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Théologie des religions
Première partie - Les exclusivismes

 

La mouvance "evangelical"

Je passe au deuxième exemple de position exclusiviste, celle que l'on rencontre dans la mouvance que, pour les raisons que j’ai indiquées, j’appelle evangelical. Dans cette mouvance, on rencontre aussi des inclusivistes. Toutefois, l'exclusivisme y est largement majoritaire

1. Les déclarations

Jusque vers les années 60, les milieux missionnaires sont largement de tendance evangelical. Ils se donnent pour but d'empêcher que les païens périssent dans l'obscurité ; ils entendent les arracher à l'enfer. Ils affirment qu'aucune religion, en dehors du christianisme, ne peut procurer le salut, et qu'il n'y a aucun espoir pour ceux qui ne confessent pas explicitement Jésus-Christ. Ils présentent ces affirmations comme des évidences indiscutables pour un chrétien et ne se soucient pas de les expliquer, de les justifier, de dire sur quoi elles se fondent. Sur le terrain, les missionnaires se montrent souvent très sévères pour les religions locales. Ils n'y trouvent rien de bon, et s'efforcent de détruire leur emprise sur les mœurs et sur les cœurs. Plus tard, à l'époque de la décolonisation et de la revalorisation des cultures africaines, asiatiques et océaniennes, cette sévérité leur sera amèrement reprochée, y compris par les églises nées de leurs missions.

Quand à partir de 1960, les dialogues interreligieux commencent à prendre de l’ampleur, la mouvance evangelical réagit très vivement. En 1970*, une convention, réunie à Francfort dénonce le souci du Conseil Œcuménique des Églises pour un dialogue entre les religions. Elle y voit une trahison de la foi, une apostasie de l'évangile. Le Nouveau Testament, dit-elle, appelle l'Église non pas à dialoguer avec les païens, mais à proclamer l'évangile en vue de les convertir. Elle affirme qu'il n'y a de connaissance de Dieu et de salut qu'en Jésus-Christ, et que par conséquent « tous ceux qui sont morts sans connaître Jésus-Christ sont destinés à la perdition éternelle » (de la même manière, au 17ème siècle, Nicole, un théologien de Port-Royal, disait que « pas un américain ne serait sauvé » - entendez pas un américain avant la découverte du nouveau continent par les européens). En juillet 1974, à Lausanne, un rassemblement évangélique va dans le même sens avec plus de nuance et de modération*. Il reconnaît que les missions ont parfois confondu l'évangile avec la culture occidentale. Il admet un dialogue pour mieux comprendre les autres, mais pas en vue d'un rapprochement religieux et encore moins d'un quelconque syncrétisme. Il condamne l'idée que Dieu, d'une manière ou d'une autre, puisse agir et se manifester dans les autres religions. La mouvance evangelical fonde son rejet sur deux argumentations différentes, mais nullement contradictoires ; en général elles se combinent.

2. L’argumentation biblique.

La première fait appel à des textes bibliques, ainsi Jean 14, 6 : « Nul ne vient au Père que par moi », et Actes 16, 3 : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé ». Dans une petite brochure, Christophe Genevaz*, commente : « Sans foi personnelle en ce Jésus historique, pas de salut possible ». Toute recherche d'un terrain d'entente et de collaboration entre religions lui paraît être une prostitution de l'évangile, un adultère de l'Église, et une démission de l'obligation de témoigner de l'évangile.

À cette argumentation biblique, on a opposé trois objections. D'abord, celui du choix des citations. Il existe des textes bibliques qui vont dans un sens différent : par exemple Abraham demandant à un prêtre païen, Melchisedeck, de le bénir ; ou bien les mages, que leur culte astrologique conduit à la crèche ; ou bien encore l'affirmation de Paul à Lystre que « Dieu ne s'est laissé nulle part sans témoignage » (Actes 14,15) ; etc. Ces textes n'annulent pas ceux que citent les evangelicals, mais ils montrent que la Bible a une approche des religions plus complexe et plus diversifiée qu'ils ne le prétendent. La deuxième objection porte sur l'interprétation des textes cités et sur les conclusions que l'on en tire. Dire : « Crois au Seigneur Jésus et tu sera sauvé » n'implique pas obligatoirement que tous ceux qui ignorent Jésus sont perdus. Souvent les affirmations bibliques sont forcées et durcies. Enfin, troisième objection, n'identifie-t-on pas trop vite, n'assimile-t-on pas indûment le Christ et le christianisme ? Le Christ n'agit-il pas ailleurs que dans les églises et chez ceux qui se réclament de lui ? Des théologiens parlent d'une présence cachée du Christ ou du Christ œuvrant anonymement en dehors des églises, thèses que nous examinerons plus tard.

