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Anthropomorphisme

 

Le mot « anthropomorphisme » est apparu assez tard dans la langue française ; il date, semble-t-il, du début du 18ème siècle. Il désigne toute représentation de Dieu qui le fait ressembler, physiquement, émotivement ou mentalement à un homme, ce qu’on fait, par exemple, quand on parle du bras de Dieu, de sa colère ou de sa jalousie.

L’anthropomorphisme a mauvaise presse ; on le considère comme une erreur philosophique et comme un blasphème religieux. Il rend Dieu humain, il ne perçoit pas sa divinité, il oublie sa radicale altérité, il nie la différence entre Dieu et l’homme. On l’accuse de tous les maux. Il serait responsable des superstitions, des idolâtries, des déviances religieuses.

Même s’il y a incontestablement du vrai dans ces réquisitoires, je propose de les atténuer ou, plus exactement, de les nuancer. À mon sens, tout ce que nous disons de Dieu est anthropomorphe. Je n’en tire nullement la conclusion qu’on doit se taire, se réfugier dans le silence, refuser tout discours sur Dieu, comme le voudrait l’apophatisme. Il me semble que nous devons plutôt assumer l’anthropomorphisme, en ayant conscience qu’il a à la fois des vertus et des limites. Il n’est ni entièrement faux, ni entièrement vrai. Le rejeter totalement est tout autant une erreur que l’utiliser sans critique. Il importe de le relativiser.

Trois raisons me semblent le justifier en partie.

Premièrement, il maintient la cohérence de l’être. L’être présente à tous les niveaux des structures voisines, ce qui nous permet de le penser. Certes, il y a des diversités, de la pluralité ou de la multiplicité ; la cohérence n’implique pas l’uniformité de tout ce qui existe. Entre Dieu et nous, ou entre nous et l’inanimé, il y a des différences considérables ; on peut parler de ruptures ou de sauts. Il y a, cependant, aussi des continuités, des similitudes, et surtout des catégories communes. J’apprécie chez les penseurs du Process leur recherche de ce qu’on pourrait appeler une ontologie générale, qui s’applique à toutes les réalités, depuis celle de Dieu jusqu’à celle du plus léger souffle d’une brise marine, pour reprendre une expression de Whitehead. En opposition avec les théologies de l’altérité et de l’exception ou de l’hapax ontologique, ils ne traitent pas Dieu comme un excentrique ou un extravagant en marge des règles communes. Bien sûr, Dieu diffère des hommes. Il a cependant une parenté et une solidarité fondamentales avec eux. Même s’il n’a pas le même mode d’existence et les mêmes fonctions que nous, son être et son action peuvent et doivent se penser le plus possible selon les modèles qui servent pour tous les êtres.

Deuxièmement, l’anthropomorphisme correspond à un certain nombre de données bibliques. Ainsi l’affirmation de Genèse que l’homme est créé à l’image de Dieu (Gen.1, 26-27) ou à la déclaration de Paul à Athènes : « nous sommes de la race de Dieu » (Actes 17, 28-29). De même, en christologie, Jésus est l’image de Dieu (« celui qui m’a vu a vu le Père » dit-il dans Jean 14/9), ce que j’exprime en disant que le Dieu vivant montre son visage et se révèle dans l’homme authentique, c’est-à-dire en Christ. Le Dieu biblique n’est pas le Tout Autre (il est radicalement autre, ce qui ne revient pas au même), il est l’Emmanuel, le Dieu proche de nous. Ceci n’annule évidemment pas la distance entre Dieu et les hommes, soulignée par d’autres passages ni ne doit faire oublier que le péché consiste à vouloir être comme Dieu. Il n’en demeure pas moins que les textes qu’on vient de citer légitiment un anthropomorphisme qui se garde d’absolutiser ou de diviniser l’être humain parce qu’il ressemble à Dieu. Le problème à résoudre est de penser ensemble l’éloignement de Dieu et sa proximité, sa différence et sa ressemblance, sa transcendance et son incarnation.

Troisièmement, Thomas d’Aquin a posé en principe que : « les choses connues sont dans le sujet connaissant suivant le mode de celui-ci » (ST 2/2 q.1, art.2). De même selon Kant l’esprit humain perçoit le réel à travers ses propres catégories. Nous avons une perception anthropomorphe de la réalité que ce soit celle du monde ou celle de Dieu (comme le chien en a une perception canine et le chat une perception féline). Dans la mesure où la vérité ne consiste pas à décrire l’objet dont on parle, mais exprime notre relation avec cet objet, il n’y a pour nous de vérité qu’anthropomorphe. Kant parlait, en ce sens, d’un « anthropomorphisme symbolique », qui concerne le langage et les concepts que nous utilisons pour parler et penser, mais non ce dont on parle ou qu’on pense. Ainsi, l’anthropomorphisme est à la fois assumé et relativisé

Il y a un bon et un mauvais usage, un emploi légitime et une utilisation abusive de l’anthropomorphisme. Le limite me paraît être la suivante : il ne faut jamais confondre l’image, la représentation, la conception que nous avons de Dieu, même très élaborée théologiquement, même très conforme à la Bible, même très profonde spirituellement avec la réalité même de Dieu. Le décalogue, à mon sens, n’interdit pas d’avoir des images de Dieu, mais de les adorer, d’identifier Dieu avec ce qui le représente.

 

André Gounelle
extrait de cours (2000)

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot