1. Savoir et se décider.
La catéchèse : un enseignement.
La catéchèse ne se limite pas à l'enseignement. Certes, elle entend donner une culture biblique et religieuse aux enfants ou adultes qui la suivent. Elle transmet des informations et des connaissances et cet aspect de sa tâche mérite une grande attention. Dans une Faculté de Théologie, on est parfois étonné du peu de choses que les étudiants ont retenu de leur catéchisme. Ils en gardent, dans le meilleur des cas (qui n'est pas rare), et c'est l'essentiel, le souvenir de moments marquants qui ont été pour eux des événements de rencontre avec les autres et avec le Seigneur. Par contre, des contenus, il ne reste pas grand chose. Or, ils sont aussi importants
La catéchèse : une prédication.
La catéchèse comprend donc un élément d'enseignement, mais au delà, elle relève de la prédication. La prédication explique, certes, mais surtout elle vise à faire entendre un message qui concerne existentiellement les auditeurs, qui les place devant une réponse à donner ou une décision à prendre. Il ne s'agit pas seulement pour eux de savoir et de comprendre, mais, bien plus, de s'engager, de prendre parti.
Ne confondons pas la prédication et le "sermon", qui n'en est qu'une forme particulière. La prédication a lieu, certes, au cours du sermon prononcé lors du culte dominical, mais aussi en bien d'autres occasions : dans des entretiens particuliers, dans des études bibliques, dans des chants, dans des rencontres de catéchumènes, etc. Elle fait percevoir à quelqu'un que l'évangile n'est pas une sorte de vérité générale (comme celles qu'on apprend en histoire ou en mathématiques), mais une parole qui lui est adressée personnellement et qui demande de lui une réaction (comme une déclaration d'amour).
L'engagement.
La prédication représente un art difficile : comment amener à une décision authentique?
D'un côté, il faut éviter des pressions psychologiques pour que chacun soit vraiment libre et responsable. Créer un climat trop émotif ne va pas sans inconvénient. Une décision se prend petit à petit, se mûrit, se réfléchit; elle ne s'arrache pas par des procédés artificiels qui l'escroquent plus qu'ils ne la provoquent.
De l'autre côté, il faut éviter d'interminables atermoiements. Ils mettraient dans la situation malsaine d'une campagne électorale qui ne se terminerait pas par un vote ou d'études qui ne déboucheraient pas sur une profession. À un moment ou à un autre, on doit arrêter de s'informer, de balancer, de délibérer et se décider, choisir, trancher. Se donner des échéances et des calendriers, fixer des occasions, rend service.
Du savoir à la décision.
Dans nos Églises, très souvent, ce service, on le demande à la cérémonie dite de confirmation ou de première communion. Elle a pour objectif de permettre de répondre clairement à la question que la catéchèse s'efforce d'expliciter et de faire entendre. Pour bien comprendre la nature de la confirmation, il faut rappeler la manière dont les protestants considèrent les cérémonies religieuses.
2. Les diverses sortes de cérémonies religieuses.
Depuis le seizième siècle, les protestants distinguent quatre catégories de célébrations ou de cérémonies.
Les sacrements
On a, en premier lieu, les sacrements "voulus par Dieu", que le Christ, d'après les Évangiles, nous ordonne de célébrer.
Cette première catégorie comprend uniquement le baptême et la cène. L'un et l'autre, en effet, répondent très clairement aux instructions données par Jésus. "Faites ceci en mémoire de moi", dit-il à ses disciples rassemblés dans la chambre haute le jeudi saint, en rompant le pain pour qu'ils le mangent et en leur faisant boire une coupe de vin (1 Corinthiens 11, v. 24). Et, d'après l'évangile de Matthieu (chapitre 28, v.19), le Ressuscité donne aux siens cette dernière consigne : "Allez, faites de toutes les nations des disciples, et baptisez les au nom du Père du Fils et de l'Esprit".
Les cérémonies nécessaires
Deuxièmement, existent des cérémonies "voulues par Dieu", pour lesquelles il y a des fondements bibliques clairs, mais qu'on ne doit pas ranger parmi les sacrements (parce qu'ils n'ont pas été formellement ou explicitement institués par le Christ, avec un ordre de répétition).
Font partie de cette seconde catégorie, les cultes réguliers de la communauté, les prières, ou le mariage. Le Nouveau Testament nous demande de nous mettre à l'écoute de la parole et de prier. Mais il ne dit pas expressément sous quelle forme, de quelle manière le faire. En ce qui concerne le mariage, il obéit bien à la volonté de Dieu, mais cette volonté s'est exprimée lors de la création (Genèse 1, v. 27-28 et 2, v.18 à 24) et non par le ministère du Christ (comme les sacrements), même si Jésus l'a confirmée.
Les cérémonies indifférentes
En troisième lieu, viennent des cérémonies qui ne sont ni ordonnées ni défendues par la Bible. Elles relèvent de ce qu'on appelle les adiaphora. Ce mot savant et pédant veut dire "les choses indifférentes". Cela ne veut pas dire qu'elles soient sans importance, mais qu'elles ne sont pas théologiquement fondamentales et qu'on peut légitimement avoir des positions différentes à leur égard.
Cette catégorie comprend des cérémonies que l'on juge ni nécessaires ni condamnables. On estime qu'elles sont permises, mais non indispensables. Il y a des circonstances où elles peuvent gêner, embarrasser, poser des problèmes ; il est préférable de les supprimer. Dans d'autres cas, au contraire, elles rendent service, elles apparaissent spirituellement utiles. On a, alors, tout avantage à les pratiquer. L'enseignement du Nouveau Testament ne les impose ni ne les exclut. Les Églises doivent les autoriser, voire les préconiser ou non en fonction du contexte, en tenant compte des mentalités, en jugeant de leur opportunité dans un cadre précis ou une situation particulière. Elles relèvent non pas de la dogmatique (étude des points fondamentaux de la foi chrétienne), mais de la théologie pratique (étude de l'application de ces points fondamentaux).
Dans cette catégorie, on range généralement la confirmation et également la "reconnaissance de ministère" (ce que naguère on appelait la "consécration" ou "l'ordination"), la dédicace d'un lieu de culte, les cultes à l'occasion d'un décès (les "enterrements"), etc.
Les mouvements de réforme radicale (les anabaptistes) rejettent les cérémonies de cette sorte. Pour eux, en matière de religion, on doit interdire tout ce que la Bible ne commande pas expressément. Au contraire, pour les réformés et les luthériens, on peut autoriser ce que la Bible n'interdit pas et ce qui ne contredit pas son message.
Les cérémonies proscrites
Quatrièmement, certaines cérémonies sont condamnables parce qu'elles contredisent l'évangile. Il faut donc les éliminer. On peut mentionner, par exemple, le culte des saints et des reliques, et pour les réformés les processions, alors que Luther les range parmi les adiaphora. De manière analogue, les réformés du seizième siècle se montrent beaucoup plus sévère que le luthéranisme pour les images (tableaux ou statues) dans les lieux des cultes, et aussi pour la musique (les réformés ne sont pas opposés au chant, bien au contraire, mais veulent éviter tout ce qui ressemblerait à un concert dans une cérémonie religieuse).
L'importance de la prédication
Pour les réformés comme pour les luthériens, les cérémonies des trois premières catégories comportent toutes, comme élément essentiel, la prédication (l'annonce "parlée" de l'évangile). Il faut manier avec prudence et nuance la distinction courante entre prédication et les sacrements. Si la prédication ne s'accompagne pas toujours de la célébration du sacrement, par contre le sacrement comporte obligatoirement une prédication. Un texte réformé du seizième siècle (la Confession écossaise de 1560) précise même que la prédication donne sa valeur à la Cène et qu'une Cène qu'accompagne une mauvaise prédication ne vaut pas grand chose (dans ce contexte une mauvaise prédication n'est pas une prédication ennuyeuse, mais une prédication qui n'annonce pas vraiment l'évangile)
3. La "confirmation" discutable et discutée
Évaluer la confirmation
La confirmation apparaît donc comme une cérémonie discutable. Elle ne s'impose pas; elle n'est pas absolument nécessaire; elle ne relève pas d'une obligation. On ne l'écarte cependant pas ni on ne la rejette par principe. Sa légitimité tient au service pratique qu'elle rend, et qu'il faut sans cesse (car les choses peuvent changer très vite) évaluer : favorise-t-elle, ou non, une décision authentique? Encombre-t-elle ou aide-t-elle le développement de la vie spirituelle?
