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Reconnaissance de ministère

 

Quand un homme ou une femme, après avoir terminé ses études de théologie et validé des stages ecclésiastiques, est accepté comme pasteur de l’Église Réformée de France, autrement dit, est inscrit au rôle de ses « ministres », une cérémonie marque l’événement. Il y a un siècle, on parlait de culte de « consécration pastorale ». Dans les années 1970, on a proposé d'adopter l'appellation "ordination pastorale". Aujourd'hui, on dit "reconnaissance de ministère". Je vais m'arrêter sur ces trois expressions. Aucune d'elle ne vient de la Bible. Si le Nouveau Testament mentionne des cérémonies d'entrée dans le ministère, il ne leur donne pas de nom particulier. Il parle seulement de "l'imposition des mains", geste par lequel on demande la bénédiction de Dieu sur ceux qui ont une tâche ou une mission particulières à accomplir. Puisque le Nouveau Testament ne nous indique pas le terme à employer, il nous appartient de chercher celui qui convient le mieux, qui est le plus approprié.

1. Consécration pastorale

L'expression la plus classique et la plus ancienne est celle de "consécration pastorale". On la trouve dès les débuts de la Réforme, au seizième siècle, et on l'a longtemps employée, jusqu'à une époque récente, sans problèmes.

Que veut dire exactement "consacrer"? Un vieux et prestigieux texte réformé nous apporte la réponse. La Confession helvétique postérieure, qui date de 1566, déclare : consacrer, c'est "séparer de l'usage commun et profane et destiner à quelque usage saint et sacré". Autrement dit, quand on consacre quelque chose ou quelqu'un, on le met au service de Dieu et plus précisément de sa parole. On ne modifie pas sa nature, son essence, son être, sa réalité. On ne lui confère pas un pouvoir spécial, on ne lui donne pas une qualité supplémentaire. On en change l'emploi, l'utilisation, on lui confie une fonction particulière.

Ainsi, je prends l'exemple même que donne la Confession helvétique, dans la Cène, on consacre du pain et du vin. Ils sont et restent des aliments ordinaires, semblables à ceux que produisent boulangers et vignerons et que l'on consomme au cours de nos repas quotidiens, mais ils servent à un but différent de celui qui est généralement le leur : à signifier la présence du Christ, à rappeler ce qu'il a fait pour nous et non pas à nourrir physiquement. De même, consacrer un pasteur ne veut pas dire en faire une sorte de mage, de chaman, de gourou doté de capacités différentes de celles des simples fidèles. Cela signifie que son travail, ses occupations vont consister à annoncer et à expliquer la parole de Dieu dans des prédications, des catéchèses, des groupes d'études et aussi des entretiens personnels. Il consacre son temps et ses forces au service de la parole. La consécration ne concerne pas l'être, mais les activités de celui ou de celle qui la reçoit. Il ou elle reste un chrétien comme les autres, qui exerce une fonction particulière, essentielle pour une communauté chrétienne : celle d'annoncer l'évangile, d'expliquer la Bible, de conduire dans le culte et la prière.

Malheureusement, dans la langue française, le mot "consacrer" a pris un autre sens : celui de rendre saint ou sacré, non plus de modifier les activités, mais de transformer l'être. Or, si le pasteur s'occupe à plein temps des choses de Dieu, cela ne fait pas de lui un personnage sacré. Le terme de consécration prête donc à malentendu. Les gens le comprennent mal et lui font dire autre chose que ce qu'il signifiait dans le vocabulaire réformé classique, d'où le malaise qui a conduit sinon à l'abandonner, du moins à le laisser de côté. Que l'on approuve ou que l'on regrette cette évolution, il faut en tout cas garder le sens originel du mot. Le pasteur est un fidèle, comme tous les autres. Il n'a pas de prérogative particulière; mais il s'occupe de cette œuvre de Dieu qu’est la prédication de l’évangile.

2. Ordination

Je passe au deuxième mot utilisé pour l'entrée dans le ministère, celui d'ordination qu'emploient les luthériens et les catholiques. Dans ordination, il y a l'idée d'ordre, d'organisation. Lorsque dans le livre de Actes, les apôtres mettent en place des diacres, ils ont pour souci que les choses se passent bien, qu'il n'y ait pas de mécontentements, de rancœurs et de tiraillements entre les divers membres de la communauté. Dans ce but, ils répartissent les responsabilités. Quand chacun sait ce qu'il a à faire et s'occupe d'un secteur particulier d'activités, on ne gaspille pas son temps, ses forces; on y gagne en efficacité et aussi en harmonie. Une Église a besoin de prédicateurs, de catéchètes, de conseillers spirituels. Il lui revient de discerner et de désigner ceux qui sont aptes et qui sont appelés à de tels ministères. Elle les habilite au cours d'une cérémonie dite d'ordination, puisqu'il s'agit du bon ordre dans l'Église.

 Malgré ses avantages, le mot d'ordination présente deux gros inconvénients qui ont amené à l'écarter.

Premièrement, "ordre" désigne souvent une catégorie spéciale ou une groupe particulier de gens. On parle de l'ordre des templiers, de celui de Malte, ou encore des trois ordres qui composaient la société d'Ancien Régime. Dans notre langue, l'ordination évoque immédiatement l'entrée dans un clergé. On considère qu'elle distingue, sépare de la foule, met à part ceux qui la reçoivent. Or, précisément, la Réforme a affirmé que le pasteur s'il a une activité particulière n'est pas pour cela un homme ou une femme à part, membre d'une caste différente de celle de l'ensemble des fidèles.

Deuxièmement, "ordre" évoque les relations entre des chefs et des subalternes, des supérieurs et des soumis, des décideurs et des exécutants. Le Concile de Trente, au seizième siècle, souligne que l'Église, "comme une armée rangée en bataille", dit-il, a une structure hiérarchique où ceux qui ont "reçu les ordres" dirigent et gouvernent ceux qui sont "subordonnés". Même si le Concile de Vatican 2 a apporté d'importants et d'heureux correctifs sur ce point, il n'en demeure pas moins que la notion d'ordre suggère les différents degrés d'une échelle où certains ont le droit de commander et les autres le devoir d'obéir.

Or, le protestantisme n'a pas voulu inscrire son organisation et ses ministères dans une relation de ce type. Les chrétiens n'ont pas d'autre Seigneur que le Christ. Des conseils paroissiaux, presbytéraux, synodaux dirigent et gouvernent la paroisse. Le pasteur n'est pas un commandant qui donne des ordres. Il écoute, explique, discute, débat. Il agit en persuadant, en convainquant, de même que Dieu dirige le monde et les siens par sa parole, non par contrainte comme l'ont justement souligné les théologiens du courant du Process. À l'inverse, les paroisses et leurs Conseils ne commandent pas leur pasteur. Il n'est pas leur employé, leur commis, leur agent d'exécution. Ils ne peuvent pas lui donner des ordres, mais seulement agir sur lui en l'informant, en lui faisant des remarques et des suggestions, en le persuadant, et en le convainquant. Le pasteur est au service de Dieu dans et pour l'Église, pas le serviteur de l'Église. L'Église est au service du Christ, pas du pasteur. Dans la vie paroissiale il s'agit de chercher ensemble, en s'aidant mutuellement, ce que nous dit et à quoi nous appelle la Parole de Dieu. Les termes d'ordre et d'ordination conviennent mal pour cette relation non hiérarchique, pas toujours facile à vivre dans la pratique, qui consiste en un échange et un respect mutuels entre paroisses et pasteurs et en une écoute commune de la Parole.

3. Reconnaissance de ministère

L'Église Réformée de France a choisi pour le culte où l'on accueille un nouveau pasteur l'expression "Reconnaissance de ministère". Pourquoi parler de reconnaissance? Ce mot comporte trois dimensions, il revêt une triple signification,

D'abord, et essentiellement, celle de reconnaissance envers Dieu qui suscite et appelle les hommes et les femmes dont l'Église, dont les paroisses, dont les fidèles ont besoin pour aider et guider leur vie spirituelle. Dieu nous les envoie, et nous les recevons comme un don qu'il nous fait, pour lequel nous le remercions et le louons. Reconnaissance également du ministre envers Dieu qui lui adresse vocation. Car si la fonction pastorale est exigeante, si elle peut parfois paraître lourde et redoutable, s'il arrive que des difficultés la rendent pénible, en dépit et au dessus de tout cela, elle est pour celui qui l'exerce une source de joie, de bonheur et d'enrichissement intérieurs. Le pasteur donne beaucoup; il reçoit également beaucoup de Dieu, de ses frères et sœurs dans la foi, de ses collègues, de la communauté. Il est accompagné, et non pas seul dans son ministère. Pour cela aussi il remercie Dieu.

Reconnaissance, ensuite, parce que l'Église Réformée de France, la paroisse et les fidèles reconnaissent que le nouveau pasteur a été appelé par Dieu à exercer un ministère parmi eux, et qu'il a acquis les connaissances et la formation nécessaires pour cela. Nous voyons en lui (ou elle) quelqu'un que Dieu nous a envoyé, et qui a été préparée pour le ministère auquel il l'a appelée. Nous l'accueillons, avec son conjoint, car il ne faut pas oublier que les exigences et les contraintes du pastorat ont des répercussions sur la vie de couple et de famille que l’époux ou l’épouse accepte. Il ou elle n'est pas lui-même ou elle-même pasteur. Il n'en demeure pas moins que sa présence, sa compréhension, son attention sont importantes pour le ministère de son conjoint, et cela aussi la communauté doit en avoir conscience et le reconnaître.

Enfin, c'est la troisième dimension, reconnaissance de la communauté par le nouveau pasteur. Il fait sienne la Déclaration de Foi de l'Église Réformée, il accepte les règles de fonctionnement de sa discipline et inscrit son ministère dans le cadre ainsi défini. Il reconnaît le rôle de ses synodes et de ses conseils à l'échelon local, régional et national. Il ne s'agit pas tant d'appliquer et de respecter des règlements, même si on ne doit pas négliger cet aspect, que de reconnaître la présence et l'action de Dieu dans la communauté où l'on exerce son ministère, de la reconnaître comme faisant partie de ce que le Nouveau Testament appelle "le corps du Christ".

*   *   *

Voilà donc ce que veut dire "reconnaissance". Le pasteur consacre ses efforts et son activité à l'annonce et à l'explication de la Parole de Dieu, activité essentielle au bon ordonnancement d'une communauté chrétienne, qui fait que tout y est en ordre. La communauté reconnaît la vocation que Dieu lui a adressée. Il reconnaît la communauté chrétienne où il va exercer votre ministère. Et ensemble nous exprimons notre reconnaissance à Dieu pour les communautés qu'il anime, pour les ministres qu'il suscite, et pour sa Parole qui nous fait vivre.

André Gounelle

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot