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Les courants du protestantisme
Repères

 

De tout temps, différents courants théologiques et spirituels ont existé - et souvent se sont opposés - au sein du protestantisme. Quand on les ignore, on comprend mal les débats d'aujourd'hui. Aussi, nous a-t-il semblé utile de donner quelques indications et définitions pour aider à se repérer.

Luthéranisme et néoluthéranisme

Le luthéranisme tire, bien sûr, son nom de Luther. Luther a un tempérament volcanique. Dans son œuvre abondante, souvent rédigée dans le feu de l'action et de la controverse, on trouve le meilleur (des textes admirables de profondeur intellectuelle et de ferveur spirituelle) et le pire (des cris de haines, des appels au massacre, des pamphlets antisémites).

Les Églises luthériennes n'acceptent pas tout ce qu'a écrit Luther ni ne se réfèrent seulement à lui. Elles se définissent par six écrits "symboliques" (c'est à dire représentatifs) : trois de Luther, le Grand et le Petit Catéchisme (1529), les Articles de Smalkalde (1537); trois de Mélanchthon, la Confession d'Augsbourg, l'Apologie de la Confession d'Augsbourg (1530) et Le pouvoir et la primauté du pape (1537), auxquels s'ajoute la Formule de Concorde (1577) qui scelle un accord entre théologiens luthériens. De tous ces textes, le plus important est la Confession d'Augsbourg (c'est pourquoi l'Église luthérienne d'Alsace-Lorraine se nomme "Église de la Confession d'Augsbourg").

Aujourd'hui on parle souvent de courants néoluthériens (y compris parmi les réformés). Ces courants sont très divers ; souvent, ils développent un aspect de la pensée de Luther et en négligent d'autres. Certains mettent l'accent sur le sacrement ou la piété. D'autres insistent sur la justification par grâce (c'est à dire le salut gratuit) qui engloberait l'ensemble de la vie chrétienne. Ils la mettent parfois en relation avec des thèmes existentialistes et psychanalytiques. Sur le plan de la doctrine, de l'Église et de la politique, les néoluthériens sont en général plus conservateurs ou traditionalistes que les réformés; ils sont, par contre, plus attentifs à l'angoisse humaine que l'évangile n'élimine pas, mais qu'il permet de surmonter.

Les réformés

Le courant réformé est né en Suisse sous l'impulsion de Zwingli. On a tort d'appeler les réformés "calvinistes". En effet, Calvin n'est pas à l'origine du courant réformé (comme Luther l'est du luthéranisme), et s'il l'a beaucoup influencé, d'autres, comme, par exemple, le zurichois Bullinger, y jouent un rôle presque aussi important. De plus, il y a toujours eu des réformés anticalvinistes (ainsi Castellion, un précurseur du libéralisme).

Entre luthériens et réformés, il existe une grande proximité; ils se distinguent cependant sur trois points :

1. Le luthéranisme part d'une angoisse existentielle qui amène à s'interroger d'abord sur le salut (comment puis-je être sauvé?), tandis que les réformés partent d'une interrogation sur la juste interprétation de la Bible (qu'enseigne-t-elle exactement?). Bien entendu, les réformés se préoccupent aussi du salut et les luthériens de la juste lecture de la Bible. Il n'y a pas, ici, opposition entre eux, mais différence d'accentuation.

2. Les luthériens mettent l'accent sur la relation existentielle avec Dieu et les réformés sur le comportement dans le monde. Les luthériens sont plus attentifs à la vie spirituelle et les réformés à l'éthique. Là également, il ne s'agit pas d'un conflit; de chaque côté on reconnaît l'importance de la piété et de l'éthique, il n'en demeure pas moins que les insistance ou les priorités ne sont pas les mêmes.

3. Il y a un véritable désaccord, qui s’est traduit pas des disputes très vives au seizième siècle, sur les sacrements qui sont, pour les luthériens, les véhicules ou les canaux de la grâce divine, alors que pour les réformés ils sont des signes qui en témoignent. Les luthériens accordent plus de poids et de valeur au baptême et à la Cène que les réformés.

En dépit de ces différences, luthériens et réformés sont très proches les uns des autres. En Europe, ils ont signé en 1970 la Concorde du Leuenberg qui exprime leur accord sur l'essentiel.

