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Franz Leenhardt
(1846-1922)
À la fin du 19ème siècle, la Faculté de Théologie protestante de Montauban se préoccupe de donner une formation scientifique à ses étudiants pour les armer contre un scientisme très antireligieux. En 1875, Franz Leenhardt y est chargé d’un enseignement sur l’évolution et ses conséquences théologiques. Il a une formation de géologue (il a dressé une carte géologique du Ventoux encore utilisée aujourd’hui). À Montauban, il s’occupe aussi de biologie, de préhistoire, d’astrophysique. Il installe sur le toit de la Faculté une lunette pour des observations astronomiques ; il crée un laboratoire et un musée de sciences naturelles. Il publie peu, mais développe dans ses cours une pensée hardie, novatrice, très en avance sur son temps.
Observation et spéculation
Leenhardt distingue soigneusement l’ « observation » qui établit solidement des « faits » de la « spéculation » qui tente de les expliquer par des « théories » toujours fragiles et révisables.
De multiples observations démontrent la réalité de l’évolution et réfutent la thèse d’une création initiale qui aurait tout mis en place au départ. En tant que fait, l’évolution s’impose ; par contre, les théories qui entendent en rendre compte sont discutables. Ainsi, Leenhardt juge « exagéré » ou « abusif » le rôle qu’attribue Darwin à la sélection naturelle; elle n’est qu’un facteur parmi d’autres de transformation.
L’évolution signifie que le monde n’est pas achevé ; il ne cesse de se transformer dans un processus dont la science ne peut pas établir s’il répond à une intention et s’il a une finalité.
La création et le Christ
Comment interpréter religieusement l’évolution ? Pour le croyant, Dieu veut l’avènement de personnalités avec lesquelles il pourra établir une relation d’amour. Une être personnel décide en partie de ce qu’il devient ; dans une certaine mesure il se détermine lui-même, il est co-créateur de sa personne.
L’évolution est le procédé dont Dieu se sert pour associer les créatures à la formation de leur propre être. En les créant toutes faites, il les réduirait au statut d’objets passifs, alors qu’il veut en faire des acteurs responsables. Dieu est la « puissance des possibles », en ce sens qu’il ouvre aux êtres des possibilités qu’il leur appartient de saisir et d’utiliser.
Dans le processus d’évolution, des seuils se franchissent successivement : ainsi celui de l’inanimé à l’animé ou de l’animal à l’homme. Selon Leenhardt, Jésus marque le passage d’un seuil décisif. Avec lui, l’homo sapiens, qui se situe encore entre l’animalité et « l’homonité », devient homme spirituel, et il nous ouvre la voie pour le devenir à notre tour. Jésus est à la fois suscité par Dieu et l’aboutissement d’un processus évolutif.
Cette interprétation est une hypothèse, certes légitime, mais nullement un « fait » établi scientifiquement. Leenhardt ne confond pas science et foi ; il tente de penser et de formuler la foi en utilisant les apports et les découvertes de la science.
Un original
Bien des pages de Leenhardt font penser à Bergson, à Teilhard de Chardin et à la théologie du Process. Pourquoi a-t-il eu si peu d’écho? De son vivant, il critique aussi bien l’orthodoxie que le libéralisme. Il n’appartient à aucun des deux camps et, du coup, reste marginal. Après la guerre 14-18 la théologie se désintéresse de la science et on l’oublie. Il y a là une injustice. Comme l’a écrit justement Wilfred Monod, qui a été son élève, Leenhardt fait honneur au protestantisme francophone. Il montre que la piété ne dispense pas de l’intelligence et du savoir.
André Gounelle
2013
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