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Grâce
Le mot “grâce” est familier à tous les chrétiens. On le trouve souvent dans la Bible, surtout dans le Nouveau Testament. Les Eglises l’utilisent beaucoup, en particulier dans leurs cultes. Au cours de l’histoire du christianisme, de grands débats ont eu lieu sur la grâce : ainsi, pour ne citer que les plus connus, au cinquième siècle entre Augustin et le moine Pelage; au seizième siècle, entre partisans et adversaires de la Réforme; au dix-septième siècle entre jansénistes et jésuites.
Même s’il nous est familier et s’il a une longue histoire, le mot “grâce” a besoin d’être défini. On l’emploie et on le comprend souvent de manière assez vague. Quatre indications permettront d’en préciser le sens.
1. La grâce : un don de Dieu
Par “grâce”, il faut entendre ce que Dieu nous donne, ce que nous recevons de lui. Les théologiens réformés de l’époque classique distinguent trois sortes de grâce.
D’abord, la “grâce générale” commune à tous les êtres humains. Dieu leur donne la terre, l’eau, l’air. Il met à leur disposition un monde habitable, qui contient ce dont ils ont besoin pour vivre, où ils peuvent trouver de quoi se nourrir, se vêtir, s’abriter, etc.
Ensuite, la “grâce spéciale” qui consiste dans le salut que Dieu donne en Jésus Christ. L’évangile, déclare Paul aux responsables de la communauté d’Ephèse (Actes des Apôtres, ch.20, v.24) est “la bonne nouvelle de la grâce de Dieu”. Dieu accorde aux croyants son pardon, il les délivre de la mort ainsi que de tout ce qui pèse sur eux et les asservit, il confère un sens à leur vie. Cette grâce suscite la foi qui la reçoit et qui en vit.
Enfin, la “grâce particulière”, c’est à dire le soin que Dieu prend de chacune de ses créatures. Il veille sur elles personnellement et dirige leur destinée. Il compte même les cheveux de leur tête. Certains croyants éprouvent très fortement ce sentiment d’être non seulement accompagné mais conduit à chaque instant par Dieu.
De ces trois sortes de grâce, la deuxième apparaît de beaucoup la plus importante. C’est elle qui définit et caractérise l’évangile. Certains théologiens protestants lui réservent le mot “grâce”, et écartent les deux autres. Ils estiment que de la première et de la troisième sorte de grâce, on ne peut et on ne doit rien dire. Certes, Dieu gouverne toutes choses, mais nous ignorons comment il procède; nous ne pouvons pas découvrir dans les événements qui se déroulent son dessein ni discerner ses interventions dans notre histoire. L’œuvre de sa “main gauche” pour reprendre une expression de Luther, nous reste cachée. Par contre, nous savons, parce qu’il nous l’a révélé, qu’en Jésus Christ, il nous sauve. Il nous faut nous en tenir à cette affirmation, qui suffit largement, et ne pas chercher ailleurs, dans d’autres domaines, l’action de la grâce divine.
2. La grâce, un bienfait
Parler de grâce signifie que quand Dieu nous donne quelque chose, il le fait toujours pour notre bien, il agit par amour pour nous.
Dans beaucoup de religions antiques, les dons divins ne sont pas des grâces, mais des obligations à remplir, des ordres à exécuter et des lois à respecter. Les divinités demandent des offrandes, des sacrifices. Elles imposent des devoirs. Elles gouvernent et jugent; elles maintiennent l’ordre du monde et leur domination plus qu’elles ne secourent, consolent ou apportent quelque chose à l’être humain.
Pour la Bible, Dieu cherche essentiellement à instaurer une relation de confiance et de communion avec ses créatures. Il veut faire alliance avec ses créatures, c’est à dire devenir leur allié, leur ami. En Jésus Christ, il se manifeste comme notre frère. Contre les représentations populaires d’un Dieu redoutable par sa justice et écrasant par sa majesté, la Réforme a souligné que la grâce caractérise l’attitude de Dieu à notre égard : ses dons sont toujours des bienfaits; ils nous libèrent et ne nous asservissent pas, mais nous libèrent. Dieu ne nous menace pas; il nous fait vivre.
3. La gratuité
Il y a une relation étroite entre grâce et gratuité. La grâce consiste toujours à donner quelque chose que n’a gagné ni mérité celui qui la reçoit. Toutes les Églises chrétiennes affirment que le salut est un don de Dieu, et non pas un salaire qui viendrait récompenser notre bonne conduite, nos bons sentiments, ou nos bonnes œuvres. Toutefois, la gratuité de la grâce est comprise de deux manières différentes.
Pour les uns, Dieu donne son salut à condition que l’être humain fasse un effort, manifeste sa bonne volonté, ou accepte de le recevoir. Cette thèse a donné naissance à la pratique des “indulgences”, qui a révolté Luther. On proposait aux fidèles un certains nombres de gestes de piété et de charité (parfois difficiles et couteux) dont on expliquait que Dieu tiendrait compte. Quand des prédicateurs déclarent que Dieu sauve et fait grâce à qui se repent et se convertit, ils adoptent une position analogue : il faut que l’être humain fasse quelque chose pour obtenir le cadeau de Dieu. Ici, Dieu ressemble à un magistrat qui accorde une remise de peine à un coupable en raison de sa bonne conduite. On pourrait aussi le comparer à un professeur qui donne à une copie une note supérieure à ce qu’elle mérite en tenant compte du travail et des progrès de son élève. Ainsi, dans le catholicisme classique et dans plusieurs courants du protestantisme, on se rallie à une gratuité relative et conditionnelle.
Au contraire, d’autres affirment la totale et absolue gratuité du salut. L’être humain ne peut acquérir aucun titre à l’indulgence divine; il est incapable de la mériter si peu que ce soit. Dieu nous accepte bien que nous soyons inacceptables, et non pas seulement si nous arrivons à nous rendre un peu plus acceptables. Cette position a été défendue chez les protestants par les Réformateurs Luther et Calvin, et chez les catholiques par les jansénistes. Dieu nous fait un immense cadeau que nous n’avons qu’à recevoir. Notre salut est entièrement son œuvre et son affaire, nullement la nôtre. Comme l’écrit Paul, “vous êtes sauvés par grâce...cela ne vient pas de vous, c’est le donc de Dieu” (Eph.2/8).
4. La grâce mobilise
On a reproché à l’affirmation de la totale gratuité du salut d’avoir des implications désastreuses. Sûr du pardon de Dieu, n’ayant aucun effort à faire, l’être humain va se croire affranchi de toute règle; rien ne l’empêchera de vire selon ses fantaisies, passions et instincts. Des catholiques, mais aussi des protestants dissidents ont reproché aux Réformateurs de prêcher une grâce facile, peu exigeante, et d’annoncer un évangile “à bon marché” en évacuant des disciplines nécessaires.
Les Réformateurs ont vivement protesté. Pour eux, si la grâce nous décharge du souci de notre salut, par contre elle change profondément notre vie; elle nous engage au service de Dieu et du prochain.
D’abord, elle oblige à penser et à mener autrement sa vie. Le croyant découvre que sa vérité la plus profonde, le sens de son existence, la valeur de sa personne ne résident pas en lui, ne dépendent pas de ce qu’il est ni de ce qu’il fait, mais lui viennent de Dieu. Il n’a pas la maîtrise de lui-même : vivre par la grâce veut dire découvrir le bonheur et la joie de dépendre d’un immense amour qui nous précède, nous entoure et nous conduit. Ainsi, la grâce nous décentre de nous-mêmes, de la préoccupation de notre moi pour nous ouvrir radicalement et totalement à Dieu et aux autres.
Ensuite, la grâce met au travail et rend militant. On agit et on s’engage non pas pour gagner le salut, mais parce qu’il nous a été donné, par reconnaissance et amour. Nos efforts, notre bonne volonté, nos œuvres ne contribuent pas à notre salut, ne le conditionnent pas, mais en découlent. Ils sont non pas semences mais fruits (les fruits de l’Esprit dit Paul), non pas causes mais conséquences.
Ainsi, pour les uns, nos œuvres préparent la grâce divine et nous avons alors une religion fortement centrée sur la loi et le devoir, même si elle insiste sur le don de Dieu. Pour d’autres la grâce nous donne l’envie, la force et la possibilité de vivre comme Dieu le désire, et nous avons une religion fondée sur l’amour, mais un amour actif, qui oriente toute la vie et l’activité du croyant.
André Gounelle
Le Cep, novembre 1991.
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