Réforme radicale

Le terme de "réforme radicale" a été forgé par les historiens contemporains pour désigner une nébuleuse de mouvements qui au seizième siècle ont été persécutés et se sont marginalisés. On distingue parmi eux trois tendances :

1. L'anabaptisme refuse le baptême des bébés et, en même temps, rejette toute alliance entre l'État et l'Église. On devient chrétien par une conversion personnelle qui amène à rompre avec le monde, et non en raison de son appartenance à une communauté familiale, religieuse ou sociale. Les baptistes actuels sont, en partie, leurs héritiers.

2. L'illuminisme ou enthousiasme ("enthousiasme" veut dire étymologiquement "Dieu en nous") estime que Dieu s'adresse aux hommes non pas par le moyen de la Bible ou de l'Église, mais directement, en parlant à leur cœur, à leur âme ou à leur esprit. On trouve aujourd'hui une conviction voisine chez des charismatiques ou des pentecôtistes.

3. L'antitrinitarisme qui juge que les dogmes de la Trinité et de la double nature, divine et humaine, du Christ ne sont pas conformes à l'enseignement biblique et doivent être rejetés. À notre époque, les unitariens et les protestants libéraux défendent des positions analogues.

Au seizième siècle, luthériens et réformés entendent réformer l'Église, sa pratique et son enseignement, c'est à dire corriger, et amender ce qui leur semble contraire à l'enseignement biblique (et garder le reste). Les radicaux pensent qu'il faut aller plus loin; ils veulent non pas réformer, mais détruire l'Église existante, et restituer (c'est à dire ressusciter ou reconstituer) l'Église du Nouveau Testament.

Néoprotestantisme, ou protestantisme libéral.

Au début du dix-neuvième siècle, apparaît le néoprotestantisme ou protestantisme libéral. Il opère dans la pensée et la spiritualité chrétiennes un tournant encore plus considérable que celui de la Réforme. Les protestants d'aujourd'hui ne ressemblent guère à leurs ancêtres du seizième siècle. Comme le souligne justement l'historien E. Trœltsch, par leur théologie, leur piété, leurs conceptions de l'Église, leurs pratiques, Luther et Calvin sont beaucoup plus proches de leurs adversaires catholiques de l'époque que de la plupart des luthériens et des réformés actuels.

Sur trois points importants, le néoprotestantisme se sépare du protestantisme de la Réforme.

1. Il renonce, et même s'oppose à l'idée d'un État chrétien, soumis à l'Église. Il accepte la laïcité ou la sécularisation de la société. Il refuse qu'on se serve de la force ou de la loi pour imposer la bonne religion dans un pays. La foi est personnelle, individuelle, non collective.

2. Il ne voit plus dans la Bible un livre dicté par Dieu et, par conséquent, exempt de toute erreur. Il la considère comme un ensemble de textes certes précieux, voire indispensables, mais imparfaits et critiquables, écrits par des hommes qui témoignent de Dieu.

3. Il estime que la doctrine ne formule pas une vérité absolue. Elle ne dit pas ce qu'il faut obligatoirement croire pour être chrétien. Elle exprime la manière dont des chrétiens, en un temps et en lieu donnés, ont compris ou comprennent leur foi. Elle est donc amendable et révisable.

Pour les protestants conservateurs, la Réforme a été faite une fois pour toutes au seizième siècle; elle est achevée. Le protestantisme actuel doit s'y tenir et la maintenir. Pour les néoprotestants, le seizième siècle a mis en marche un processus qu'il faut continuer. La Réforme représente un point de départ ou une première étape, pas un modèle à imiter et à reproduire tel quel. Il importe de réformer la Réforme elle-même pour lui être fidèle.

Le siècle passé.

La génération qui suit la guerre 1914-1918 a réagi vivement contre le néoprotestantisme. Elle développe des thèmes dont certains prédominent jusqu'à aujourd'hui, mais qui sont souvent contestés. J'en mentionne quatre.

1. Dans les années 30 à 60, le "renouveau biblique" cherche dans la Bible un message venant de Dieu. Les écrits bibliques, même s'ils ont été rédigés par des hommes, et non pas dictés par l'Esprit, apportent une révélation venant d'En Haut. Ils sont parole de Dieu à travers des paroles humaines.

Depuis vingt ans, deux éléments remettent en cause ce discours. D'une part, on constate des désaccords importants entre les divers livres bibliques; ils défendent des thèses différentes, voire opposées; il devient difficile de parler de la Bible comme d'un message unique. D'autre part, on a découvert de nombreuses ressemblances entre les écrits bibliques et les textes religieux anciens; elles montrent que la Bible exprime bien l'expérience religieuse d'une époque.

2. Le "chistocentrisme" affirme que Dieu ne se révèle et ne se fait connaître qu'en Jésus (à tel point que le Fils éclipse parfois le Père, voire l'élimine comme dans les courants "de la mort de Dieu"). Pour la théologie dite de la Croix, d'inspiration plus ou moins luthérienne, seule la Croix du Christ montre qui est vraiment Dieu : non pas un être transcendant, non pas un souverain majestueux, comme le croient les religions et les philosophies idolâtres, mais un misérable, condamné, humilié, torturé et exécuté.

Le dialogue avec les religions rend aujourd'hui de plus en plus difficile de soutenir l'exclusivité ou le monopole de Jésus-Christ. Dieu ne se manifeste-t-il pas et ne se rencontre-t-il pas aussi ailleurs, dans des spiritualités qui ignorent l'évangile? Et, si Dieu n'est certainement pas "tout-puissant" au sens où on l'entendait autrefois, il est cependant "puissant" et "agissant" - sinon il ne serait pas Dieu. Peut-on tout centrer sur le Vendredi saint et oublier que Pâques l'a suivi?

3. Les chrétiens ont été, par la force des circonstances, amenés à s'interroger sur leur attitude pendant les deux guerres mondiales, ainsi que sur leur comportement devant le nazisme, le stalinisme, le colonialisme, etc. Dans la ligne du christianisme social, ils se sont beaucoup préoccupés des engagements politiques et sociaux qu'ils avaient à prendre en fonction de leur foi.

À partir des années 80, en réaction à l'esprit "soixante-huitard", certains ont le sentiment que les Églises doivent être prudentes et discrètes dans leurs prises de positions politiques, car il s'agit d'un domaine qui n'est pas le leur. La doctrine dite "des deux règnes", inspirée de Luther, distingue soigneusement d'un côté ce qui relève de l'évangile et de la foi, de l'autre ce qui appartient au monde et à son fonctionnement. Il ne faut certes pas établir une frontière étanche ou une coupure totale entre les deux domaines. Il importe cependant de bien les distinguer et d'éviter des interventions trop fréquentes et pas assez irréfléchies, qui représentent des ingérences des Églises dans des problèmes qui ne sont pas de leur compétence. À quoi on objecte que la prudence s'apparente souvent à la lâcheté, à la démission, voire à la trahison. Ainsi, repart un débat sur la place et le rôle des Églises dans la société.

4. Après la première guerre mondiale, on constate un "retour de l'orthodoxie", marqué par la publication de plusieurs traités de Dogmatique qui veulent dégager des règles et des croyances obligatoires pour un chrétien. On ne voit plus dans les affirmations doctrinales, comme le fait le néoprotestantisme, des expressions mais bel et bien des définitions de la foi. Le rapprochement œcuménique, qui est en soi une bonne chose, a contribué à une revalorisation des dogmes (Trinité, christologie, sacrements) que catholiques et orthodoxes considèrent comme normatifs. Les textes des commissions œcuméniques tendent à jouer la même fonction que les décisions des conciles d'autrefois. Il devient interdit de s'en écarter. On invite souvent à taire les critiques pour ne pas indisposer les partenaires et ne pas nuire à la bonne entente.

Mais l'unité du christianisme doit-elle se faire dans une unanimité doctrinale ou dans une écoute mutuelle et un respect des divergences? Le débat, quand il est loyal et amical, apporte plus qu'un accord, surtout conventionnel et conformiste. De plus, les dogmes classiques et l'enseignement ecclésiastique officiel laissent insatisfaits un nombre grandissant de chrétiens, catholiques comme protestants. Beaucoup cherchent des chemins nouveaux (et la théologie contemporaine en propose de très prometteurs) qui leur permettent de penser leur foi librement. Leur ouverture fait contraste avec les rigidités doctrinales des textes officiels d'autrefois et d'aujourd'hui. La distance grandit entre les déclarations ecclésiastiques et les orientations théologiques réelles de beaucoup de chrétiens.

André Gounelle
Évangile et Liberté, novembre 2001

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot