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Théologie des religions

Les relativismes - Introduction

Nous en arrivons à la troisième et avant-dernière des grandes parties de ce cours sur les théologies chrétiennes des religions non chrétiennes. Cette partie porte sur les théologies relativistes.

1. Ni rejeter ni absorber.

Je vous rappelle le chemin que nous avons parcouru.

1. La première partie du cours a porté sur les théologies exclusivistes qui condamnent les autres religions et considèrent qu'elles ne contiennent qu'erreurs, superstitions et idolâtries. Pour l'exclusivisme, il n'y a qu'une seule vraie religion, la chrétienne. En dehors d'elle, on ne trouve rien de bon. Il faut donc, d'une part, se défendre des autres et de leur influence. Il suffit de montrer que des coutumes, que des fêtes, que des thèmes ont des origines extra bibliques pour les disqualifier. On doit, d'autre part, attaquer les autres religions, en particulier par la mission et essayer de les détruire, de les abolir. Le salut exige une rupture. Se convertir à l'évangile implique que l'on refuse des spiritualités différentes, qu'on rejette les pratiques religieuses autres, que l'on récuse les enseignements et les doctrines qui viennent d'ailleurs.

Les théologies exclusivistes dominent largement dans le christianisme classique (à savoir : le catholicisme classique qui va du Concile de Trente à celui de Vatican 2 ; le protestantisme classique qui va de la fin du seizième siècle jusqu'au dix-huitième siècle). Elles ne disparaissent pas ensuite, mais leur domination régresse sensiblement.

2. La deuxième partie du cours a traité des théologies inclusivistes qui essaient d'intégrer et de rattacher au christianisme les autres religions. L'inclusivisme estime que ces religions comportent des éléments authentiques de vérité et de valeur, qui orientent vers l'évangile et y préparent. En reprenant et en insérant en son sein ces éléments, qui, en fait, ne lui sont pas étrangers, le christianisme apparaît comme la religion où toutes les autres conduisent et aboutissent, celle qui les récapitule toutes. Dieu se manifeste ou se révèle dans les diverses religions. Sa présence et son action culminent dans la foi chrétienne. L'évangile ne rend pas caduques ni n'annule les spiritualités, les pratiques et les doctrines que l'on rencontre ailleurs. Il les accomplit, en rendant clair ce qu'elles ne font qu'entrevoir, en achevant ce qu'elles arrivent seulement à ébaucher. Il en dévoile le sens véritable et leur confère leur valeur dernière. L'évangile sauve les religions et ce salut ne rejette pas ni n’élimine, mais utilise, restaure, et récupère ce qu'elles apportent.

Avant 1950, les thèses inclusivistes apparaissent d'abord révolutionnaires, ensuite audacieuses. Entre 1950 et 1980 (dates approximatives, bien sûr), on les juge ouvertes, généreuses, et elles se répandent largement. Depuis 1980, on les critique de plus en plus ; on les estime impérialistes et conservatrices dans leur fond ; on leur reproche de ne pas admettre vraiment l'altérité. Le jésuite Paul Knitter a exprimé cette critique dans une image frappante. Pour les inclusivistes, écrit-il les relations entre religions ressemble à celles entre un chat et une souris : la souris ne trouve sa vérité, son accomplissement, sa plénitude « que lorsqu’elle est incorporée dans le ventre du chat »*. Le christianisme a vocation de dévorer les autres religions et il ne doit pas s’étonner si elles se montrent réticentes au dialogue q’il leur propose.

2. Additionner les religions.

D’où la volonté de chercher un autre modèle, de développer une autre conception du rapport entre christianisme et religions.

Dans la plupart des livres et articles qui traitent des théologies chrétiennes des religions, on trouve une classification qui comprend trois grandes catégories : l’exclusivisme, l’inclusivisme et le pluralisme. Cette classification ne me paraît pas entièrement satisfaisante, d’une part parce qu’exclusivisme et inclusivisme me paraissent deux variantes de la conviction de la supériorité du christianisme et de sa vocation à supplanter et à éliminer les autres religions ; d’autre part, parce que l’étiquette « pluralisme » est un fourre-tout dans lequel on range des positions qui n’ont pas grand chose en commun. Si j’ai conservé « exclusivisme » et « inclusivisme », par contre j’ai réparti les courants qu’on qualifie en général de « pluralistes » en deux groupes différents : les relativismes et les pluralismes avec norme.

La troisième partie du cours, celle qui commence maintenant, va examiner les modèles « relativistes ». Si les exclusivistes refusent et rejettent, si les inclusivistes englobent et absorbent, les relativistes entendent additionner, d'une manière ou d'une autre, les religions.

1. Ces modèles reposent sur la conviction que toutes les religions ont une valeur propre ; elles doivent, par conséquent, se reconnaître et s'accepter mutuellement. Les positions exclusivistes s'égarent parce qu'elle nient la valeur des autres et n'admettent pas qu'il y ait des vérités en dehors du christianisme. Les démarches inclusivistes se trompent également parce qu'elles veulent absorber les autres, les annexer et les subordonner au christianisme. Elles reconnaissent, certes, une valeur aux diverses religions, mais pas une valeur spécifique, particulière qui leur appartiendrait en propre. Pour les inclusivismes, la vérité dernière et ultime des religions se trouve dans l'évangile. Il en résulte que l'évangile peut parfaitement se passer des autres religions; elles ne lui apportent rien. Par contre, les autres religions ont besoin de l'évangile qui leur confère leur sens et leur vérité ultimes.

Pour les relativistes, chaque religion, y compris la chrétienne, possède en elle-même une vérité à la fois réelle et relative. Chacune a une valeur authentique et limitée. Elles ont toutes quelque chose d'unique et de spécifique à apporter. On ne peut pas les considérer comme les marches d'un escalier qui conduirait à l'évangile. Il faudrait plutôt les comparer, selon une image répandue, à de multiples chemins de montagne qui mènent, selon des itinéraires divers, au sommet, à la cime, chaque voie ayant ses avantages et ses inconvénients. Même si on n'établit pas une rigoureuse égalité entre les religions, même si on admet que certaines valent mieux que d'autres, on n'accorde pas, ici, une prééminence à l'évangile. Il est une religion ou une voie comme les autres, qui ne peut pas prétendre à un quelconque privilège, qu'on ne peut pas mettre à part et au dessus des autres.

2. Additionner les religions peut se faire de deux manières différentes, et j'ai donc rangé les thèses relativistes en deux grandes subdivisions :

D'abord, celles qui préconisent un compartimentage et une juxtaposition des diverses religions, en attribuant à chacune un domaine propre d'exercice et de validité. On met les religions les unes à côté des autres et on considère que chacune assure le salut de ses adhérents à sa manière. On rejoint ici ce que le catholicisme classique appelle « l'indifférentisme » et qu'il condamne : peu importe à Dieu la religion à laquelle on se rattache, pourvu qu'on soit sincère, pieux, et fidèle. Que le juif soit un bon juif, le musulman un bon musulman, le bouddhiste un bon bouddhiste et le chrétien un bon chrétien, il n'y a pas à demander autre chose ni à chercher plus loin.

Ensuite, celles qui invitent à une fusion ou à une alliance des diverses traditions spirituelles et appellent à un syncrétisme qui mettrait en place une religion unique ou unifiée formée des apports des unes et des autres. L'addition ne se contente pas ici de juxtaposer, elle établit une somme, elle regroupe les divers éléments dans un ensemble, elle cherche à les articuler entre eux.

On ignore l’étymologie exacte de « syncrétisme ». Certains font dériver ce mot de sun (avec) et de kerannun (mêler, mélanger). Il paraît plus probable qu’il vient de sugkrhtismos, alliance des Crétois ; dans l’île de Crète, plusieurs ethnies s’étaient jointes pour former un peuple unique. Ces deux étymologies suggèrent qu’on opère une mixture. À vrai dire, dans le cas des religions, il serait plus juste de parler d’éclectisme que de syncrétisme. Éclectique vient du grec eklegein qui veut dire « trier » et qualifie un ensemble fabriqué avec des éléments empruntés à droite et à gauche qu’on a choisis, sélectionnés. On ne reprend pas et on ne regroupe pas tout. Le mélange ne peut se faire, en effet, que si on abandonne les doctrines et les coutumes qui y seraient réfractaires. Il suppose qu’on écarte et élimine ce qui s’oppose à l’alliance ou à la fusion. Autrement dit, l’éclectisme désigne une synthèse critique et cohérente, alors que le syncrétisme correspond plutôt à une sorte de bazar ou de grenier où l’on amasse et accumule des choses sans examen ni principe organisateur. Quand on parle de syncrétisme dans le domaine des religions, comprenez bien que dans la grande majorité des cas, il s’agit, en fait, d’éclectisme ou plutôt que l’éclectisme constitue une étape préalable et nécessaire à un syncrétisme consistant et cohérent.

3. L'audience du relativisme

Les thèses relativistes plaisent souvent au grand public. Par contre, elles ont, en général, mauvaise presse dans les milieux religieux, qui y voient le résultat d'un affaiblissement de la ferveur et d'une détérioration de la foi.

Théologiens et dirigeants religieux estiment, pour la plupart, que le compartimentage oublie et perd un élément essentiel, à savoir la vocation universaliste du message dont ils sont les porteurs et les serviteurs. Ce message s'adresse à tous les êtres humains et non pas seulement à telle ou telle catégorie d'entre eux. Les grandes religions, bouddhisme, christianisme, islam, prétendent toutes à une validité qui ne connaît aucune frontière, qui s'étend à l'humanité entière. Devenir particulières ou particularistes les défigurerait aux yeux de leurs fidèles.

Le syncrétisme ne reçoit pas un meilleur accueil. Il se heurte également à des fortes résistances. La plupart des représentants des grandes religions y voient une altération de leur message, que le mélange avec d'autres déformerait, abîmerait, détériorerait. Ils veulent préserver la pureté de leur foi contre des alliances qu'ils jugent illégitimes, et qu'ils comparent parfois à une sorte de « prostitution » religieuse. Nous avons vu avec Visser't Hooft un exemple de rejet catégorique du syncrétisme, et j'ai signalé avec quel soin, lorsqu'il a organisé en 1986 la rencontre d'Assise, le pape Jean-Paul 2 a écarté tout ce qui pourrait donner prise au soupçon de syncrétisme. Le judaïsme lui est franchement hostile ; l’islam, qui estime que tous les prophètes délivrent au fond le même message, un peu moins (à condition, toutefois, qu’on maintienne la supériorité du Coran). Les religions orientales se montrent parfois plus souples, mais j'ai entendu dans des congrès interreligieux, des bouddhistes condamner sévèrement tout syncrétisme et reprocher à l’hindouisme de lui être trop favorable.

 En christianisme, on cite le plus souvent les thèses relativistes pour les combattre et les réfuter. Elles ne trouvent que de rares défenseurs, qui le plus souvent passent pour des marginaux et dont on estime qu'ils sentent le souffre. Il est vrai qu'il y parmi eux pas mal d'excentriques. Il n'en demeure pas moins que certains méritent d'être connus, d'être sérieusement étudiés et pris en considération. Ce que nous allons faire dans cette troisième partie du cours, où j’ai évidemment sélectionné ceux qui m’ont paru avoir le plus d‘envergure et développer une réflexion sérieuse et solide.

André Gounelle

Note :

* Cité d’après M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. 321.

 

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André Gounelle