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Le peuple élu

 

Un Dieu partial?

La notion de "peuple élu" joue dans l'Ancien Testament un rôle tellement important qu'on a parfois l'impression d'un Dieu non pas impartial, mais partisan. Il se réserve à certains et se refuse aux autres. Il n'a pas la même attitude envers tous les humains et tous les peuples. Il a ses favoris. Il a des bien aimés et des moins bien aimés. Sur ce point, la religion d'Israël ne se distingue guère de celle de ses voisins : dans le Proche Orient ancien, toutes les ethnies s'estiment élues par un dieu; chaque dieu s'attache une terre et un peuple.

Un favoritisme limité

Toutefois, l'Ancien Testament donne quatre indications qui nuancent, et modèrent ce sentiment d'un favoritisme injuste.

1. L'élection de Dieu entraîne des exigences parfois écrasantes pour les juifs. Ils ont plus de commandements à observer et plus de sujétions que les autres êtres humains. Le jugement sera plus sévère à leur égard. Etre élu est une faveur, mais aussi une contrainte et une obligation.

2. L'élection comporte une mission au profit des autres. Dieu choisit Israël afin qu'il soit son témoin auprès de toutes les nations. L'élection d'Israël n'exclut donc pas les non juifs, elle a une portée universelle.

3. La doctrine de la création rappelle que la terre entière appartient à Dieu. Les prophètes mettent l'accent sur la justice de Dieu envers tous. Le peuple élu n'a pas le droit de maltraiter les autres. La création, la justice sont des valeurs antérieures et supérieures à l'alliance.

4. Un texte d'Amos (9/7) laisse entendre qu'Israël n'est pas le seul peuple élu : "N'êtes vous pas pour moi comme les éthiopiens, fils d'Israël, dit l'Éternel. N'ai-je pas fait sortir Israël du pays d'Égypte, comme j'ai fait sortir les philistins de Kaphtor et les syriens de Qir?". Ces peuples païens sont aussi l'objet d'une sollicitude particulière de Dieu. Il y aurait non pas une seule, mais plusieurs élections, à la fois analogues et différentes.

Des personnes élues

Le Nouveau Testament parle aussi d'élection, mais avec une différence importante : elle est toujours individuelle, jamais collective ou communautaire. Dieu choisit, élit des personnes, et fait alliance avec elles. On ne parle plus de peuple élu, mais d'hommes et de femmes élus indépendamment de leurs origines et de leurs appartenances. Chaque être humain entre en relation avec Dieu en tant qu'individualité unique, sans que Dieu fasse de différences en fonction de la catégorie ou du groupe auquel elle appartient.

Conjointement avec d'autres courants intellectuels ou spirituels de la spiritualité gréco-latine de l'époque, le Nouveau Testament conduit à penser en terme de personnes, d'individus, et non de peuple ou de communauté. On ne peut pas séparer les écrits et les thèmes bibliques de leur environnement.

Une assemblée, pas un peuple

Qualifier l'église de "nouvel Israël", comme le fait le Concile de Vatican 2, ou même de peuple de Dieu (expression très rare dans le Nouveau Testament) me paraît contestable.

Pour les courants majoritaires de l'Ancien Testament, il y a prééminence du peuple et le lien du fidèle avec Dieu passe par son appartenance à Israël. Au contraire, le Nouveau Testament met l'accent sur la personne à qui Dieu s'adresse, qui lui répond, et qui, ensuite, forme avec d'autres ce que le Nouveau Testament nomme une "assemblée" ou une "réunion"; c'est ce que veut dire le mot grec "Ecclesia", église. Une assemblée n'est pas un peuple; elle est plutôt, pour reprendre une expression du théologien unitarien américain James Luther Adams, une "association de volontaires".

Ce n'est pas la communauté ecclésiale elle-même qui est élue, mais les croyants qui la composent, même si Dieu les appelle à ne pas vivre isolément, à se soucier les uns des autres, à vivre fraternellement, à témoigner ensemble de l'évangile en se mettant au service des créatures.

Le dérapage

Affirmer que Dieu distingue, appelle ou choisit est une chose. Parler du "peuple élu" ou "des élus" en est une autre.

Quand on déclare "Dieu choisit", "Dieu élit", on proclame ce que Dieu fait; on insiste sur son initiative et son projet. Il est le sujet, le cœur et l'âme de cette affirmation. Au contraire, parler du "peuple élu" ou de la "personne élue" focalise l'attention sur celui qui est élu. Il est l'objet et le centre de cette expression. On passe de Dieu au croyant et on sacralise ce dernier quand on glisse de l'élection à l'élu.

Les réformés d'Afrique du Sud fournissent un exemple de cette dérive. La conscience d'être les élus de Dieu leur a donné un sentiment de supériorité. Elle les a conduit à l'orgueil, à l'arrogance et à l'inhumanité de l'apartheid. Ils avaient la conviction que s'attaquer à eux, c'était s'attaquer à Dieu; qu'étendre leur domination, c'était servir Dieu. Ils avaient oublié ce qui caractérise la foi réformée : soli Deo gloria, gloire à Dieu seul - et nullement gloire à ses élus.

André Gounelle
Évangile et Liberté, mai 2002

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot