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La notion de progrès selon Tillich
En mai 1964, dix-sept mois avant sa mort, Tillich donne à l'université de l'Ohio une conférence sur "le déclin et la valeur de l'idée de progrès", dont le texte paraît en 1966, après son décès*. Il s'agit d'un des derniers écrits de Tillich sur l'interprétation de l'histoire et sur la notion, si importante chez lui, de kairos. Ce texte, qui reprend et développe quelques pages du volume 3 de Systematic Theology, fait partie de ceux qui, à mes yeux, témoignent de la continuité des orientations de Tillich durant toute sa vie. Il publie pour la première fois un article sur le kairos en 1922. Quarante deux ans après, il place la même notion au cœur de sa théologie de l'histoire; à la fin de son exposé, il a des accents de prédicateur désireux de convaincre et d'entraîner ceux qui l'écoutent. Il les appelle à ne pas laisser passer le kairos qui se présente, à y participer et à y contribuer*.
Dans cette conférence, que je vais commenter en me référant à d'autres textes, je retiens trois thèmes. D'abord, Tillich esquisse une histoire de l'idée de progrès. Ensuite, il souligne la juxtaposition et le mélange de progrès et de non progrès dans divers domaines. Enfin, il utilise la notion de kairos pour montrer à la fois la valeur et les limites de l'idée de progrès.
1. L'histoire de l'idée de progrès
Tillich distingue le concept et l'idée (nous dirions plutôt l'idéologie) du progrès. Qu'il se produise dans l'histoire humaine et dans la vie de chacun de nous, des passages d'un moins bien à un mieux, d'une situation insatisfaisante à une autre qui lui est préférable, personne ne le conteste. La possibilité d’un "pas en avant" (selon l'étymologie de progrès, pro gressus) conditionne une grande partie de notre activité qui vise toujours plus ou moins une amélioration de ce qui existe*. Le concept de progrès constate ce fait qui a son importance, car il manifeste une des caractéristiques fondamentales de l'être humain : sa capacité de dépasser le donné en fonction d'un projet*. S'il abuse ou mésuse de cette capacité, le progrès s'opérera aux dépens de son humanité.
Le concept se transforme en idée ou en idéologie quand on l'élève "au rang d'une philosophie de l'histoire"*. On voit dans le progrès la loi ou le principe qui éclaire l'ensemble de l'histoire humaine. Cette histoire serait un cheminement qui par paliers successifs et ascendants conduirait depuis un état inférieur jusqu'à un stade supérieur. Elle partirait de la brute primitive pour aboutir à une civilisation hautement raffinée. Elle irait de la misère au bonheur. Dans la formation et l'évolution de cette idée ou idéologie du progrès, Tillich distingue quatre moments.
Premièrement, elle trouve une de ses sources, peut-être la principale dans la religion biblique*. L'attente et la promesse eschatologique y tiennent une grande place. Le Nouveau Testament reprend et amplifie l'annonce prophétique de la venue du Royaume*. De nombreux théologiens, sous des formes diverses, développent l'idée d'une histoire qui se dirige vers un accomplissement final à travers des étapes successives. Contrairement aux cultures orientales, la civilisation occidentale, marquée par le christianisme, accorde beaucoup de poids et d'attention à l'avenir.
Deuxièmement, à partir de la Renaissance, cette importance donnée à l'avenir se sécularise avec les grandes utopies qui décrivent la société idéale à atteindre et à construire. Le développement de la science et de la technique, les théories de l'évolution* et aussi l'expansion coloniale européenne contribuent à imposer l'idéologie du progrès et lui donnent un contenu. Si bien qu'elle finit par apparaître indiscutable. Avec un brin de malice, Tillich note que si ses contestations de la doctrine traditionnelle de Dieu ou de Christ ne troublaient pas beaucoup ses étudiants américains des années 35, par contre sa critique de l'idée de progrès les faisait fortement réagir*.
Après cette apogée, qui lui confère le statut d'un dogme, dans un troisième moment, l'idée de progrès subit un fort ébranlement. En témoignent la proclamation par Nietzsche de la mort de Dieu, c'est à dire de la destruction de tous les systèmes de valeurs; la thèse du déclin de l'Occident soutenue par Spengler; les utopies négatives qui décrivent le monde futur comme cauchemardesque; l'existentialisme; l'expressionnisme, le cubisme et l'art abstrait qui mettent en valeur le démoniaque. Mais le déclin ou le recul de l'idéologie progressiste tient surtout aux deux guerres mondiales, à la montée des dictatures totalitaires, à la guerre froide et à la crise atomique*. "Au lieu de progrès", écrit Tillich, l'homme du milieu du vingtième siècle "parle de crise"*.
En 1964, avec beaucoup de prudence, Tillich laisse entendre qu'un quatrième temps s'amorce. Quelques signes semblent montrer qu'on sort d'un pessimisme excessif et que l'idée de progrès reprend une certaine crédibilité. Parmi ces signes, Tillich mentionne les avancées de la lutte contre le racisme, l'accroissement de l'indépendance nationale (je suppose qu'il fait allusion à la décolonisation), et l'ouverture grandissante de théologiens conservateurs (même du pape, précise-t-il) au dialogue interreligieux. Il s'agit de signes, et non de réalisations; néanmoins, ces indications semblent témoigner que l'attente et l'espérance d'un nouveau kairos restent vivantes chez Tillich*. À la fin de sa vie, il a le sentiment que des nouveaux commencements sont possibles, qu'on peut les discerner et y participer. Comme le signale Mircéa Eliade*, Tillich, dans ses derniers travaux, se préoccupe plus d'indiquer les nouveaux chantiers qui s'ouvrent que de clore et d'achever son œuvre.
Cette nouvelle situation culturelle demande que, pour éviter les impasses et les déceptions du passé, on entreprenne une réflexion de fond sur la valeur et les limites de l'idée de progrès.
2. Progrès et non progrès
Ma deuxième partie va porter sur cette réflexion que Tillich esquisse. Selon lui, dans la vie personnelle de chacun de nous comme dans le développement général de l'humanité, se mélangent constamment des éléments de progrès et de non progrès. Autrement dit, l'idée de progrès n'est pas dépourvue de pertinence; elle ne relève pas d'une pure illusion. Toutefois, elle ne permet pas de rendre compte de l'ensemble des phénomènes historiques, elle fournit une clef d'interprétation dont le champ d'application reste partiel et limité.
Elle convient bien dans le cas de la technique et de la science qui ne cessent de se développer et aussi dans celui de l'éducation (au sens d'acquisition de savoir et de savoir faire)*. Par contre, elle ne fonctionne pas là où l'engagement personnel ou existentiel joue un rôle prédominant, là où il s'agit plus de décider que de savoir. Tillich mentionne plusieurs domaines* où on ne peut pas parler sans réserves et nuances de progrès. J'en indique trois.
D'abord, celui de la morale. Elle demande qu'à chaque instant, on prenne parti, qu'on tranche à nouveau, comme si c'était la première fois. Elle n'est pas une affaire de connaissance ou d'expérience, mais de décision. Certes, il s'opère des maturations individuelles ou culturelles qui rendent nos options plus réfléchies, mieux informées (et souvent beaucoup plus complexes). Certes, les choix revêtent des formes différentes selon les époques et les situations. Ils ne se présentent pas aujourd'hui dans les mêmes termes qu'autrefois. Il n'en demeure pas moins qu'opter entre le bien et le mal relève d'une décision, c'est à dire d'un acte que le passé et le savoir peuvent éclairer, mais qu'ils ne déterminent pas. Rien n'est jamais définitivement acquis. Chaque acte, chaque personne individuelle représente un "nouveau commencement"*. L'obligation de choisir s'impose également à toutes les époques de l'humanité et à toutes les étapes de la vie, sans qu'il y ait supériorité ou privilège des plus récentes. "La décision morale qui vous est demandée, dit Tillich à ses auditeurs, est la même que celle qui était demandée aux hommes des cavernes avec toute leur rudesse". Nos connaissances et nos réflexions sont supérieures aux leurs; mais d'un point de vue strictement moral, elles ne nous rendent pas meilleurs - ni pires - qu'eux.
Tillich mentionne un deuxième domaine où la notion de progrès manque de pertinence : celui de l'art*. Rien n'autorise à déclarer le roman inférieur au gothique et le gothique inférieur au baroque. Certes, il arrive qu'un style ne convient pas ou ne convient plus pour un époque : bâtir des églises néogothiques au vingtième siècle n'a pas grand sens. Mais que le gothique soit aujourd'hui dépassé (parce qu'il correspond à une sensibilité qui appartient au passé et n'est plus la nôtre) ne signifie nullement qu'il a une qualité artistique moindre. Certes, on discerne à juste titre des développements et des gradations, des moments où un style atteint son épanouissement et d'autres où il s'épuise et dégénère. À l'intérieur de chaque style s'opère un mouvement de maturation (et en ce sens un progrès), puis de déclin. Par contre, on ne peut pas établir de hiérarchie entre les styles.
Il en va de même pour la philosophie. Bien entendu, aujourd'hui elle dispose de plus d'éléments d'analyse qu'autrefois et s'appuie sur une connaissance empirique du monde bien supérieure. À cet égard, il y a un certain progrès. Toutefois, la pensée philosophique ne se limite pas à l'analyse des données. Elle implique une réflexion sur l'être et sur l'existence où l'intuition, l'engagement et l'inspiration jouent un rôle décisif. Le savoir peut progresser, pas la sagesse. Ce qui fait que l'actualité et la pertinence d'un philosophe n'ont rien à voir avec le moment où il apparaît dans l'histoire. "Il n'y a pas, écrit Tillich, de progrès qualitatif d'Héraclite à Whitehead"*.
Dans de tels domaines, on pourrait allonger la liste, la situation paraît complexe. À certains égards, il y a bien des progrès, ce qu'indique, en dehors de l'accroissement quantitatif des connaissances, le thème de la maturation. À d'autres égards, la morale, l'art, la philosophie ne progressent pas; et, pourtant, il y a mouvement, évolution, changement. De même, le christianisme considère qu'on ne peut pas dépasser Jésus et aller au delà de ce qui nous est donné par lui et en lui. Et, pourtant, en même temps, il constate les progrès de l'histoire humaine et annonce un accomplissement qui sera forcément un progrès. Comment concilier tout cela?
De ces ambiguïtés, Tillich conclut que pour interpréter de l'histoire, il ne suffit pas d'utiliser une seule dimension, "l'unique ligne continue de progrès"*. Il ne veut pas nier ou éliminer la conception linéaire du progrès, mais la compléter, l'équilibrer et la corriger par une deuxième dimension, celle des "grands moments" ou kairoi.
3. Le Kairos
J'en arrive à ma troisième partie. Pour Tillich, la notion de kairos permet d'élaborer une philosophie de l'histoire qui échappe à trois impasses.
En premier lieu, à celle du conservatisme qui met en valeur le passé et refuse l'idée de progrès. Tillich en traite longuement dans ses écrits de la période allemande, avec ses analyses du romantisme politique où prédomine la puissance des origines. Par contre, il ne s'y arrête pas dans sa conférence de 1964, peut-être parce qu'il l'estime peu présent sur la scène américaine*. "L'Europe, dit-il, est menacée par son passé et par toutes les malédictions qui en résultent. Quant à l'Amérique, elle court le danger d'aller de l'avant sans se retourner en arrière". Faut-il comprendre que si on doit lutter en Europe pour l'ouverture vers l'avenir, il importe au contraire aux États-Unis de plaider en faveur du passé? Quoi qu'il en soit, selon le conservatisme le sens et la vérité se trouvent dans l'origine (dans un kairos fondateur passé). Ou bien, l'histoire maintient, transmet, restaure si nécessaire cette source originelle, et elle remplit alors bien sa fonction. Ou bien, elle introduit des changements, et ces modifications loin d'apporter un progrès, représentent une dégradation, et un égarement. On perpétue ou on régresse, on n'avance en tout cas pas. Le conservatisme nourrit tous les mouvements réactionnaires, qui refusent les évolutions.
La deuxième impasse caractérise le progressisme bourgeois. Tillich n'emploie pas le terme de bourgeois dans la conférence de 1964; je l'utilise ici au sens, fréquent durant la période allemande, de l'homme technique moderne*. Le progressisme bourgeois triomphe au dix-neuvième siècle en Europe et reste très répandu dans l'Amérique des années 30 à 60. Il voit dans l'histoire une marche en avant vers du toujours plus et du toujours mieux. Les choses et les gens s'améliorent dans un mouvement ascendant sans fin. On avance, et on considère qu'il est bien d'avancer, mais on ne sait pas pourquoi ni vers où, et on écarte cette question. On met l'accent sur une progression illimitée, sans aboutissement ni visée*. Ce qui a un double résultat négatif. D'abord ce progrès non contrôlé et sans finalité devient abusif, déséquilibrant et provoque des crises où, en quelque sorte, il se retourne contre lui-même*. Ensuite, il entraîne un vide spirituel, un manque de sens. Des gadgets de plus en plus nombreux et perfectionnés, voilà l'idéal où aboutit le progressisme bourgeois. Il a pour perspective un progrès vulgaire, utile mais insuffisant, incapable de donner de l'élan et de la profondeur à notre existence. Le progressisme bourgeois, forme dépourvue de substance, a beaucoup moins d'attrait et de puissance que le conservatisme réactionnaire qui offre des contenus*.
Tillich a plus de considération pour une troisième attitude, celle du progressisme utopique, pour qui, à un moment donné de l'histoire, "la nature essentielle de l'homme trouvera son accomplissement". Le progrès a ici deux caractéristiques. D'abord, il a un aboutissement et un contenu; il n'est pas une forme vide. Ensuite, il engage, il mobilise, il met au travail; il faut lutter pour qu'il se réalise. Le progressisme utopique a suscité des "passions qui ont bouleversé l'histoire". Il a nourri toutes les révolutions*. Néanmoins, il conduit, lui aussi, à une impasse. Il enthousiasme tant qu'il y a lutte. Quand il l'emporte, il entraîne déception, désillusion et désenchantement ("que la République était belle sous l'Empire" disait-on en France vers 1880). Il y a toujours un abîme "entre l'attente et la réalité", parce qu'aucune réalité conditionnée ne peut atteindre l'inconditionné*. S'installent alors le cynisme (terme qui désigne souvent chez Tillich ce que nous nommons plutôt le scepticisme) et le repli sur soi, la fuite hors de l'histoire.
Comment échapper à ces trois impasses? Tillich pense y parvenir grâce à la notion de kairos qui permet d'alimenter l'espérance sans condamner à la déception et qui propose autre chose que le choix entre le maintien du statu quo et un mouvement en avant sans but. Que faut-il entendre exactement par kairos? Dans sa conférence de 1964, Tillich répond : "un grand moment où quelque chose de neuf pourrait être crée"*. Dans cette définition, je relève quatre points.
Premièrement, du neuf peut surgir dans l'histoire. À certains moments s'opèrent des avancées. La notion de kairos suscite donc de l'espérance. À la différence du conservatisme tourné vers le passé, il ne s'agit pas de revenir à un paradis perdu originel, de maintenir des valeurs anciennes, mais d'inventer et d'innover.
Deuxièmement, ce neuf, écrit Tillich, "pourrait être crée". Le kairos n'apporte pas automatiquement ou inévitablement du nouveau*. Il donne la possibilité qu'il se produise, qu'on le crée. Le surgissement du neuf n'est ni nécessaire, ni inévitable. Le kairos se présente comme une opportunité à concrétiser, comme une offre ou une proposition à saisir. Il n'exclut nullement la possibilité d'un échec (tel que celui qui se produit dans les années 30 en Allemagne). Le kairos mobilise sans l'illusion d'un succès garanti. D'autant plus que le positif et le négatif se développent en même temps. Les capacités pour le bien et celles pour le mal grandissent de pair. Le temps du kairos augmente l'éventualité de catastrophes, ce que l'histoire des années 30 démontre cruellement. Le progrès, à cet égard, reste ambigu. L'apocalypse parle bien du déchaînement des puissances diaboliques au moment où le Royaume de Dieu s'approche et où sa pression s'accroît*.
Troisièmement, Tillich qualifie le kairos de "grand moment". L'histoire ne se déroule pas dans un mouvement continu et automatique. Il y a des époques plus denses et déterminantes que d'autres. Dans ces grands moments, on peut dire que le Royaume s'approche de nous. À la dimension horizontale du chronos, du temps de calendrier, s'ajoute donc une dimension qualitative liée à certains instants; elle est "pour un temps". Le même contenu dans des circonstances différentes peut correspondre ou ne pas correspondre à un kairos. Ainsi la proclamation de la justification par grâce a été un kairos lors de la Réforme; elle ne l'est plus dans le protestantisme d'aujourd'hui. Elle ne rencontre pas avec la même intensité et la même pertinence la situation spirituelle de l'époque.
Quatrièmement, Tillich parle de "quelque chose de neuf". Dans le Royaume, du neuf surgit, ou peut surgir, mais toutes choses ne deviennent pas nouvelles. Les forces démoniaques sont surmontées; elles ne sont cependant, pas anéanties, elles ont seulement été écartées, et peuvent revenir. De plus, il y a victoire sur un point, sur un des champs de bataille, pas sur tous. Autrement dit, le kairos apporte un accomplissement toujours partiel. En avoir conscience évite la sacralisation ou l'absolutisation de certains événements. On ne peut pas dire : "Le Royaume de Dieu est là", mais "il s'est approché"*. A la différence de la tendance de Hirsch pour l'heure allemande, Tillich ne fait jamais une idole du kairos que représente pour lui, dans les années 20 et 30, le socialisme. Aussi la déception qu'il subit, bien que profonde et douloureuse, n'entraîne pas l'effondrement et la destruction que provoque l'échec des utopies.
La notion de kairos affirme contre le conservatisme que des progrès se produisent dans l'histoire. À la différence du progressisme bourgeois, elle ne fait pas du progrès une avancée automatique et vide; il y a des moments privilégiés, qui ont un contenu substantiel, et qui se présentent comme des occasions qu'il importe de saisir, mais qu'on peut aussi manquer. Enfin, le kairos se distingue du progressisme utopique en ce que les accomplissements qu'il apporte restent toujours partiels : ils se produisent dans un domaine, pas dans tous, et ils ne s'imposent jamais de manière absolue; il y a toujours en eux un manque.
Conclusion
On mentionne toujours, et me semble t-il à juste titre, la croyance et la confiance dans le progrès parmi les éléments constitutifs de la modernité. Elle développe de "grands récits" (pour reprendre l'expression de Jean-François Lyotard) qui interprètent l'histoire comme une marche depuis une situation mauvaise et insatisfaisante vers un état bien meilleur, voire parfait. Le postmodernisme conteste vivement cette idéologie du progrès et parle volontiers de "la fin de l'histoire", entendez la fin d'une histoire qui aurait un sens, qui conduirait vers un accomplissement. Tillich n'entend nullement éliminer l'idée de progrès. Il la repense et la remanie grâce à la notion de "kairos". Pour reprendre des catégories à la fois courantes, commodes et contestables (comme toutes les classifications), Tillich me paraît proche de ceux qu'on appelle les "postmodernes reconstructifs" qui voient lucidement les limites de la modernité, qui n'entendent pas supprimer ses idéaux, mais les équilibrer et les transformer en les insérant dans des perspectives à la fois plus larges et plus profondes.
André Gounelle
Notes :
* P. Tillich, "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions. Traduction française de F. Chapey in P. Tillich, Aux frontières de la religion et de la science.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 79 (tr. p. 72).
* "Kairos" 1 in Christianisme et socialisme, p. 133, version américaine de 1948. The Courage to Be (1952), p. 114. "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 65 (tr. p. 56-57). Tillich parle quelquefois d'une "métaphysique du progrès", voir La situation religieuse du temps présent (1926), in La dimension religieuse de la culture, p. 189.
* La décision socialiste (1934) in Écrits contre les nazis, p. 164.
* "Kairos" 1 in Christianisme et socialisme, p. 133, texte allemand de 1922. La décision socialiste (1934) in Écrits contre les nazis, p. 78-79. Cf. Systematic Theology (1963), 3, p. 328, p. 333, p. 353-354.
* Par contre, Tillich l'estime absente de l'Islam, Paul Tillich s'explique (1965), p. 184, bien que la religion prophétique s'exprime aussi dans l'Islam ("The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 66 , tr. p. 58.).
* "Comment le christianisme comprend l'homme moderne?" in Le fondement religieux de la morale, p. 199. Cf. Systematic Theology (1963), 3, p. 328. "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 66-67 (tr. p. 57-58).
* En 1930, Tillich note le recul de l'idée classique d'évolution, "La situation spirituelle du temps présent" (1930) in Christianisme et socialisme, p. 332.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 69 (tr. p. 60)
* "La situation spirituelle du temps présent" (1930) in Christianisme et socialisme, p. 330-332. "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 69-70 (tr. p. 61-62). Cf. Theology of Culture (1959), p. 175. En consonnance avec les propos de P. Gisel, je note que la guerre 14-18 est plus le moment spectaculaire que le moment réel du reflux de l'idée de progrès.
* "L'image de l'homme chrétien au vingtième siècle" (1952), in Le fondement religieux de la morale, p. 185. "Les différents types de compréhension de soi de l'homme moderne" (1954-1964), Ibid. p. 189-190; "Comment le christianisme. comprend l'homme moderne?", Ibid., p. 199. Cf. La situation spirituelle du temps présent (1930), in Christianisme et socialisme, p. 331, Cf. ce qu'écrit A. Schweiter en 1931 : "A la génération qui a cru au progrès immanent s'accomplissant en quelque sorte de soi-même, automatiquement, et qui a pensé pouvoir se passer d'idéaux moraux en progressant uniquement par le savoir et le pouvoir, la situation où elle se trouve aujourd'hui a donné la preuve terrible qu'elle s'était trompée." (Ma vie et ma pensée, p. 163).
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 70 (tr. p. 62). Cf. "Les différents types de compréhension de soi de l'homme moderne" (1954-1964), in Le fondement religieux de la morale, p. 192.
* "Paul Tillich et l'histoire des religions" in P. Tillich, Aux frontières de la religion et de la science, p. 202-204.
* Systematic Theology ( 1963), 3, p. 338-339. Dans "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 72-73 (tr. p. 65), l'éducation est citée parmi les domaines où il n'y a pas progrès; mais éducation est pris ici dans un autre sens, celui de la formation de la personnalité.
*Dans Systematic Theology (1963), 3, p. 333-337, Tillich mentionne les domaines suivants : la morale, l'art, la philosophie, l'humanité, la justice, la religion.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 71-72 (tr. p. 63-65). Paul Tillich s'explique (1965), p. 182.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 73 (tr. p. 65-66). Cf. Systematic Theology (1963), 3, p. 334.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 74 (tr. p. 66-67). Cf. Systematic Theology (1963), 3, p. 334-335.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 75 (tr. p. 68).
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 66 (tr. p. 57). De même, il ne le mentionne pas dans Systematic Theology (1963), 3, p. 353. Cf. Theology of Culture (1959), p. 176.
* Cf. La situation religieuse du temps présent (1926), in La dimension religieuse de la culture, p. 172-173. L'expression "progressisme bourgeois" peut s'appuyer sur La situation religieuse du temps présent (1926), in La dimension religieuse de la culture, p. 189, La décision socialiste (1934) in Écrits contre les nazis, p. 78-79, et The Protestant Era, p. 25.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 76 (tr. p. 69). Cf. La situation religieuse du temps présent (1926), in La dimension religieuse de la culture, p. 227-228, Systematic Theology (1963), 3, p. 353.
* La décision socialiste (1934) in Écrits contre les nazis, p. 164.
* "Kairos "2 (1926) in Christianisme et socialisme, p. 259-260.
* "Kairos" 2 (1926) in Christianisme et socialisme, p. 260. Systematic Theology (1963), 3, p. 354.
* "Kairos" 1 in Christianisme et socialisme, p. 132 et 133. La mention du cynisme se trouve dans la version américaine de 1948, et est absente du texte allemand de 1922. "Kairos" 2 (1926) in Christianisme et socialisme, p. 261. La situation religieuse du temps présent (1926), in La dimension religieuse de la culture, p. 228. "La lutte des classes et le socialisme religieux" (1930) in Christianisme et socialisme, p. 384. Systematic Theology (1963), 3, p. 355. Paul Tillich s'explique (1965), p. 186. "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 76-77 (tr. p. 69-70). "Kairos" (1958), in P. Tillich, Dieu au dessus de Dieu, p. 90. "Le droit d'espérer" (1965), Ibid., p. 100.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 78 (tr. p. 71).
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 78 (tr. p. 71). Cf. "Le droit d'espérer" (1965) in Dieu au dessus de Dieu, p. 100. A quelques exceptions près (en particulier le texte cité dans la note 30), durant la période allemande, les définitions insistent plus sur l'irruption du nouveau, sur "les temps sont accomplis" (Cf. "Kairos 2" (1926) in Christianisme et socialisme, p. 259) que sur le manque dans l'accomplissement.
* "The Decline and the Validity of the Idea of Progress" in The Future of Religions, p. 78 (tr. p. 71). Cf. Systematic Theology, 1, p 219 : "Tout gain sous un rapport s'accompagne d'une perte sous un autre", et The Courage to Be, (1952) p. 114.
* "La lutte des classes et le socialisme religieux" (1930) in Christianisme et socialisme, p. 386.
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