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Divisés pour mieux croire

 

Un slogan œcuménique

Depuis les débuts de l'œcuménisme, les partisans d'une unification des églises ne cessent d’affirmer que le témoignage des chrétiens serait bien plus fort et aurait de meilleurs résultats s’ils formaient une seule et même église. Ces propos, tenus en toute bonne foi et avec une sincérité que je ne mets pas en doute, me paraissent faux. Loin de nuire au rayonnement de l'évangile, la multiplicité des Églises l’a plutôt favorisé.

Aux origines de l'église

Dans ses débuts, le christianisme a été divers et divisé. Ses différents courants polémiquaient durement les uns contre les autres. On en a des traces dans les épîtres de Paul où l'apôtre ne manifeste pas beaucoup de compréhension ni de tolérance pour ses adversaires. Il ne donne pas un modèle d'esprit d'entente œcuménique. Il n'en a pas moins converti beaucoup de gens et il a fortement contribué à répandre l'évangile. On peut en dire autant de Jean ou de Pierre. Comme l'écrit G. Riley dans son livre Un Jésus. Plusieurs Christs, les premiers "missionnaires chrétiens qui partirent prêcher l'Évangile" avaient des conceptions "certes intelligentes et défendables mais contradictoires ... Cela n'empêcha pas le christianisme de s'imposer dans le monde romain" (p.13).

La pluralité a constitué un atout et non un handicap. Elle a permis de présenter l'évangile avec des expressions et sous des formes adaptées à des gens dont les cultures, les traditions et les orientations étaient très différentes, parfois divergentes. Cette première chrétienté aux prises avec de fortes et de nombreuses luttes internes a été rayonnante.

Quand au troisième siècle son officialisation par l'empereur a conduit à unifier l’Église sous la direction de l'évêque de Rome,et à définir une doctrine commune (ce qu'ont fait les conciles des quatrième et cinquième siècles), elle a cessé d'attirer à elle, ou, plus exactement, elle a conquis de nouvelles populations non plus par la persuasion, mais par la force (celle des armes, celle de la puissance économique, celle du prestige des idéologies dominantes).

La situation contemporaine

Aujourd'hui en Occident, c'est aux États-Unis d'Amérique que les églises se remplissent le plus et que la pratique est la plus forte. À tel point que des sociologues parlent de "l'exception religieuse américaine". En Europe, partout la modernité a entraîné un recul important du religieux. Il n'en va pas de même aux U.S.A. Or, c'est aussi le pays où l'on trouve le plus de dénominations différentes et où le christianisme paraît le plus émietté. Il n'est pas rare que dans de modestes bourgades, cinq ou six églises différentes se côtoient.

Par contre, là où une église domine massivement et où le christianisme peut paraître fortement uni, à quelques dissidences minimes près, la sécularisation et l'athéisme se sont fortement développés. On le constate, pour citer quelques exemples parmi beaucoup d'autres, dans la Scandinavie luthérienne, ainsi que dans la France, l'Espagne, ou au Québec catholiques.

L'explication de ce phénomène, Adam Smith (1723-1790) l'avait déjà bien vue. Quand il y a une seule église, celui qui entre en conflit avec elle sur un sujet quelconque ou qui est en désaccord avec tel ou tel point de son enseignement et de ses orientations, n'a pas beaucoup de choix : ou il y reste, un peu malgré lui, et son malaise intérieur l'incite à ne pas trop s'y engager; ou il s'en éloigne, rompt avec elle et la quitte. Dans les deux cas, il n'a plus de lieu où entretenir et cultiver ses convictions religieuses et où pratiquer la forme de piété qu'il affectionne. Bien souvent, il en résulte un affaiblissement de la pratique religieuse, parfois suivi par une complète disparition. Par contre, là où existent de nombreuses églises, l'insatisfait a des chances d'en trouver une qui lui convienne (ne fût-ce qu'à peu près), qui lui permette d'alimenter et d'approfondir sa foi. Le monopole ou l'exclusivité d'une forme de religion enferme dans une solution unique à accepter ou à rejeter, alors que la diversité offre un éventail de possibilités alternatives.

Quand dans une rencontre œcuménique, catholiques, orthodoxes et protestants disent la même chose, un ennui profond s'empare des auditeurs. Ils se disent satisfaits, mais au fond cela ne les touche guère. Au contraire quand des différences s'expriment, quand une discussion s'engage, souvent ils sont vivement intéressés et se sentent concernés par ce qui est en débat. Certes, et ils ont bien raison, ils répugnent à ces joutes (trop fréquentes dans le monde politique) où chacun cherche à démolir par n'importe quel moyen l'adversaire. Mais quand les interlocuteurs s'écoutent, se respectent mutuellement, tiennent compte de ce que l'autre dit, alors les désaccords favorisent la réflexion, stimulent les énergies et suscitent une recherche spirituelle beaucoup plus qu'une fade, endormante et souvent frustrante unanimité.

Unité et union

L'idéal latin de l'unité a un aspect dictatorial. Il nie ce que la diversité a de légitime et il n'admet un juste exercice de la liberté que dans les étroites limites d'un "théologiquement correct" dont le contenu varie d'ailleurs : il n'est pas le même pour les catholiques, les orthodoxes, les protestants, les traditionalistes et les modernistes. À l'opposé, le communautarisme, cher aux anglo-saxons, qui donne une grande valeur aux particularités de chaque famille religieuse, risque de fragmenter la chrétienté en de multiples groupes sans rapport les uns avec les autres.

Les modèles fédératifs, dans le domaine ecclésial comme politique, ont le mérite de vouloir (sans toujours y réussir) établir une union qui ne soit pas une unité. L'union consiste à vivre, à penser, à agir en concertation les uns avec les autres, à établir des réseaux d'échanges et de collaboration en respectant les diversités. Aimer son prochain ne signifie pas annuler ce qui le distingue de nous, mais y être attentif, respecter sa différence, en tenir compte. Ce n'est pas la division qu'il faut stigmatiser et qui s'oppose à l'esprit du Christ; c'est le conformisme dominateur et le conflit haineux (l'un entraîne souvent l'autre).

Quel témoignage est le plus juste et le plus fort à l'évangile? Avoir une seule organisation ecclésiastique, une même dogmatique, des rites identiques? Ou savoir s'écouter et débattre ensemble dans un respect mutuel alors que croyances, opinions et pratiques ne concordent pas? Dans le monde d'aujourd'hui, qu'est ce qui va frapper le plus les gens? Que nous soyons tous uns, semblables, coulés dans le même moule (comme dans les sectes ou les partis totalitaires de naguère) ou que divisés nous sachions vivre paisiblement et activement ensemble, différents certes, mais néanmoins profondément et amicalement liés?

André Gounelle
Évangile et Liberté, janvier 2003

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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