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Installation

Dans l’Église Réformée de France, quand un pasteur nouvellement nommé arrive dans une paroisse, quand un « ministre spécialisé » débute son activité, quand un conseil presbytéral, régional, national après élection entre en fonction, on revoit un culte dit « d’installation ». Quel en est le sens ?

Installer

Il me faut l’avouer. Les mots « installer » et « installation » me laissent perplexes, me gênent et m'inquiètent. Je ne les aime guère. L’existence de chacun de nous, la vie d'une paroisse, l’activité d'un ministre et d’un conseil ecclésial se caractérisent par le mouvement, le déplacement, la marche en avant. Elles ressemblent, pour reprendre une image de l'apôtre Paul, à une course ou à un voyage. Installer veut dire étymologiquement "mettre dans un stalle" (comme celles des chœurs des cathédrales d'autrefois, propices à la somnolence liturgique des chanoines; ou encore comme les statues de saints pétrifiés et peinturlurés que l'on scelle dans des niches prévues pour que rien ne puisse les en faire bouger). Quand on s'installe, on s'arrête, on se fixe, on s'immobilise; on ne progresse et on n'entreprend plus. On s'installe dans un fauteuil pour s'y délasser après avoir terminé sa tâche; on s'installe dans une maison pour s'y reposer lorsqu'on a achevé de la construire et de l'aménager. Pour la mise en place d'un pasteur ou d’un conseil, il serait plus juste, me semble-t-il, de dire « démarrage», « envoi », « inauguration », de parler d'une nouvelle étape qui s'ouvre, d'un chantier qui se poursuit, bref il vaudrait mieux utiliser un mot qui évoque une dynamique plutôt qu'un arrêt..

D'ailleurs, les mots "installer" et "installation" ne se rencontrent que rarement dans la Bible. J'ai consulté ma concordance (on appelle concordance un répertoire qui permet de retrouver rapidement les versets bibliques à partir de mots clefs). Le mienne est ancienne, elle date de 1886, mais assez sûre. Elle m'a donné une seule référence (et encore les versions actuelles traduisent-elles autrement) : dans les récits de la nativité, lorsque Marie emmaillote son bébé nouveau-né et l'installe dans la crèche. Marie, ce n'est pas une très bonne référence pour un protestant, mais de toutes manières, heureusement que Jésus s'est démailloté et qu'il est sorti, parti de sa crèche pour parcourir les routes et visiter les bourgades de Palestine; sinon nous aurions peut-être de beaux santons pour décorer nos maisons à Noël, mais en tout cas pas d'évangile pour vivre tous les jours.

Quand j’assiste ou participe à un de ces cultes d’installation, j’ai tiujours envie de crier : surtout ne vous installez pas. Notre Dieu, celui de Jésus Christ, nous demande de marcher, d'avancer, de bouger. Selon la parole qu'a reçue Jérémie, n'arrêtons pas d'arracher et d'abattre, de construire et de planter. Ecclesia reformata quia semper reformanda disaient les protestants du dix-septième siècle. Une église réformée n'est pas une église installée dans ses habitudes et ses conformismes, mais une église qui sait sans cesse se réformer, qui reçoit de la parole de Dieu des impulsions, des poussées, un élan, une église que le Saint Esprit bouscule, dérange, stimule, et anime. Sans cesse nous avons à redécouvrir de l'ancien et à percevoir du nouveau dans ce que nous disent les Écritures. Parce que cette parole est vivante, et n'a rien d'un vieux grimoire à ranger, à installer, sur les rayons d'une bibliothèque poussiéreuse, il nous faut toujours à nouveau l'actualiser dans notre monde, la traduire et l'incarner dans notre culture, la faire avancer dans notre vie personnelle et communautaire.

Établir

Si "installer" ne se trouve que rarement dans la Bible, il y a toutefois un verbe voisin, proche, apparenté que l'on rencontre à plusieurs reprises et qui intervient dans des passages et à des moments importants : celui d'établir. J'en cite quelques-uns. D'abord, dans l'Ancien ou Premier Testament, l'Éternel déclare à Jérémie : "Je t'établis prophète des nations". Dans le Nouveau Testament, Jésus, selon l'évangile de Marc, "établit" les douze disciples. Quand Paul adresse son discours d'adieu aux anciens, c'est à dire aux pasteurs d'Ephèse, il leur dit : "Le Saint Esprit vous a établis". Dans les Actes des Apôtres et dans les Épîtres, on mentionne quatre ou cinq fois les ministères que Dieu a établis dans l'Église.

Cet emploi biblique du mot établir me rend à nouveau perplexe et m'embarrasse. Établir veut dire rendre stable. Rendre stable revient à peu près au même que placer dans une stalle, qu'installer. Alors, je m'interroge. Mes propos précédents sont-ils bien justes? Ne me suis-je pas laissé quelque peu emporter, et n'ai je pas été excessif comme souvent les prédicateurs. Au sortir d’un culte, une de mes vieilles paroissiennes me disait : "on sait ce que c'est, monsieur le pasteur, on en prend et on laisse"; elle avait tout à fait raison, sauf qu'à mon goût elle en laissait un peu trop. C'est vrai, j'ai exagéré, et le verbe "installer" a le mérite de souligner notre besoin de repères fiables qui évitent de divaguer, de rocs sur lesquels s'appuyer, de maisons robustes qui abritent et protègent. Il nous faut des lieux et des moments pour nous reposer, c'est à dire pour nous poser à nouveau, pour retrouver ce qui nous fonde et ce qui donne de la solidité, de la stabilité à nos existences. L’institution ecclésiale avec ses conseils et ses pasteurs n’a-t-elle pas pour mission de maintenir des points fixes, d'entretenir nos ancrages et nos fidélités, de renforcer et de cultiver nos enracinements? Ce qu'on établit nous empêche de tourner en tout sens désorientés par les agitations de la modernité, comme les feuilles d'automne que ballottent les vents tourbillonnants?

En fait, il n'y a pas vraiment contradiction avec ce que j'ai dit précédemment sur le danger de l'installation. Dans les textes bibliques, l'établissement et le déplacement ne s'opposent pas ; ils vont ensemble. Quand Jésus établit les douze, il ne leur demande pas de rester en place, mais de le suivre dans ses pérégrinations et, comme le précise Marc, il les envoie prêcher. Jean écrit qu'ils ont été établis pour porter des fruits, non pour être des monuments aussi majestueux qu'improductifs, comme ceux érigés sur les places de nos villes et villages ou installés dans les niches des églises d'autrefois. Selon une parole d'Esaïe citée par Paul, Dieu établit le prophète ou l'apôtre en lui donnant la mission de prêcher le salut jusqu'aux extrémités de la terre (pas de s'enfermer chez lui). Dieu établit des conseils et des ministres pour qu'ils se bougent et pour qu'ils fassent bouger, pas pour qu'ils restent et qu'il laissent les choses et les gens en place.

Oui, allons de l'avant, décidément, résolument, hardiment, mais pas à l'aventure, pas au hasard, pas n'importe comment. Utilisons les poteaux indicateurs, et les cartes qu'établit la Bible pour ne pas emprunter des chemins qui ne conduisent nulle part. Les conseils ont pour fonction de baliser nos chemins et de nous aider à nous orienter. L'une des missions essentielles de celui qui prêche et enseigne est de nous apprendre à les lire, à les déchiffrer et à les utiliser. Conseils et ministres sont établis non pour nous figer et nous immobiliser, mais pour nous stimuler, et nous accompagner dans nos déplacements.

 

Qui installe ou établit ?

Nous venons de voir pourquoi on établit des conseils et des ministres dans l'Église : parce que nous avons besoin de repères pour aller de l'avant. Il nous faut nous demander maintenant qui les établit ou les installe. La réponse ne fait aucun doute : c'est Dieu. Dans les textes du Nouveau Testament qui parlent des ministères, le sujet du verbe établir est toujours Dieu ou Jésus ou l'Esprit, à une seule exception près. Tite, responsable des églises de Crète, reçoit une lettre de Paul (nous ne sommes pas sûrs qu'il s'agisse vraiment de l'apôtre, mais peu importe). Cette lettre lui demande d'établir dans chaque ville des anciens, par quoi il faut comprendre probablement plutôt des pasteurs que des conseillers presbytéraux. Cette exception me paraît intéressante; elle signale dans l'installation ou plutôt dans l'établissement des pasteurs, les responsables ecclésiastiques ont un rôle à jouer. Ce que font dans l'Église Réformée de France, les conseils presbytéraux et régionaux, les synodes, qui se trouve impliqués dans toute nomination. Que ce rôle soit mentionné une seule fois et dans une épître mineure montre que sans être négligeable, il reste cependant modeste, ce à quoi nous, réformés, tenons beaucoup, à la différence d'autres Églises qui donnent à leur hiérarchie et à leurs autorités ecclésiastiques un poids, à nos yeux, excessif.

Dans tous les autres textes, le ministre est établi par Dieu, autrement dit il tient sa mission ni de lui-même (il ne s'autoproclame pas), ni de la paroisse dont il devient le pasteur. On voit bien d'ailleurs que lorsque Paul écrit qu'il a été établi prédicateur et docteur, il y a une pointe polémique à l'égard des communautés qui voulaient le régenter. Il me paraît important de le souligner, car on constate actuellement une tendance grandissante chez les réformés français à considérer le pasteur comme l'agent d'exécution du conseil presbytéral, voire comme l'employé de la paroisse. On a même parfois l'impression que quand on l'installe, il ne s'assied pas dans un fauteuil perpétuel comme à l'Académie Française, mais sur un siège éjectable que l'on fera fonctionner très vite et pour peu de choses. Si on estime que le pasteur ne convient pas, on le remercie et on le congédie en toute bonne conscience, sans que la communauté s'interroge beaucoup sur elle-même ni ne se mette en question. Certes, et il faut l'affirmer très fortement, le pasteur n'est pas le chef. Dans la paroisse, il ne commande pas et il appartient au conseil presbytéral de prendre les décisions. Certes, le pasteur, et il ne doit jamais l'oublier, a des devoirs parfois lourds et des obligations souvent exigeantes. S'il ne les remplit pas, il est normal qu'on le sanctionne. Toutefois, le pasteur tient sa mission d'ailleurs que de la communauté et il a pour tâche de faire entendre et de faire respecter une parole qui ne vient pas de lui, ni de sa paroisse ni même de l'église, et qui n'est pas forcément ni toujours celle qu'elle a envie d'entendre. Il n'en découle nullement que ses propos et ses avis soient indiscutables. Il est un interprète à qui il arrive, comme à tout commentateur, de se tromper, de comprendre de travers, de mal transmettre le message qu'il entend proclamer, ou d'en tirer des conséquences et des applications erronées. Cependant, qu'il soit ministre de l'évangile, chargé par Dieu de l'annoncer et de l'expliquer implique que nous, ses paroissiens ou ses collègues, devons toujours prendre au sérieux, écouter et recevoir ce qu'il nous dit, et y réfléchir. En tout état de cause, il s'agit d'une parole qui compte, qu'on ne doit pas prendre à la légère et contester ou rejeter trop facilement. Nous devons attention et respect à ce que disent les Conseils, à ce que prêchent les pasteurs même si nous ne confondons pas leurs propos avec la parole de l'évangile qu’ils s'efforcent, sans toujours bien y réussir, mais parfois avec succès de faire entendre.

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Dans les trois points que j'ai développés, un thème est revenu constamment, que je dégage rapidement pour terminer : celui de la parole. Dieu établit Jérémie en lui touchant la bouche, Jésus établit les disciples pour qu'ils proclament l'évangile et l'apôtre Paul est établi prédicateur et docteur. Dieu agit dans le monde, il nous convertit, nous transforme, nous réconforte et nous stimule, il nous mobilise et nous met en route par sa parole. Cette parole qui a pris visage en Jésus Christ, nous en vivons et en témoignons La mission des églises, de leurs conseils et des pasteurs est de nous la faire entendre de nous ramener sans cesse à elle pour qu’elle nous mobilise et nous fasse avancer.

André Gounelle

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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