3. La différence du christianisme

La deuxième argumentation utilisée dans les milieux evangelical souligne la spécificité du christianisme. Quand on le compare aux autres religions, on s'aperçoit qu'il s'en distingue très fortement, qu'il n'a pas grand chose de commun avec elles. Ce qui rend tout dialogue impossible. Les convictions et les croyances sont trop éloignées les unes des autres pour qu'on puisse les rapprocher. On ne peut pas associer des systèmes incompatibles ; il faut opter, choisir l'un ou l'autre.

Ainsi, Henri Blocher, professeur à la Faculté de Théologie évangélique de Vaux, souligne quatre éléments qui, selon lui font l'originalité du christianisme, le mettent à part et lui confèrent un caractère unique. Il y a, d'abord, l'historicité du christianisme. Sa foi se réfère à des événements, non à des mythes, ni à des réalités intemporelles ou éternelles. Ensuite, Blocher mentionne la gratuité du salut; c'est Dieu qui l'envoie, qui l'effectue, et le croyant le reçoit. Dans toutes les autres religions le salut s'acquiert par des œuvres (on retrouve la conviction de Luther que la justification gratuite n'existe que dans l'évangile). En troisième lieu, Blocher cite l'incarnation, l'affirmation que Dieu se fait homme sans cesser pour cela d'être Dieu. Enfin, il insiste sur la conception du mal, qui, pour le christianisme, ne relève pas de la structure de l'être, mais qui vient d'un accident dont la responsabilité incombe entièrement à l'être humain.

L'argumentation de Blocher ne manque ni d'intérêt ni de pertinence. Elle se heurte, cependant, à deux objections.

Premièrement, sur les points mentionnés, le christianisme se montre-t-il aussi original que le pense Blocher ? D'autres religions se réfèrent à des événements historiques. Certaines connaissent le thème de l'incarnation et de l'abaissement de Dieu. Le bouddhisme amida enseigne la justification gratuite. On fait aussi ailleurs porter entièrement la responsabilité du mal aux êtres humains. La différence ne paraît pas aussi radicale que ne le prétend Blocher et il paraît difficile d'isoler le christianisme, de prétendre qu'il n'a rien de commun avec les autres religions.

La seconde objection conteste que ces différences constituent une réelle supériorité. L'histoire ne fonctionne-t-elle pas comme une parabole de l'éternel qu'à cause de la structure temporelle de l'existence humaine, on perçoit et on exprime à travers des récits ou des mythes ? Une religion affranchie de l'historique n'évite-t-elle pas mieux la superstition, n’est-elle pas plus pure et plus proche de la vérité divine ? La gratuité du salut, à côté de ses aspects positifs, n'a-t-elle pas l'inconvénient de dévaloriser l'éthique que d'autres religions servent mieux ? L'incarnation ne favorise-t-elle pas des dérives idolâtriques. Enfin, en faisant porter à l'être humain l'entière responsabilité du mal, n'oublie-t-on pas qu'il en est à la fois coupable et victime ? Bref, la comparaison ne tourne pas forcément à l'avantage du christianisme.

En fait, ces objections ont peu de poids pour les evangelicals. En effet, ce ne sont pas des argumentations, bibliques ou comparatives, qui les conduisent à rejeter et à condamner les religions, mais une conviction, puissante et élémentaire, celle que la religion chrétienne est la seule voie de salut, et que toutes les autres voies ont un caractère démoniaque.

André Gounelle

Notes :

* texte publié dans la Revue Réformée, n°85, 1971/1.

* Déclaration publiée sous forme de tract.

* C. Genevaz et H. Blocher, Les chrétiens et les autres religions. Editions Kerygma, 1992.

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot