Chapitre 5
Les problèmes que pose le principe scripturaire
L'affirmation protestante de l'autorité des Écritures ne va pas sans poser de gros problèmes. On lui a adressé des objections qui ne sont pas dépourvues de valeur. Elle soulève trois grandes difficultés que nous allons passer en revue, en indiquant chaque fois les réponses ou les solutions qu'en ont proposées les protestants.
1. Le canon
Le mot "canon" signifie "règle", et on appelle "canoniques" les écrits qui règlent, régulent et régissent la foi. Par canon des Écritures, il faut entendre la liste des livres qui font partie de la Bible, dont on reconnaît le caractère inspiré, à qui on accorde une autorité en matière de foi.
Le problème
Pourquoi y a t-il un problème du canon? Il vient de ce que, à la différence, par exemple, du Coran, la Bible n’est pas un seul livre, un ouvrage unique, mais un recueil composite qui groupe des textes rédigés à des époques différentes par divers auteurs, travaillant indépendamment les uns des autres. Il s'agit en fait d'une petite bibliothèque. Qui a décidé de la composition de ce recueil? Qui a fait le tri, le choix, la sélection? Comment a-t-on arrêté la liste des écrits canoniques?
D'un point de vue théologique, et non pas historique et littéraire, on distingue dans la littérature juive et chrétienne ancienne, trois catégories d'écrits : d'abord, les livres "homologoumènes", ou "protocanoniques", reconnus par tous comme ayant autorité en matière de foi; ensuite, les écrits "antilégomènes", ou "deutérocanoniques" que l'on juge utiles, dont on recommande la lecture, mais qui ne peuvent pas fonder un article de foi; enfin, les "apocryphes"*, ou illégitimes (on les appelle en grec noqa, qui signifie "bâtards"), considérés comme hérétiques et nocifs, que l'on rejette. Entre ces différentes catégories, les frontières ne sont pas toujours nettes et indiscutables. On constate des hésitations, des fluctuations et des variantes.
Par exemple, en ce qui concerne l'Ancien Testament, au début de notre ère, les samaritains s'en tiennent au Pentateuque (c'est à dire aux cinq premiers livres); les juifs palestiniens reconnaissent beaucoup plus d'écrits (par exemple, ceux attribués aux prophètes), mais n'admettent que des livres rédigés en hébreu ou en araméen; les juifs alexandrins reconnaissent, en plus, des livres écrits en grecs. Les protestants, sous l'influence de l'humanisme, ont adopté le canon palestinien, et considéré comme deutérocanoniques les livres qu'y ajoute le canon alexandrin. De leur côté, les catholiques, à la suite de Jérôme et de la Vulgate*, ont repris le canon alexandrin. Pendant longtemps, les deux confessions n'ont pas utilisé le même Ancien Testament. Des catholiques ont reproché aux protestants de tronquer la Bible et de lui enlever les livres qui les gênaient (en particulier les Macchabées qui peuvent servir à justifier la prière pour les morts). À l'inverse, des protestants ont soupçonné les catholiques d'ajouter à la Bible des écrits qui leur convenaient.
En ce qui concerne les textes chrétiens du premier siècle, certains ont été retenus dans le Nouveau Testament, d’autres éliminés parfois après des périodes de flottements. On constate, par exemple, des hésitations ou des incertitudes pour l'Apocalypse ou l'épître aux Hébreux qui ont été finalement intégrés dans le Nouveau Testament, ainsi que pour la Didaché ou l'épître de Barnabas et celle de Clément Romain, qui en ont été finalement exclus.
Ce constat historique montre que les frontières de la Bible posent problème et paraissent, dans plusieurs cas, incertaines. Aussi quand les protestants affirment l'autorité de la seule Écriture et l'opposent à celle de l'Église, les catholiques leur adressent l'objection suivante, qui apparaît très tôt : qui, sinon l'Église, a dressé et arrêté la liste des livres canoniques? C’est elle qui a décidé de ce qui est biblique et de ce qui ne l'est pas. Après avoir examiné l’ensemble de la littérature juive et chrétienne primitive, elle a authentifié certains écrits et en a écarté d’autres. Elle désigne les livres qui font autorité et où l’on trouve la parole de Dieu. Tout dépend de son jugement. On ne peut donc pas opposer la Bible et l'Église, puisque la Bible, selon une expression du théologien catholique Karl Rahner (1904-1984), est "un produit de l'Église", la "concrétisation littéraire de l'attestation vivante de l'Église"*. Elle l'est de deux manières : d'abord, parce que les communautés ecclésiales primitives ont rédigé les écrits qui la composent; ensuite, parce que les autorités ecclésiastiques ont tracé les limites et décidé du contenu de la Bible. Aux yeux des catholiques, la Réforme oublie que l'Église a fait la Bible, a suscité et choisi les livres qui en font partie, leur a conféré leur autorité. Selon eux, le protestantisme affirme l'autorité de l'Écriture, en rejetant ce qui fonde et légitime cette autorité. Il raisonne comme si la Bible était tombée toute faite du Ciel, alors qu'elle résulte d'une histoire longue et complexe. Sans doute, Karl Rahner pense-t-il aux protestants sans les nommer, quand il met en garde ses lecteurs contre "le danger "de "mythologiser" l'essence et la mission de ce Livre"*.
Cette critique ne manque pas de poids, et des théologiens réformés ont reconnus que cette question du canon constituait le talon d'Achille, le maillon le plus faible et le plus vulnérable de l'argumentation protestante classique. À cette objection embarrassante, le protestantisme a apporté quatre réponses différentes.
L'apostolicité, critère de la canonicité
La première réponse, celle qui prédomine à partir du dix-septième siècle, consiste à dire que le Nouveau Testament se compose des livres écrits par les apôtres ou rédigés directement sous leur autorité (ainsi l’évangile de Marc se rattacherait à Pierre, celui de Luc et l'épître aux Hébreux à Paul). L'Église n’a rien choisi, ni décidé. Le caractère canonique d’un écrit découle de la qualité apostolique de son auteur. Contre le catholicisme, le protestantisme affirme que l'Écriture, et non le clergé ou l'Église, assure la succession apostolique. Les apôtres, témoins oculaires de la vie de Jésus, auditeurs directs de son enseignement, ont eu pour mission de raconter ce que Jésus a fait et dit. Après leur mort, ils continuent à assurer cette tâche par les livres qui ont consigné leur témoignage et leur enseignement. Le Nouveau Testament transmet et perpétue leur héritage.
Cette première réponse a paru longtemps très forte et convaincante. Bien qu'on continue à l'utiliser, on éprouve aujourd'hui de la peine à la maintenir et à la défendre. Elle se heurte à une difficulté, et soulève un problème.
La difficulté vient des études des historiens qui ont établi que le Nouveau Testament comporte des écrits attribués à tort aux apôtres. Par exemple, on a montré que les épîtres pastorales ne sont pas de Paul. Personne ne songe, à cause de cela, de les retirer du canon et du coup la question rebondit : au nom de quoi les conserve-t-on? On ne peut pas dire que c'est en raison de leur apostolicité, puisque la science historique dément ou, en tout cas, rend douteuse cette apostolicité.
Ensuite, se pose un problème : que faire si on découvre un nouveau texte apostolique, une épître inconnue de Paul, par exemple? Devrait-on l'insérer ou non dans le Nouveau Testament? Il s'agit certes d'un problème hypothétique, mais les découvertes récentes de manuscrits, comme celui de l'évangile attribué à Thomas, ne rendent pas impossible qu'il se pose un jour*.
En tout cas, cette difficulté et ce problème montent qu'on ne peut pas établir une équivalence pure et simple entre canonicité et apostolicité. La canonicité ne découle pas simplement et automatiquement de l'apostolicité; elle implique un choix et une décision.
La canonicité comme "acte d'humilité" de l'Église
Juste après la seconde guerre mondiale, un spécialiste protestant du Nouveau Testament, Oscar Cullmann a proposé une deuxième réponse. Il estime qu’en définissant et délimitant le canon, l'Église a fait un "acte d’humilité"* et de désistement. Elle a publiquement admis qu’elle ne détenait pas l’autorité doctrinale suprême ou dernière; elle a déclaré qu'elle se soumettait aux livres qu’elle juge contenir la parole de Dieu. En quelque sorte, elle renonce à exercer un magistère ou, plus exactement, elle soumet l'exercice de son magistère à l'autorité de la Bible. Elle reconnaît la supériorité des Écritures.
Cullmann retourne donc l’objection catholique. Certes, dit-il, l'Église a fixé le canon*. Le recueil néotestamentaire a une origine et un caractère ecclésiastiques; les catholiques ont raison de le dire. De ce constat exact, ils tirent, cependant, une conséquence fausse. Loin d’affirmer son autorité par cet acte, l'Église se donne à elle-même une place subordonnée et seconde en matière de doctrine. Elle admet qu’elle n’est pas l’instrument et le lieu de la Révélation divine. Elle avoue sa propre faiblesse. Elle confesse son impuissance à se protéger seule, sans appui extérieur contre les dérives. Elle pose la règle qui doit la régir. "L'Église, écrit Cullmann, a reconnu qu'elle ne pouvait pas contrôler à elle seule les traditions qui pullulaient ... elle a soumis toute tradition à une norme supérieure ... fixée dans des écrits déterminés qui seuls [ont] valeur canonique"*. La liste des livres du Nouveau Testament une fois arrêtée, son autorité désormais s'impose à l'Église. "En posant le principe d'un canon, déclare Cullmann, ... l'Église du second siècle ... a pris une décision engageant tout l'avenir de l'Église ... Elle a fixé une norme à elle-même et a soumis l'Église de tous les siècles à venir à cette norme". Cullmann en conclut que la seule décision infaillible prise par le magistère ecclésial a consisté à renoncer à toute prétention à l'infaillibilité*. L'Église affirme, en quelque sorte, l'extériorité de la révélation qu'elle ne porte pas en elle, qui lui fait vis-à-vis. L'Église elle-même place la Bible au dessus d'elle; elle la désigne comme l'autorité qui la domine*.
