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« Priez sans cesse », écrit l’apôtre Paul. Conseil impossible et insupportable ? Tout dépend de ce qu’en entend par « prière ». Est-elle quelque chose que nous faisons ou quelque chose que Dieu fait en nous ?

 

Prière et bain de soleil

 

« Je ne sais pas prier, je n’y arrive vraiment pas » m’écrit, un peu inquiète, cette toute jeune fille, fraichement émoulue d’un catéchisme qu’elle a intensément suivi et qui l’a profondément marquée. Quelques semaines auparavant, un pasteur chevronné au ministère rayonnant, que j’ai connu lors de ses études en théologie, m’avait confié, visiblement embarrassé : « je ne prie jamais » ; il avait ajouté avec une pointe d’autodérision : « sauf en chaire, au cours du culte, lorsque je prononce les prières que prévoient nos liturgies ».

Quand j’entends de tels propos, je m’interroge : qu’est-ce que mes interlocuteurs entendent exactement par « prière » ? Comment la comprennent-ils ? Je n’en sais rien, mais, à tort ou à raison, j’ai le sentiment qu’il sont, l’un et l’autre, plus ou moins victimes de la conception de la prière que m’a enseignée, il y a bien longtemps, ma monitrice d’école biblique : « tu joins les mains, me disait-elle, tu fermes les yeux, tu parles à Dieu, tu lui exprimes tes demandes en commençant par “mon Dieu, mon père” et tu termines en disant “au nom de Jésus Christ, amen” ». On peut prier de cette manière et je ne conteste nullement ceux qui procèdent ainsi. Je n’ai aucun mépris pour les « exercices » de piété ; ils peuvent réconforter, soutenir, voire vivifier certains, et alors ils ont du sens. Mais il faut reconnaître et accepter que pour d’autres, sans doute pour la majorité des croyants d’aujourd’hui, ils apparaissent artificiels ; ils représentent pour eux un fardeau et non un secours. Quand on les pratique peu, ou pas du tout, plutôt que de se sentir déficient ou coupable, il importe de réfléchir à ce qu’ils représentent et de réviser l’idée qu’on s’en fait.

En ce qui concerne la prière, quelques citations nous y aideront. Pour Emerson, ce n’est pas seulement « lorsque nous adressons nos requêtes à Dieu de manière audible et structurée que nous prions. Nous prions sans cesse », car les soupirs et les espoirs secrets de l’humanité sont autant de prières. Kierkegaard écrit qu’on croit trop souvent que prier, c’est parler ; or prier, affirme-t-il, c’est se taire et écouter, non pas « s’écouter parler, mais en venir à se taire, à demeurer dans le silence et l’attente jusqu’à ce que l’on entende Dieu ». D’après le prêtre catholique eurasien Panikkar, « celui qui prie ne parle pas ». La prière, déclare le théologien protestant Auguste Sabatier, n’est pas « la répétition de certaines formules sacrées, mais le mouvement de l’âme en relation avec Dieu ». Son contemporain le pasteur Charles Wagner précise qu’elle est l’ouverture de la pensée et de l’âme au « regard de Celui qui, seul, sait tout voir et tout comprendre ».

Pour ces auteurs, tous de grands spirituels, prier ne consiste pas - ou ne consiste pas seulement, forcément ni principalement – à mettre en parenthèses ou à part un moment spécial pour dire quelque chose à Dieu que ce soit en public (en chaire et dans une réunion d’Église) ou en son for intérieur (dans le secret d’une chambre dont on a fermé la porte, selon le conseil de Jésus). On prie quand dans ses occupations ordinaires, au milieu de ses travaux et activités, sans les interrompre, on se place devant Dieu, on prend conscience qu’il est présent et proche.

Je compare parfois les exercices de piété (cultes, sacrements, lecture de la Bible ou d’ouvrages d’édification, prière) à des bains de soleil. Tous les jours, nous bénéficions du soleil, de sa lumière et de sa chaleur ; et puis en été, en vacances, on va sur une plage pour bronzer. Les moments spéciaux de prière nous exposent à Dieu de même qu’au bord de la mer, on s’expose au soleil. Ils ont pour but de nous faire sentir plus vivement une présence, celle de Dieu, qui à chaque instant nous accompagne. Comme pour les bains de soleil, dangereux s’ils durent trop longtemps, il ne faut pas en abuser. Avez-vous remarqué que Jésus avec le « Notre Père » donne en modèle à ses disciples une prière extrêmement courte qui ne dure que quelques secondes ? Si les rites de piété ennuient ou importunent, si le bain de soleil se révèle fastidieux ou contre-indiqué, qu’on s’en dispense et qu’on cherche autre chose. On n’en bénéficie pas moins du soleil et Dieu n’est pas moins présent.

Au souci de ma jeune correspondante, j’ai répondu : « Ne vous en faites pas, personne ne parvient à bien prier. Quand vous regardez un beau paysage ou que vous écoutez une musique qui vous touche, vous vous sentez en contact avec quelque chose qui vous dépasse et vous émerveille ; vous avez, sans le savoir, prié ». À la mauvaise conscience de ce pasteur, j’ai répliqué : « en réalité, contrairement à ce que vous dites et croyez, vous priez beaucoup, car sans cesse vous référez à Dieu vos lectures, vos rencontres, vos activités ; tous les jours vous pensez à lui, vous travaillez pour lui ». À ceux, de moins en moins nombreux, qui sont assidus aux traditionnelles réunions de prière, j’aimerais dire : « si elles vous font du bien, fréquentez-les, mais n’accusez ni ne jugez ceux qui y sont allergiques. Ils sont aussi croyants et pieux que vous, même s’ils le sont autrement. Ils prient, eux aussi, mais différemment ».

L’apôtre Paul l’a écrit : nous ne savons pas comment prier, mais l’Esprit « intercède par des soupirs inexprimables ». Autrement dit : si nous ne pratiquons pas le rite appelé « prière », si nous n’arrivons pas à exprimer une prière en bonne et due forme, peu importe, Dieu prie en nous et nous rend priant chaque fois que son Esprit nous fait sentir sa présence.

André Gounelle
(Évangile et Liberté, décembre 2017)

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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