Au temps de la Réforme.
L'histoire confirme ce caractère discutable de la confirmation. Les Réformateurs ont été réservés à son égard, mais leurs réticences s'adressent surtout à la manière dont la comprenait le catholicisme de leur époque. Luther et Calvin reprochent à l'Église romaine d'en faire un "sacrement" au même titre que le baptême et la Cène. On lui donne une valeur indue quand on considère qu'elle ajoute quelque chose au baptême, qu'elle le "valide" en quelque sorte, et lui apporte un "plus". Le récent Catéchisme de l'Église catholique (1992) a réaffirmé cette conception traditionnelle refusée par les Réformateurs (n°1285 à 1321).
Mais une confirmation comprise autrement a sa place chez les protestants. Ils lui reconnaissent une double fonction. D'abord, elle s'adresse au catéchumène, pour lui redire et lui attester à nouveau la grâce de Dieu. Ensuite, le catéchumène s'adresse à l'Église pour confesser publiquement sa foi. Il est à la fois "confirmé" (on l'assure à nouveau, par un signe, de son salut), et "confirmant" (il témoigne de son acceptation de l'évangile).
Dans cette perspective, à la suite de Luther et de Bucer, avec quelques divergences secondaires, Calvin estime normal qu'on vérifie, après leur catéchisme, les connaissances des enfants (ils doivent passer un examen), qu'ils confessent publiquement leur foi, et reçoivent une bénédiction, à condition qu'il soit clair qu'il ne s'agit pas d'un sacrement et "qu'on en use purement et sans superstition" (Institution de la Religion chrétienne, 4,19,4). Toutefois, surtout chez les réformés, la critique prévaut sur la pratique et la confirmation tombe rapidement en désuétude.
Le dix-huitième siècle
La confirmation est réintroduite dans les Églises Réformées de Suisse au dix-huitième siècle par un théologien et pasteur de Neuchâtel, Jean-Frédéric Ostervald.
Ostervald veut lutter contre le relâchement moral des chrétiens. Il entend leur indiquer clairement et nettement leurs devoirs qu'ils ont trop tendance à oublier. Dans ce but, il demande aux catéchumènes, à la fin de leur instruction religieuse, de prendre un engagement solennel (qui marquait leur passage de la condition d'enfant à un statut d'adulte) ainsi formulé :
"Nous ratifions et nous confirmons le vœu de notre baptême. Nous renonçons au diable et à ses œuvres, au monde et à sa pompe, à la chair et à ses convoitises. Nous promettons de vivre et de mourir dans la foi chrétienne, et de garder les commandements de Dieu tout le temps de notre vie".
Le dix-neuvième siècle.
Au dix-neuvième siècle, la confirmation se répand dans le protestantisme français. À la perspective d'Ostervald, s'ajoute un autre thème, très fréquent chez les piétistes. Une cérémonie solennelle impressionne les enfants. Elle représente un événement important dont ils se souviendront toute leur vie, qui les marque et qui contribue à rendre vivante leur religion. La confirmation a donc une valeur subjective; elle vise à toucher l'affectivité et non à sanctionner un certain niveau d'instruction religieuse. L'émotion a plus d'importance que les connaissances. On fait donc de la confirmation avant tout une fête que l'on veut touchante.
La critique.
En même temps que la confirmation se répand, sa critique se développe. On lui reproche de devenir un rite social de passage sans signification spirituelle. Cette objection prend deux aspects.
La première se trouve formulée dans l'article sur la confirmation que L. Ruffet rédige dans l'Encyclopédie des Sciences religieuses de 1878. La confirmation, écrit-il, "est pour la grande majorité des catéchumènes non un acte de renoncement à eux-mêmes et de consécration à Dieu, mais le titre de leur entrée dans le monde, une sorte de majorité religieuse, qui leur confère le droit de jouir de plaisirs jusque là défendus". Un rite mondain a parasité la cérémonie, et lui a enlevé son caractère religieux.
La seconde souligne la contradiction entre la théorie et la pratique. Comme l'écrit Bernard Reymond, les catéchumènes "étaient censés prendre librement des engagements que tout concourait à rendre obligatoires". Comment pourraient-ils se dérober, en effet, à la pression de leur famille et de leur milieu? Pour refuser de confirmer, il leur faudrait une force de caractère peu commune. On leur présente la confirmation comme leur première décision d'adulte, alors qu'il s'agit en fait d'un acte d'obéissance qui leur rappelle qu'ils sont mineurs, au moment où ils commencent à avoir envie de s'émanciper.
Dans les années soixante de notre siècle, cette dernière critique a pris beaucoup d'ampleur. On dénonçait dans la confirmation une cérémonie formaliste et vide, plus sociologique que religieuse qui aboutissait au contraire de ce que l'on avait cherché en l'instituant. Aujourd'hui cette critique s'atténue beaucoup avec la redécouverte de l'importance des rites, nécessaires pour structurer l'existence.
4. Quelle confirmation pour aujourd'hui?
La situation actuelle dans l'Église réformée de France.
En 1968, le synode de Royan laisse une grande liberté d'appréciation aux conseils presbytéraux et régionaux. Il leur revient d'organiser des cultes publics de confirmation, ou au contraire de les éviter et de trouver des cérémonies mieux adaptées (au cours d'un camp de catéchumènes, par exemple). La Discipline (le "règlement") prévoit, cependant, que "les catéchumènes reçoivent le baptême ou la confirmation de leur baptême au cours d'un culte public dans des conditions d'âge et de préparation fixées par le synode".
Il paraît probable que les débats sur le membre d'Église, dans les prochains synodes, et que celui sur le baptême qui s'annonce relanceront cette question.
Orientations.
Il est évidemment impossible de prévoir les conclusions de futures discussions. Trois points, cependant, à la lumière de ce que nous venons de voir, semblent importants.
1. Il faut distinguer soigneusement "baptême" et "confirmation". Le baptême, même quand il s'agit d'un baptême d'adulte, se reçoit. Il symbolise ou signifie l'acte de Dieu qui vient vers nous, qui nous donne sa grâce de sa propre initiative, avant toute acceptation de notre part. Le baptême témoigne que notre foi est précédée par un acte de Dieu qui la suscite et l'entretient. Si on met l'accent sur l'engagement du croyant, on en masque un aspect essentiel.
2. Malgré plusieurs essais, on n'est jamais parvenu à définir de manière satisfaisante le lien entre la confirmation, d'une part, et le baptême et la Cène d'autre part. Si le baptême a besoin d'être "confirmé", cela veut dire qu'il lui manque quelque chose, qu'il n'est pas suffisant ou complet, conclusion qu'ont toujours refusée les Églises protestantes. De même, on n'a aucune raison majeure de faire de la confirmation la condition nécessaire pour être admis à la Cène. Il faudrait réfléchir à la possibilité de donner sens à la confirmation indépendamment des sacrements. Le synode de Royan invite à aller en ce sens en souhaitant que la confirmation reprenne "son sens véritable qui est celui d'un libre engagement et d'une fête de la communauté ecclésiale".
3. Enfin, dans ce domaine, on ne doit pas se lancer dans une querelle dogmatique. L'enseignement évangélique, et les principes de la Réforme n'imposent pas ni n'interdisent la confirmation. Nous pouvons donc la pratiquer ou ne pas la pratiquer librement, en cherchant ce qui, dans notre situation convient le mieux. Il faut se demander si elle rend les deux services que l'on attend d'elle : aider à prendre une décision; marquer une étape dans la vie spirituelle et dans la formation religieuse.