La Bible "autopistique"
La troisième réponse que l'on trouve dans le protestantisme part d’un constat historique. Avant le seizième siècle (à l'exception d'un texte au statut peu clair au moment du Concile de Florence en 1442), les organes directeurs de l'Église (papes, évêques, conciles) n’ont jamais par un vote ou un décret en bonne et due forme délimité le canon. Les confessions de foi de la Réforme, puis le concile de Trente dressent pour la première fois la liste officielle des livres faisant autorité. Auparavant, il existait une liste officieuse en ce sens que si personne ne la contestait, personne non plus ne l’avait sanctionnée. À proprement parler, l'Église n’a pas pris de décisions, mais des habitudes. Dans ces conditions, on peut difficilement affirmer qu’elle a défini le canon à la suite d’une délibération consciente et explicite. Il serait plus exact de dire que le canon s’est imposé à elle petit à petit. Elle n'a fait qu'accepter et enregistrer un fait qui lui est apparu indiscutable*. La puissance intrinsèque de la Bible, et non une décision externe fonde son autorité.
Cette réponse se trouve chez Calvin qui déclare : "L'Écriture a de quoi se faire connaître, voire d'un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses douces et amères de montrer leur saveur"*. Il y aurait, donc, une sorte d'évidence à laquelle on ne peut pas résister. Dans la même ligne, en 1842, le genevois Gaussen qualifie la Bible d'autopistos; par quoi il veut dire qu'elle se rend témoignage à elle-même, et fonde elle-même son autorité en emportant notre adhésion. "La Bible, écrit Gaussen, est évidemment un livre autopistos, qui n'a besoin que de lui-même pour être cru ... pour quiconque l'étudie avec sincérité et comme devant Dieu, elle se présente avec évidence et par elle-même comme un livre miraculeux"*. De même, Barth écrit : "la Bible est le canon parce qu'elle s'impose comme telle"*.
Cette réponse présente une faiblesse et une force. Sa faiblesse consiste à se réclamer d'une évidence que l'on peut attribuer tout simplement à l'habitude. Sa force réside en ce qu'elle prend acte d'un fait effectivement étonnant : l'accord quasi unanime des chrétiens quant aux limites du canon. Sur presque aucun autre point, on ne rencontre un assentiment aussi étendu. On a bel et bien l'impression que les Écritures, dans leur composition actuelle, se sont imposées.
Le canon défini par son objet
La quatrième solution découle du principe du "canon dans le canon", dont nous avons vu qu'il caractérise la lecture luthérienne de la Bible. Elle affirme qu'ont autorité les écrits qui annoncent ou transmettent le Christ, ou qui conduisent au Christ*. Luther le souligne dans une phrase célèbre : "Ce qui ne conduit pas à Christ n'est pas apostolique, même si saint Paul et saint Pierre l'enseignaient ... tout ce qui prêche Christ est apostolique, même si c'était l'œuvre de Judas, d'Anne, de Pilate ou d'Hérode"*. L'autorité d'un livre biblique ne lui vient pas de son auteur, ni du choix de l'Église. Elle découle du message qu'il annonce.
Dans cette perspective, les frontières littéraires du canon ont peu d'importance, puisqu'on dispose d'un critère qui s'applique aussi bien aux livres bibliques qu'aux autres. Ainsi, quelques luthériens du dix-septième siècle ont envisagé de faire entrer certains livres de Luther dans le canon. Ces livres auraient constitué, en quelque sorte, un "troisième testament" qui serait la suite du Nouveau, comme l'Ancien en est la préparation. Dans cette ligne, Ebeling considère que l'hypothèse d'une révision du canon ne devrait soulever ni résistances acharnées, ni approbations enthousiastes chez les protestants. Il y voit un problème tout à fait secondaire, dépourvu d'importance réelle*.
Cette réponse qui met au centre le Christ et non l'Écriture se heurte à une objection qu'a formulée le néocalviniste A. Lecerf* : "Il y a le Christ de sainte Thérèse, de saint Augustin, de Luther, et le Christ des anabaptistes de Münster; il y a le Christ de Calvin et celui de Socin". Comment donc décider? Si on fait entrer l'évangile de Thomas dans le canon, on aura une image différente du Christ et de son message. Finalement, décider que la justification par grâce (ou n'importe quel autre principe) constitue le canon dans le canon ne revient-il pas à prendre dans la Bible ce qui nous plaît et à écarter ce qui nous déplaît?
Conclusion
Ces quatre réponses, que les protestants donnent à ce problème, pour eux difficile, du canon, appellent deux remarques :
1. Elles ne s'excluent pas les unes et les autres et on peut facilement les combiner (comme, d'ailleurs, le font Barth et Cullmann). La canonicité d'un livre dépend à la fois de sa proximité historique avec le Christ et les communautés primitives, de l'acte de désistement de l'Église qui reconnaît son autorité, de la force avec laquelle il s'est imposé aux chrétiens et de la manière dont il annonce le message évangélique. Aucun de ces critères ne suffit à lui seul, mais en les additionnant, on arrive à un résultat assez satisfaisant, même s'il n'élimine pas toute incertitude et toute possibilité d'erreur.
2. La manière dont on pose le problème de l'appartenance au canon et dont on lui cherche une solution souffre d'une conception trop juridique de l'autorité. Elle traduit un besoin de certitude et de critères qui oublie que la foi comporte toujours un risque et un pari et qu'elle doit en avoir conscience pour ne pas absolutiser ses propres formules. Ce problème du canon devrait peut-être inciter, on y reviendra dans la conclusion de cette seconde partie du cours, à comprendre dans d'autres catégories l'autorité de la Bible.
2. Bible et science
Au principe protestant de l'autorité de la Bible, le catholicisme a opposé la question du canon. Dès le seizième siècle, et très fortement depuis le dix-neuvième, ce principe se heurte à une autre difficulté, qui se pose à tous les chrétiens et que rencontrent les catholiques aussi bien que les protestants, à savoir le désaccord entre les affirmations bibliques et les connaissances scientifiques.
Le problème
Ce désaccord a entraîné des conflits entre les ecclésiastiques et les scientifiques, dont deux, souvent cités, ont un caractère emblématique.
1. En 1632, un tribunal ecclésiastique condamne Galilée, et l’oblige à se rétracter parce qu’il enseignait que la terre tourne autour du soleil, alors que la Bible prétend le contraire. Il a fallu attendre trois siècles pour que l'Église catholique réhabilite Galilée et reconnaisse que le tribunal ecclésiastique avait tort; elle l'a fait seulement en 1992.
2. En 1925, aux États-Unis, des fondamentalistes essaient d’empêcher que la théorie de l'évolution, qui a son origine chez Darwin, soit enseignée. Pour cela, ils intentent à des professeurs de science un procès, dit "procès du singe" (ils s'attaquent à la thèse que l'homme descend du singe). Ils gagnent leur procès, et dans certains des états américains jusqu'en 1968, la loi interdit d'enseigner dans les écoles publiques la théorie de l'évolution.
De telles attitudes ont donné à beaucoup le sentiment d'un antagonisme et d'une opposition irréductibles entre la Bible et la science. La science faisant ses preuves, et s'imposant de plus en plus, la Bible ne se voit-elle pas contredite, réfutée, démentie? Ne perd-elle pas toute autorité, voire toute crédibilité? Le problème, déjà soulevé et débattu au dix-neuvième siècle par des incroyants ou des chrétiens libéraux, a été formulé avec une certaine brutalité par Bultmann* dans une conférence de 1941 sur la démythologisation qui a fait beaucoup de bruit après la guerre. Un livre qui connut un grand succès en 1965, Honest to God de Robinson* le reprend. Ces deux théologiens soulignent qu'on rencontre dans la Bible des idées et des croyances qui nous paraissent étranges et que nous ne pouvons pas adopter ou partager, car elles traduisent une vision du monde complètement périmée. Qui, aujourd'hui, peut sérieusement admettre que le ciel et la terre ont été créés en six jours? Comment pourrions nous croire que l'Univers a trois étages (en haut le Ciel peuplé d'êtres divins; au milieu la terre où habitent les êtres humains; en bas, l'enfer domaine d'êtres diaboliques)? Nous savons bien que les fusées spatiales ne pénétreront pas dans la demeure de Dieu et qu'en forant le sol, nous ne mettrons pas à jour un univers démoniaque. Or, des idées de ce genre se rencontrent presque à chaque page de la Bible et atteignent l'ensemble de ce qu'elle dit.
2. Les réponses proposées
À cette objection, trois réponses principales ont été données dans le protestantisme de la première moitié de notre siècle. On trouve toujours aujourd'hui, mais elles semblent en perte de vitesse.
1. D'abord, celle des fondamentalistes. Le mot "fondamentaliste" apparaît aux États-Unis durant les années 1910 à 1915. Des protestants conservateurs publient une série de petits traités sous le titre général The Fundamentals (les points fondamentaux de la foi chrétienne), titre qui a donné son nom au mouvement. En fait, les thèses fondamentalistes sont antérieures à ces traités. On les trouve pour l'essentiel, par exemple, dans un livre intitulé Théopneustie, publié en 1842 par un pasteur genevois Louis Gaussen. Les fondamentalistes soulignent que la science, produit de l’esprit humain, change et se trompe (ainsi la théorie de l'évolution a connu de multiples transformations et plus personne ne la soutient dans sa version darwinienne; de même, les théories sur la formation de l'univers ne cessent de se succéder les unes aux autres), alors que la Bible exprime la parole de Dieu qui sait tout et a toujours raison. La Bible ne contient, par conséquent, aucune erreur (on parle de son inerrance ). Il faut lui donner raison contre la science.
Toutefois, cette position se heurte à de difficultés qui ne cessent de grandir. L'évidence scientifique s'accroît et rend difficile de soutenir que la création du monde s'étend sur six jours, selon le processus raconté par la Genèse. D'autre part, comment nier qu'il existe des incohérences dans les récits bibliques? Par exemple, les diverses généalogies de la Genèse se contredisent sur certains points et indiquent des durées sans aucune mesure avec ce que nous savons de la chronologie de l'histoire humaine. Pour s'en sortir, les fondamentalistes ont recours à divers procédés d'interprétations qui prennent de singulières libertés avec le texte. Par exemple, pour le premier chapitre de la Genèse, certains prétendent que les six jours s'appliquent non pas au déroulement des faits, mais à une série de visions par lesquelles Dieu fait savoir à Moïse qu'il est créateur. Le premier jour, il lui révèle qu'il a créé la lumière; le second jour qu'il a séparé les eaux d'en haut et les eaux d'en bas; et, ainsi, chaque jour, Dieu révèle à Moïse un aspect de son activité créatrice. Dans le cas des généalogies de la Genèse, on suppose qu'il y a des "trous", des "manques", des "lacunes"; que "père" ne doit pas être pris au sens "d'ancêtre" et non de "géniteur direct", ce qui permet d'allonger considérablement la chronologie. Ces explications n'ont pas la moindre justification dans le récit biblique. Il s'agit de spéculations totalement extérieures et étrangères au texte, qui ne reposent sur rien. Les fondamentalistes rendent un très grand hommage à la Bible, mais ils ne la respectent pas vraiment. Ils la manipulent avec une désinvolture extraordinaire, en croyant ainsi la servir.
2. La seconde réponse caractérise des groupes ou des courants de type "rationalistes chrétiens". Ils veulent faire le tri entre ce qui dans la Bible relève d’une culture ancienne et périmée d’avec ce qui a une portée religieuse ou spirituelle permanente. Des récits comme ceux de la création ou de la naissance virginale de Jésus n'ont, à leurs yeux, qu'une valeur folklorique. Ils intéressent l'historien qui cherche à connaître les conceptions d'autrefois. Par contre, ils n'apportent rien au croyant; ils ne nourrissent pas sa foi et ne l'aident pas à vivre. Par ailleurs, on trouve dans la Bible des pages qui gardent une très grande pertinence : ainsi la prédication des prophètes contre l'injustice ou sur la responsabilité personnelle; ainsi le sermon sur la montagne. Ces pages-là il faut les garder, les méditer. On peut et on doit écarter les autres sans scrupules. On aboutit donc à une Bible expurgée. Cette thèse, assez répandue au siècle dernier, ne se rencontre plus aujourd'hui, à ma connaissance, que chez quelques unitariens.
3. Enfin, a été proposée, surtout au siècle dernier, une réponse dite "concordiste", parce qu'elle essaie de concilier les affirmations bibliques avec les connaissances scientifiques. Les contradictions sont apparentes. En réalité, sous des formes différentes, la Bible et la science se rejoignent. Une bonne interprétation montre qu'elles disent la même chose. On va essayer de les faire concorder, parfois au prix d’acrobaties intellectuelles (par exemple, en prétendant que les sept jours de la création ne représentent pas une durée de 24 heures chacun, mais celle d’une ère géologique). Cette position, aujourd'hui très largement déconsidérée, ne trouve plus guère de partisans. On lui a reproché, non sans raisons, de distordre à la fois les affirmations bibliques et les données scientifiques pour arriver à les concilier.
3. La position protestante dominante.
La position protestante actuellement dominante sur ce point, assez proche de celle de Calvin, se résume en deux points.
1. La Bible nous dit comment Dieu nous sauve et comment il veut que nous vivions. Par contre, elle ne vise nullement à donner des connaissances scientifiques. Il est illégitime d’étendre son autorité à la cosmologie, à la biologie ou aux autres sciences. Calvin se montre très sévère pour ceux qui essaient de tirer de la Bible des informations qui satisfont, selon lui, une curiosité frivole (c’est à dire qui n’a rien à voir avec la préoccupation existentielle du salut). Dans cette perspective, il paraît faux et indu de proclamer l’inerrance de la Bible, c’est à dire l’absence d’erreurs dans quelque domaine que ce soit. Au dix-septième siècle, des théologiens réformés ont soutenu qu'il n'y a aucun faute de grammaire dans le Nouveau Testament (comment, en effet, imaginer que le Saint Esprit, comme un mauvais écolier, puisse commettre des barbarismes et des solécismes !)*. Ils se trompaient lourdement sur le sens et la portée du principe de l'autorité de l'Écriture : il concerne son message, pas sa conception du cosmos, ni la pureté de sa langue ou sa correction grammaticale.
2. Le message qu’ils voulaient transmettre, les écrivains bibliques l’ont formulé dans les catégories de pensée, en fonction des connaissances et selon la culture de leur époque. La parole de Dieu se dit dans le langage humain, avec des concepts datés et situés. Calvin le souligne en parlant "d’accommodation”. Il ne faut pas confondre le message avec le langage, même si le message ne nous parvient que sous forme de langage. Beaucoup de textes bibliques ont, écrit A. Malet*, “une manière mythologique (que nous ne pouvons plus faire nôtre) de traduire la foi (que nous faisons nôtre) en Christ. On peut retenir <leur> intention ... tout en refusant sa forme mythologique”. Il y a ce que le texte veut dire et que les croyants considèrent comme parole venant de Dieu; il y a la façon dont il le dit, qui est contingente, relative, liée à un temps et à un milieu, et totalement humaine.
Si on compare la Réforme avec le protestantisme contemporain, on constate non pas une divergence, mais un déplacement d'accentuations qui s'explique du fait que le contexte a changé. La Réforme veut mettre en valeur l'autorité de la Bible, qu'à tort ou à raison, elle estime malmenée par l'Église catholique. Aussi insiste-t-elle beaucoup sur le fait qu'elle contient un message provenant de Dieu, sans, pour cela, ignorer son aspect de discours humain. Le protestantisme contemporain fait face au décalage entre la culture des temps bibliques et la nôtre. Il a donc tendance à souligner que la Bible n’est pas un texte dicté par Dieu, mais un ensemble de discours humains qui témoignent de l’action et de la présence de Dieu. Elle contient une parole venant de Dieu et exprimée en termes humains. Qu’on y trouve des conceptions complètement dépassées du point de vue scientifique détourne de confondre ou d'identifier le message qu'elle transmet avec le langage dont elle se sert, sans ébranler ni affaiblir la valeur de ce message.
3. Bible et histoire
Le principe de l'autorité de l'Écriture se heurte à une troisième difficulté, qui vient celle-ci ni du catholicisme, ni des scientifiques, mais des exégètes eux-mêmes et de leur étude du texte biblique.
1. Le problème.
À partir du dix-septième siècle, apparaît une nouvelle approche du texte biblique; elle se développe et s'impose au dix-neuvième siècle. Il s'agit de la méthode dite "historico-critique", qui s'intéresse à l'histoire du texte. De quelle manière ont été écrits les livres qui composent la Bible? Quels documents ont utilisé leurs auteurs? À quels milieux appartenaient-ils? Quelles tendances théologiques ou spirituelles entendent-ils combattre ou favoriser? Comment ont-ils raconté les événements dont ils parlent? On s'efforce d'éclairer l'origine, le processus de rédaction et la finalité des livres bibliques. On les replace, autant que faire se peut, dans leur contexte historique.
Cette étude, menée avec beaucoup de rigueur, de science et d'intelligence, aboutit à des résultats explosifs, qui ont soulevé des tempêtes parmi les chrétiens, et les ont profondément secoués et divisés. Ainsi, dans le cas des Évangiles, elle montre qu'on ne peut leur accorder aucune confiance en ce qui concerne l'exactitude matérielle des faits qu'ils racontent. Leurs récits ont été arrangés, voire inventés afin d'exprimer des opinions, de défendre des positions et d'en combattre d'autres. Ils ont été rédigés en fonction de visées doctrinales ou ecclésiastiques. Ils nous renseignent sur les croyances des premiers chrétiens, sur les discussions qui les agitaient, sur les courants qui existaient parmi eux. Par contre, ils ne nous permettent pas de savoir ce que Jésus a vraiment fait et dit, ni de reconstituer ce qui s'est réellement passé. Par exemple, dans un remarquable petit livre*, A. Malet soutient que les récits de Noël sont des romans à thèse. On les a fabriqués pour établir la supériorité de Jésus sur Jean Baptiste, et pour présenter Jésus comme un nouveau Moïse. Son père est un Joseph qui a des songes, comme le Joseph qui dans l'Ancien Testament précède Moïse. Sa naissance s'accompagne également d'un massacre d'enfants. Il va en Égypte et en revient. Les mages s'inclinent devant lui comme les magiciens d'Égypte devant Moïse. Bref, les récits de la naissance de Jésus démarquent les histoires de l'Ancien Testament concernant Moïse. N'accusons cependant pas les évangélistes de fraude ou de malhonnêteté. Il ont utilisé un procédé littéraire courant à leur époque et admis de tous. Certes, tout n'est pas inventé dans les récits évangéliques, mais nous ne disposons d'aucun moyen pour distinguer la réalité de la fiction, et il apparaît clairement que la part de la fiction est importante.
Il faut avouer que ces conclusions ont de quoi secouer, et rudement. Souvent l'apprentissage de la méthode historico-critique représente une dure épreuve pour les étudiants en théologie, et provoque des crises qu'ils n'arrivent pas toujours à surmonter. Dans un roman intitulé Ainsi va toute chair, Samuel Butler raconte l'histoire d'un jeune pasteur qui entreprend une étude historico-critique des récits de Pâques, et qui en perd la foi. Au siècle dernier, un essayiste connu, Edmond Scherer, a suivi un itinéraire de ce genre. Il commença par enseigner la théologie dans une école très orthodoxe de Genève, opposée à la Faculté de cette ville jugée trop large et trop ouverte aux idées du temps. L'étude consciencieuse qu'il fit de la Bible le conduisit progressivement à l'agnosticisme puis à l'incrédulité*.
2. Les réponses protestantes
Devant le problème ainsi posé, le protestantisme a réagi de deux manières différentes.
Les uns ont pensé que la méthode historico-critique mettait en danger le principe de l'autorité de l'Écriture et qu'il fallait donc, au nom de l'évangile, la refuser et la combattre. Les courants à tendance fondamentaliste vont dans ce sens. Au début du vingtième siècle, ils condamnent cette méthode dans son principe même. Ils y voient une entreprise blasphématoire et impie qui fait de l'esprit humain le juge de la parole de Dieu, et qui n'a d'autre but que de détruire la foi. Ils répètent sur tous les tons que le texte biblique, inspiré par Dieu, mérite une entière confiance; il dit la vérité. On ne doit pas se laisser séduire par des démarches séductrices et mensongères qui ne font que nous égarer.
Dans les années 1950-1960, on constate un changement d'attitude chez de nombreux fondamentalistes. La méthode historico-critique, selon eux, aboutit à des résultats catastrophiques non pas parce qu'elle serait mauvaise en elle-même, mais parce que l'utilisent des savants sceptiques, bourrés de préjugés, qui, par principe, n'admettent ni le miracle ni le surnaturel et qu'anime une hostilité foncière contre la foi évangélique. Ils présentent comme des conclusions solidement démontrées et certaines des hypothèses fragiles, aventureuses, qui reposent sur peu de choses. Par contre, si on se sert de la méthode historico-critique de manière vraiment objective et scientifique, elle aboutit à établir la valeur historique de la Bible, et elle consolide la thèse de l'inerrance des Écritures. Des fondamentalismes font actuellement un immense effort pour retourner à leur profit cette méthode. Ils tentent de montrer qu'elle confirme et n'ébranle pas l'exactitude des récits de l'Ancien et du Nouveau Testament. L'enquête historique confirme, selon le titre d'un livre qui a eu beaucoup de succès, que "la Bible dit vrai". On accepte donc la méthode, et l'on conteste les résultats qu'elle a obtenus jusqu'ici.
Un second courant accepte à la fois la méthode historico-critique et ses résultats. Il considère que le premier choc passé, elle apporte un enrichissement et un approfondissement de notre lecture et de notre compréhension de la Bible. Elle ne détruit pas le principe de l'autorité de l'Écriture, mais oblige à le reprendre, à le repenser autrement.
Deux comparaisons, ou paraboles aideront à comprendre cette autre manière de penser l'autorité de l'Écriture.
1.Imaginez que j'entende à la radio un concerto de Bach que je ne connaissais pas, qu'il me touche et m'émeuve profondément. Ce concerto représente vraiment un événement dans ma vie à cause de ce qu'il éveille et suscite en moi. Supposez qu'en essayant de me documenter à son sujet, je lise l'étude d'un musicologue qui m'apprenne que ce concerto n'a probablement jamais été écrit par Bach; que le compositeur inconnu n'a pas fait œuvre originale, mais qu'il a emprunté des thèmes à gauche et à droite, et, pour couronner le tout, qu'un éditeur du dix-neuvième siècle en a mis au point l'orchestration définitive. En lisant cette étude, je peux avoir deux réactions aussi inappropriées l'une que l'autre :
- La première, que l'on pourrait qualifier de fondamentaliste, consiste à rejeter le travail du musicologue, à déclarer erronées ses informations et ses conclusions, à le soupçonner de mauvaise foi et d'incompréhension, à affirmer que, puisque ce concerto est beau et qu'il m'a touché, il a été nécessairement écrit par Bach dans un moment d'inspiration originale. Tout autre hypothèse blasphémerait et insulterait la musique. L'événement que j'ai vécu en entendant ce concerto en impliquerait et en garantirait l'authenticité.
- La seconde réaction, que l'on pourrait appeler positiviste, ou historiciste, ou rationaliste ne vaut pas mieux. Elle consisterait à considérer que l'étude du musicologue prouve que le concerto n'a aucune valeur esthétique, et à en déduire que j'ai eu tort de me laisser émouvoir par lui. J'aurais été victime d'une illusion dont il me faut sortir. L'inauthenticité historique de cette œuvre disqualifierait l'émotion qu'elle a provoqué en moi.
Ces deux attitudes opposées traduisent une confusion entre l'histoire du concerto et sa valeur esthétique. Mon émotion ne prouve nullement qu'il soit de Bach; par contre, elle atteste qu'il a une puissance expressive que n'affectent ni ne diminuent les résultats de la recherche historique. De manière analogue, je suis saisi par le message évangélique. Le travail de l'historien, que je n'ai pas à contester au nom de ma foi, établit que ce message s'exprime dans des récits qui ne racontent pas exactement les faits. Il n'en demeure pas moins qu'ils expriment et transmettent un message décisif pour ma vie.
2. La seconde comparaison se trouve chez Paul Tillich qui distingue trois sortes d'images.
- D'abord, la photographie, qui enregistre passivement les formes que l'on place devant l'objectif. Elle reproduit avec beaucoup d'exactitude l'apparence ou la phénoménalité des choses. Par contre, elle n'atteint pas leur vérité profonde. Il arrive même qu'elle la voile. Ainsi, une vieille bande d'actualités cinématographiques ne rend pas l'horreur et le choc du bombardement de Guernica, comme le fait le tableau de Picasso. La reproduction exacte trahit souvent le sens. Les travaux des historiens ont amplement prouvé que les récits évangéliques ne sont pas et n'entendent pas être une description photographique d'événements factuels.
- Ensuite, nous avons des tableaux "idéalistes", où l'artiste entend traduire dans des formes et des couleurs ce qu'il porte en lui. Il ne dépeint pas une réalité qui lui serait extérieure et étrangère, mais il projette sur la toile sa sensibilité, ses aspirations et ses idées. Il peint son monde intérieur et subjectif. Si les Évangiles étaient une projection de ce genre, ils n'annonceraient pas une bonne nouvelle. Ils dévoileraient des attentes et des quêtes purement humaines. Ils ne révéleraient pas une réalité qui change notre condition et nous ouvre des perspectives de vie différente. Dans le message évangélique, nous n'avons pas l'expression d'une intériorité humaine, mais la manifestation ou le reflet d'une extériorité qui surgit dans l'existence et la transforme.
- Enfin, existent des tableaux "expressionnistes" qui cherchent à rendre la réalité profonde et la vie intérieure d'une personne ou d'un objet, et non son aspect extérieur. L'artiste dépasse la surface ou la superficie pour atteindre le cœur de son sujet. Son tableau ne se veut pas un constat, ni ne vise à la ressemblance. Il naît de la vision d'une vérité ou d'une réalité qui transcende les choses. Par exemple, quand Rouault peint des clowns, il ne reproduit pas à la manière d'une photographie d'identité ou d'un miroir leur visage. Il veut montrer leur âme qui à la fois s'offre et se dérobe dans leur aspect extérieur. À travers les apparences, en prenant des libertés avec elles, il nous conduit vers quelque chose d'essentiel, ce mélange de tragique et de dérisoire qui constitue leur personnalité et qui indique l'une des caractéristiques de la condition humaine. Les évangiles fonctionnent comme un tableau expressionniste. Ils ne contiennent pas des reportages sur le déroulement des événements. Ils indiquent leur sens et leur vérité.
Conclusion
Quand on parle de la Bible, de son autorité, et de sa vérité, on le fait trop souvent dans des catégories et avec des argumentations soit de type juridique soit de type scientifique soit de type historique. Elles ne conviennent pas, et il faudrait plutôt réfléchir par analogie avec l'œuvre d'art. Dans la Bible nous avons des contes, des poèmes, des hymnes, de l'éloquence, qui ont un fonctionnement de type esthétique. Dire cela ne rabaisse pas la Bible, ni ne lui donne pas une valeur moindre. L'art ne relève pas du divertissement, il est essentiel. Il nous communique quelque chose que seul il peut transmettre. Il opère en nous ce que rien d'autre n'arrive à y accomplir. L'œuvre d'art exprime, suggère, fait naître, de même que la Bible ouvre à de nouvelles possibilités d'existence. L'œuvre d'art ne décrit pas ce que nous voyons spontanément; elle nous montre ce qui échappe habituellement à notre regard. Elle rend visible l'invisible, fait surgir dans notre existence des réalités qui sans elle n'existeraient pas ou ne nous atteindraient pas. Elle porte, exprime, transmet une vérité qui n'est pas froide, objective, qui ne se définit pas simplement par sa correspondance avec les faits. Elle prend, elle fait vibrer, elle dévoile, enrichit ; elle conduit vers de nouveaux cieux et une nouvelle terre. La Bible agit et fonctionne ainsi, non à la manière d'un manuel d'histoire, ou de géologie, mais plutôt à celle d'un tableau ou d'un concerto. Contre une conception scientifique de la théologie, il faut lui rendre ou lui donner un statut esthétique.
André Gounelle
Notes :
* Cet usage du mot "apocryphe", bien que courant, est fautif. "Apocryphe" veut dire étymologiquement "secret", et nullement "inauthentique".
* La "Vulgate" est la traduction latine de la Bible, qui fait autorité au Moyen Age et dans le catholicisme classique.
* K. Rahner, Traité fondamental de la foi, p. 403, 404.
* K. Rahner, Traité fondamental de la foi, p. 411.
* Cf. A. Benoit, "Formation et signification du canon biblique" in Le christianisme est-il une religion du livre? p. 21. Le roman de J. Neirynck, Le manuscrit du Saint-Sepulcre, pose ce problème
* O.Cullmann, La tradition, p. 44, 46.
* O.Cullmann, Le Nouveau Testament, p. 118-119.
* O.Cullmann, La tradition, p. 47.
* Cf K.Barth, Dogmatique, vol.1, p. 103.
* Cf. A. Lecerf, "Remarques sur le canon des Saintes Ecritures", Revue Réformée, n° 34, 1958/2, p. 4.
* Institution de la Religion chrétienne, 1,7,2.
* K.Barth, Dogmatique, 1, p.103.
* "Was Christum treibet".
* cité d'après A.Malet, "Herméneutique et philosophie" in Église et théologie, n° 73, septembre 1961, p. 12.
* L'essence de la foi chrétienne, p. 43.
* "Remarques sur le canon des Saintes Ecritures", Revue Réformée, n° 34, 1958/2, p. 8.
* R. Bultmann, "Nouveau Testament et mythologie" dans L'interprétation du Nouveau Testament.
* traduction française : J.A.T. Robinson, Dieu sans Dieu .
* A. Lecerf, Études calvinistes, p. 136-137.
* A.Malet, Les évangile de Noël. Mythe ou réalité? , p. 85.
* voir A.Encrevé, Protestants français au milieu du dix-neuvième siècle, p.242-274.