intermédiaire, Cullmann, reprenant une image que Calvin avait condamnée, le compare à un sommeil (un sommeil peuplé de beaux rêves, précise-t-il). Il y a sur cet état intermédiaire des débats : est-on conscient ou non? Se repose-t-on ou a-t-on une activité? Les avis sont partagés. En tout cas, on attend le retour du Christ, un peu comme les âmes du purgatoire attendent leur entrée au paradis, mais sans souffrir; le sort des morts est meilleur que celui des vivants (la mort m'est un gain, écrit Paul*).

3. À la fin des temps, s'installera le Royaume, et arrivera ce monde nouveau où Dieu sera tout en tous. À ce moment aura lieu la résurrection. Les croyants revêtiront un corps nouveau, leur personne sera reconstituée, et ils mèneront une existence nouvelle dans un cosmos régénéré, existence qui n'aura évidemment pas de fin. Ainsi, vivants et morts attendent les uns comme les autres, mais dans une situation différente, la venue du Royaume qui fera de l'au-delà une réalité accomplie.

Sur cette seconde catégorie de conceptions, je fais quatre remarques.

- Premièrement, elle présente, comme la première, des incohérences. On souligne avec force que la mort anéantit l'être humain entièrement, qu'il forme un ensemble qu'on ne peut pas diviser en parties, mais on admet pour les croyants, un état intermédiaire de latence où l'âme subsiste indépendamment du corps.

- Deuxièmement, elle implique une solidarité entre le sort de l'individu et celui du cosmos. La vie éternelle prend place dans un monde complètement renouvelé. Ce qui pose un problème de crédibilité ; cette transformation de l'univers à la fin des temps relève aussi d'idées d'une époque révolue, et on ne voit guère comment nous pourrions la prendre à la lettre.

- Troisièmement, Cullmann et Menoud opposent fortement les idées de la culture grecques (qu'ils ont tendance à unifier et à caricaturer) à celles du monde biblique (plus variées qu'ils ne le disent). Ils estiment que d'un côté, nous avons des représentations humaines, de l'autre la révélation divine. Mais ils oublient, d'une part, qu'il existe quelques rares passages bibliques qui vont dans le sens de l'immortalité de l'âme et, d'autre part, que le thème de la résurrection des corps vient du mazdéisme iranien d'où elle a pénétré en Israël. Leur conception, si elle s'inspire beaucoup plus du Nouveau Testament que la spatiale, simplifie cependant beaucoup les données bibliques et oublie que souvent des influences culturelles les ont fait naître ou les ont marquées.

- Quatrièmement, Cullmann et Menoud parlent surtout des croyants, de ce qui leur arrive. Qu'en est-il des incroyants? Cullmann répond qu'on n'en sait rien et qu'on ne peut pas répondre à cette question. Menoud suggère que le salut sera universel. Il remarque que lorsque l'apôtre Paul parle des sauvés, il emploie soit l'aoriste (ceux qui sont en train d'être sauvés, qui sont sur le chemin du salut), soit le parfait (ceux qui sont sauvés, dont le salut est accompli, achevé). Pour les perdus, on trouve l'aoriste, jamais le parfait, ce qui veut dire, selon Menoud qu'il y a un espoir pour eux. On peut imaginer que la prédication aux morts, mentionnée par la première épître de Pierre, s'adresse aux incroyants dans l'état intermédiaire. En tout cas, Menoud reproche aux "sectaires" qui refusent la rédemption universelle d'ajouter "l'odieux au ridicule", et il affirme que "ni le Nouveau Testament ni les anciennes confessions de l'Église n'ont fait de la damnation un article de foi".

3. L'approche existentielle

 Après ces représentations spatiales, puis temporelles, je passe à un troisième type de discours chrétien que je qualifierai d'existentiel. Dans la vie éternelle, dans la résurrection, dans l'au-delà, le théologie existentielle ne voit pas un ailleurs, un lieu différent, ou un futur, un autre temps, mais une réalité présente, actuelle, quelque chose qui dans la foi nous arrive ou se produit en nous, ici et maintenant. Il s'agit d'une dimension que prend notre existence, d'une qualité qu'elle reçoit dans sa rencontre avec le Christ. Bultmann, sans aucun doute de beaucoup le meilleur représentant de ce troisième type, insiste beaucoup sur l'affirmation de l'apôtre Paul: "vous êtes ressuscités avec le Christ et en lui par la foi" (Col. 2/12). Paul ne situe pas la résurrection dans un avenir lointain après le décès, ou à la fin des temps; il n'écrit pas au futur : "vous ressusciterez", "vous deviendrez un jour des ressuscités". Il affirme au présent: "vous êtes des ressuscités". Bultmann commente : "en un sens, le croyant a dépassé la mort, il est déjà mort et ressuscité". Dans la foi, nous vivons au présent la résurrection. Elle s'accomplit dès maintenant en nous et pour nous. Spirituellement, le croyant se trouve déjà dans la vie éternelle.

Il n'en demeure pas moins que la foi ne le dispense pas de la mort physique et biologique, qu'il doit en passer par là et que la question de ce qui arrive après le décès continue donc à se poser. Toutefois, selon Bultmann, cette question a perdu pour le croyant son acuité; elle ne le préoccupe plus ni ne l'angoisse plus. Car la présence de Dieu dans son existence actuelle lui donne confiance et assurance pour l'avenir. Il sait que Dieu ne l'abandonnera pas, que la relation établie dans la foi ne cessera jamais. Autrement dit, la vie éternelle vécue au présent comporte nécessairement une dimension future. Toutefois, Bultmann estime que ce futur ne peut pas se décrire; on ne le connaît pas, on ignore comment il sera, on n'a pas les moyens d'en parler. On sait seulement qu'il appartient à Dieu, et cela suffit. Il faut remarquer qu'à la différence des apocalypticiens de son époque, Jésus, dans les évangiles, se garde de dépeindre et la vie future et le Royaume. Il les évoque par des comparaisons, des images, des paraboles, qui suggèrent, mais ne représentent pas ni ne dévoilent. Non seulement Jésus ne brosse pas un tableau de l'existence dans l'au-delà, mais il défend de s'en faire une image. Bultmann voit deux raisons à cette interdiction.

- D'abord, quand l'être humain essaie d'imaginer la vie éternelle, il ne fait que projeter ses désirs, ses aspirations et transposer ce qu'il connaît. Les descriptions de l'au-delà sont toujours des transfigurations idéalisées de l'ici-bas. Comment pourrions nous représenter une existence fondamentalement différente de celle que nous connaissons? Nous n'en avons pas les moyens. Le Nouveau ne dit pas comment sera la vie éternelle, parce que nous ne pouvons pas nous la représenter.

- Ensuite, les idées, les représentations, les théories sur l'au-delà deviennent souvent des prétextes pour se dérober aux urgences du présent, pour masquer le caractère décisif de l'instant que je vis. Les spéculations nous détournent des réalités et des tâches immédiates à accomplir. On préfère bâtir un système sur les fins dernières de l'être humain que de s'interroger sur soi-même, sur la manière dont on vit aujourd'hui. On développe des croyances et des doctrines plutôt que de se convertir, de s'engager, de se donner, de faire confiance. La rencontre avec le Christ se fait aujourd'hui, elle ne se situe pas dans un avenir lointain. La vie nouvelle surgit et nous mobilise maintenant; on ne doit pas la repousser à plus tard. Calvin disait que les chrétiens ne doivent pas être comme des gendarmes qui ne pensent qu'à leur retraite (gendarmes signifie soldat) et qui du coup oublient les missions présentes. Nous vivons sur cette terre, c'est ici-bas qu'il nous faut incarner l'évangile. En pensant à autre chose, à l'au-delà, nous nous réfugions dans des spéculations au lieu de faire ce qui nous est demandé.

Pour le courant existentiel, le Nouveau Testament affirme le fait qu'il y a une vie après la mort, mais ne donne aucune indication sur ce qu'elle sera. Le croyant sait qu'il a un futur, mais il ne peut dire que la manière dont la vie éternelle s'inscrit dans son présent et l'affecte. Il ignore la forme qu'elle prendra plus tard, tout en ayant la conviction qu'elle ne cessera pas ni ne se terminera avec son décès.

4. Le néant

J'en arrive à une quatrième position, plus récente et moins fréquente dans le christianisme. On ne la rencontre presque jamais avant notre siècle. Seuls quelques penseurs catholiques et protestants peu nombreux la défendent, mais des sondages montrent qu'elle est assez répandue parmi les fidèles, les pratiquants des Églises et certains de leurs ministres en tout cas en Europe, même s'ils ne l'expriment pas. Cette quatrième réponse nie qu'il y ait un au-delà; elle ne croit pas à quelque chose qui suivrait l'existence terrestre. Elle estime que la mort met un point final à notre existence personnelle et que le croyant n'a pas à attendre et à espérer quelque chose qui viendrait après, qui lui ferait suite. Elle pense que le Nouveau Testament se sert de l'adjectif "éternel" pour désigner une qualité ou une dimension de la vie actuelle, et non pas pour parler d'un mode d'être qui surgirait ou se prolongerait au delà de notre décès.

Les défenseurs de cette thèse font valoir, à l'appui de leur position, trois arguments.

1. Premièrement, ils soulignent la discrétion et le silence de la Bible qui ne parle pas ou très peu de l'au-delà. Si on compare son enseignement avec celui des grandes religions de l'Antiquité, le contraste apparaît très fort. Ces religions s'intéressent presque exclusivement à deux choses: à ce qui se passe dans le monde des dieux (dans l'Olympe ou dans ses équivalents); à ce qui arrive à l'être humain après son décès. Que ce soit dans le monde gréco-latin ou en Égypte ou à Babylone, et aujourd'hui dans la spiritualité tibétaine, on a de longues description de l'entrée dans l'au delà; on sent que c'est une préoccupation majeure. Au contraire, la Bible s'en désintéresse. Elle parle surtout de la terre et des événements qui s'y déroulent. Elle annonce que Dieu agit, intervient, s'incarne dans l'histoire des hommes; elle invite à une nouvelle manière d'exister dans ce monde-ci. Elle propose une religion de l'ici-bas; elle ne nie certes pas l'au-delà, auquel tout le monde croit à l'époque où elle est écrite, mais elle ne lui accorde pas d'importance; elle ne s'en soucie pas véritablement.

2. Deuxième argument, l'affirmation d'une vie après la mort ne posait guère de problèmes autrefois, on la trouvait partout; elle semblait aller de soi. Il n'en va plus de même aujourd'hui. Les développements de la science, en particulier de la biologie, lui enlèvent toute crédibilité. En la défendant, en voulant la maintenir, les Églises, les chrétiens déconsidèrent l'évangile, l'associent à des croyances dépassées, le rendent solidaires de superstitions devenues insoutenables, et masquent le message spirituel qu'il nous adresse, l'invitation à vivre autrement, à trouver en Christ une orientation et un sens pour notre existence présente.

3. En troisième lieu, ces négateurs chrétiens d'une vie après la mort reprennent les critiques adressées à cette croyance par certains marxistes et psychanalystes.

Ainsi, les marxistes lui reprochent d'entraîner des conséquences sociopolitiques désastreuses. En effet, prétendent-ils, le croyant n'accorde qu'une importance secondaire et une valeur relative à ce monde; il ne s'y engage guère. Pour lui, l'essentiel se situe ailleurs; l'attente et la préparation de la vie éternelle l'absorbent. Au lieu de se révolter contre les malheurs et les souffrances du temps présent, il s'y résigne assez facilement parce qu'il espère des compensations futures. Je crois cette critique fausse. L'histoire nous montre, au contraire, que l'attente d'un au-delà a souvent mobilisé les croyants, et leur a donné élan, ardeur et courage pour les combats et les travaux de ce monde. Elle les a empêchés de se résigner ou de se soumettre, en les arrachant au souci de leur vie et de leur confort personnels.

De leur côté, des psychanalystes ont soutenu que la croyance en la vie éternelle constitue un moyen pour l'être humain de refuser ses limites et de se donner une importance infinie. Le désir d'immortalité aurait un caractère narcissique et idolâtre. L'être humain s'imagine un au-delà chimérique, illusoire pour se masquer la fait qu'un jour il sera anéanti. Or, la sagesse serait d'accepter sa condition, de faire le deuil de ce désir d'immortalité. Là également, on pourrait opposer à cette thèse de nombreux faits; dans bien des cas, l'au-delà a conduit au contraire à une humilité personnelle, et à une attitude qui considère que tout ne se joue pas dans la vie présente, et que cette dernière n'est donc pas la valeur suprême. Il faut dans ce domaine se méfier des fausses évidences que donnent des raisonnements simplistes, à la logique plus apparente qu'effective.

5. La conception symbolique.

Je termine par une cinquième et dernière position que j'ai qualifié de symbolique. Je rappelle que symbolique ne veut pas dire irréel ou faux; un symbole c'est un mot ou une réalité qui renvoie à autre chose qu'elle-même, qui évoque une vérité qui la dépasse.

Cette cinquième conception part de la conviction que le salut annoncé par l'évangile signifie et implique que le décès ne constitue pas la fin de notre existence. Ce salut ne se réduit pas à la vie après la mort. Il a de multiples aspects. Dieu nous sauve de toutes les négativités qui pèsent sur notre existence et qui essaient de la détruire : de la négativité de la faute et de la culpabilité, de celle de l'absurde ou de l'insignifiance, de celle des puissances sociales, politiques et économiques du monde. Le salut veut dire le pardon, le don du sens, la libération. Il comprend également la victoire sur la mort. La résurrection des défunts ne résume pas à elle seule le message de l'évangile ni n'en constitue le centre, mais elle en fait partie intégrante, elle est un des éléments de ce centre. Ceux qui prétendent que le message évangélique ne concerne pas l'au-delà ont tort.

Ceci dit, il faut bien reconnaître que nous ne disposons d'aucun savoir sur ce qui suit le décès. Si on pouvait le connaître et se le figurer, ce ne serait justement pas un au-delà. Nous ne savons pas comment les choses se passeront, et ce qui arrivera. Les conceptions spatiales et temporelles ont le défaut de vouloir en dire trop. Bultmann a parfaitement raison quand il dénonce le caractère non seulement hasardeux et illusoire, mais pernicieux et pervers de toutes les représentations de l'au-delà. Pourtant, on ne peut pas se satisfaire du silence, ni se borner à l'affirmation du fait, sans rien dire de son comment, attitude que l'on pourrait illustrer par ces quelques vers d'un poème de Marie-Luise Kaschnitz que je cite d'après Hans Küng :

Croyez-vous, m'a-t-on demandé
A une vie après la mort ?
Et j'ai répondu: oui.
Mais alors je n'ai pas su dire
A quoi cela ressemblait
Là-bas.

À première vue, il y a beaucoup d'honnêteté et de sagesse dans ce propos. Il présente toutefois deux inconvénients. D'abord, quand on se contente ainsi de l'affirmation "nue" du fait, très souvent on donne, en particulier aux auditeurs de la prédication, le sentiment qu'il s'agit d'une parole vide, rituelle, sans contenu, prononcée pour la forme. Nous sommes des êtres de parole et ce qui ne s'exprime pas d'une manière ou d'une autre dans le langage disparaît de notre horizon, s'évanouit de notre existence. Ensuite, en se taisant, on crée un vide où viennent se loger des images et des superstitions de tout genre. Nos silences favorisent le succès d'une littérature de basse qualité qui n'est pas toujours inoffensive.

Il faut donc éviter deux pièges : d'abord, de parler de l'au-delà comme s'il était objet de savoir; ensuite de le passer sous silence. Entre ces deux écueils, cette cinquième réponse estime qu'il existe une voie indiquée par Bultmann et que Tillich a plus développée : la voie de l'évocation, autrement dit d'un discours qui ne présente pas une théorie, mais des symboles, explicitement reconnus comme tels, qui nous donnent ce que Calvin appelle "un goût", ou "un petit goût" de l'au-delà. Le Nouveau Testament utilise principalement deux symboles, celui de la résurrection des corps, et celui du Royaume. Il ne faut pas les prendre à la lettre, les interpréter littéralement, essayer d'en déduire une description de l'au-delà. La tradition chrétienne l'a parfois fait dans sa prédication, sa théologie et dans l'art qu'elle a inspiré; elle est alors tombée dans l'absurde. Mais si ces symboles ne dépeignent pas l'au-delà, on peut cependant en tirer quelques enseignements. Les partisans de cette cinquième réponse en signalent principalement trois.

1. Premier enseignement : la vie après la mort vient toujours d'un acte de Dieu qui nous la confère. Notre destinée et notre nature se terminent normalement par le décès. Il n'existe pas en nous quelque chose qui échapperait à la mort, qu'elle serait incapable d'atteindre et d'emporter. Le symbole de l'immortalité de l'âme, qu'à de rares exceptions près la Bible évite, a l'inconvénient de présenter la vie éternelle comme une qualité naturelle d'une partie de l'être humain et non pas comme un don qu'il reçoit de Dieu.

2. Le deuxième enseignement découle du symbole de la résurrection des corps, le plus fréquemment utilisé dans le Nouveau Testament. Il ne faut certes pas le prendre à la lettre, Paul nous l'interdit d'ailleurs en employant l'expression "corps spirituel". Cette expression, curieuse et déroutante (pour nous un corps est matériel), indique bien qu'il ne s'agit pas de la corporéité que nous connaissons, mais d'une corporéité d'une autre sorte que nous ne pouvons pas nous figurer.

Ce symbole du corps spirituel comporte, selon les partisans de cette cinquième réponse deux indications :

D'abord, le corps limite notre être, il marque une frontière entre ce qui est en dehors et qui n'est pas nous, et ce qui se trouve dedans et qui est nous. Dire que dans la vie éternelle nous aurons un corps spirituel signifie que notre finitude ne disparaîtra pas; elle continue et persiste dans la vie éternelle; nous y restons des êtres limités, comme dans la vie présente, par notre corps. Il ne faut pas concevoir l'entrée dans l'au-delà comme une sorte de divinisation qui nous ferait participer à l'essence divine. Nous sommes des créatures et le demeurerons.

Ensuite, le corps est ce qui nous rend reconnaissable, qui permet de nous identifier, qui nous donne un visage. Dire que dans la vie éternelle nous aurons un corps spirituel implique que notre identité ou notre personnalité ne disparaît pas. En effet, notre corps fait de nous des êtres distincts, séparés des autres par une frontière nette et formant une unité.

Cependant, en parlant de "corps spirituel", le Nouveau Testament souligne qu'une transformation profonde s'opère. On a beaucoup discuté au seizième siècle pour savoir si on ressuscitait avec le même corps que le terrestre ou avec un autre. Discussion assez vaine, qui veut précisément tirer un savoir de ce qui a une valeur symbolique. Ce que l'on peut dire, c'est qu'en soulignant qu'il s'agit d'un corps spirituel, Paul suggère que la vie éternelle ne consiste pas seulement dans le prolongement ou la continuation de la vie actuelle; elle est une autre forme d'existence. De la même manière, je vous avais dit que Jésus ressuscité ne revient pas à la même forme de vie qu'avant la Croix, sa résurrection représente le surgissement de la vie eschatologique.

 3. Du symbole du Royaume, de la nouvelle terre et des nouveaux cieux , on peut tirer un troisième enseignement, celui du caractère universel, cosmique de la vie éternelle. Elle ne concerne pas seulement l'individu, mais le monde tout entier. Le symbole du royaume rappelle que l'œuvre et le dessein de Dieu dépassent l'être humain, qu'il est le Seigneur et le sauveur de tout ce qui existe sur terre et dans le ciel. Il ne faut pas le restreindre à ce qui nous touche directement.

Voilà ce que cette cinquième position estime qu'on peut dire sur l'au-delà; voilà comment, elle caractérise ou précise ce "petit goût" que nous en donnent les symboles bibliques (car, je le répète, il ne s'agit nullement d'un savoir). On lui objecte parfois que ce n'est vraiment pas grand chose, à quoi elle réponde que c'est déjà beaucoup. En tout cas, elle affirme que cela devrait suffire pour nourrir et orienter aussi bien la prédication que la vie de la foi.

Conclusion

Je conclus brièvement. Dans ces cinq conceptions, je ne cache pas que le troisième et la cinquième me paraissent les plus solides, celles qui sont le plus fidèles à l'esprit de l'évangile et aussi les mieux pensées et argumentées intellectuellement.

Je termine par une question qui a été soulevée récemment par un théologien écossais, MacGregor qui a écrit un livre intitulé La réincarnation en tant qu'espérance chrétienne. Il fait remarquer, ce que François Vouga avait déjà souligné dans le livre que nous avons écrit en commun, que le Nouveau Testament, en particulier l'Apôtre Paul utilise pour parler de l'au-delà des images, des concepts et des idées qu'il emprunte à la culture ambiante, soit aux courants apocalypticiens du judaïsme, soit aux courant hellénisés du judaïsme et parfois même à la culture grecque. Il n'invente pas ou n'introduit pas des conceptions nouvelles; il se sert de celles qui existent. Il ne les reprend cependant pas telles quelles. Il leur fait subir des modifications, et des changements. La principale transformation qu'il effectue consiste à rapporter à Christ, à centrer sur Christ, à recadrer en Christ les représentations qu'il emprunte à la culture. De quelque manière qu'on la conçoive ou qu'on se l'imagine, la vie éternelle vient du Christ et par le Christ. Elle est son œuvre, il nous la donne et nous la recevons de lui.

D'où la question posée par MacGregor : ne pourrions et ne devrions nous pas faire la même chose avec le thème de la réincarnation ? Ce thème connaît actuellement un grand succès dans le monde occidental. Des sondages ont montré que 20 à 30% des européens et des américains qui pensent que le décès ne constitue pas le dernier mot de l'existence d'une personne se prononcent pour la réincarnation. Cette croyance se répand aussi parmi les chrétiens. En général, les théologiens et les pasteurs réagissent en disant que la réincarnation ne fait pas partie des représentations de l'au-delà que l'on trouve dans la Bible. C'est exact, mais MacGregor se demande si cette réaction convient bien, si elle est la plus appropriée théologiquement et pastoralement. Ne ferions nous pas mieux, dit-il, de faire la même opération que Paul avec les représentations de son époque, c'est à dire de la reprendre et de la transformer? Il faudrait lui faire subir deux modifications : d'abord, le recentrer sur le Christ, ensuite, la découpler de toute idée de mérite, de récompense et de châtiment, c'est à dire la comprendre dans le cadre de la grâce.

L'idée est intéressante. Est-elle réaliste? Je n'en suis pas convaincu. Il me paraît indiscutable que le Nouveau Testament emprunte beaucoup de choses aux cultures de son époque et que nous devons en tenir compte quand nous le lisons. Je pense, également, que la foi chrétienne peut s'exprimer de plusieurs manières, dans des conceptualités différentes. Enfin, je trouve que le christianisme doit faire un effort pour s'exprimer dans un langage contemporain, que trop souvent il se cantonne dans des formulations désuètes qui manquent d'impact et de pertinence. Cela irait dans le sens de la thèse de MacGregor. Mais, d'un autre côté, je constate aussi que la Bible n'a pas repris toutes les représentations de l'au-delà que l'on rencontre dans le Proche-Orient antique. Elle en a adopté et adapté certaines, et en a laissé d'autres. Tout langage, toute image n'a pas la capacité de dire l'évangile. La réincarnation peut-elle ou non le faire? Cette question, MacGregor ne se la pose pas vraiment, ce qui fait la faiblesse de son livre.

André Gounelle
(cours)

Notes :

* 1 Cor. 15, v. 14.

* Phil. 1, v. 21

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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