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Symbole dit « des apôtres »
et mythologie
Le symbole dit des apôtres est doublement mythologique. Il l'est, d'abord, par la présentation inexacte que l'on en fait souvent, par la valeur indue qu'on lui accorde assez généralement dans le christianisme. Il l'est également par ses énoncés, par plusieurs des affirmations qu'il contient. Voyons successivement ces deux points.
Un texte mythologique
Le titre même donné à ce texte, "symbole des apôtres", relève de la mythologie, et entretient une erreur ou, en tout cas, une confusion en laissant entendre qu'il aurait, comme les écrits néotestamentaires, une origine apostolique.
Le symbole et les apôtres
Une vieille légende prétend qu'il aurait été composé par les douze apôtres, chacun en formulant un des articles. Cette légende est évidemment fausse puisque le symbole apparaît longtemps après leur mort. Sa rédaction, par étapes successives, s'étale entre le troisième et sixième siècle.
Quand on parle aujourd'hui de "symbole des apôtres", on n'entend pas reprendre cette vieille légende dont on sait bien qu'elle est fausse, mais affirmer que ce texte résume, condense, récapitule en quelques phrases l'essentiel de la prédication des apôtres. "Symbole" signifie ici "texte représentatif" et "des apôtres" ne veut pas dire qu'ils en seraient les auteurs, mais qu'on y trouve le sommaire de leur enseignement. Cette affirmation relève tout autant de la mythologie que la légende d'une rédaction par les douze apôtres.
Uniformité et pluralité.
En effet, les enseignements des apôtres, le Nouveau Testament le montre, sont divers, pluriels et, même s'ils comportent des éléments communs, on ne peut pas les ramener à l'unité dans un texte de synthèse. Entre Jean et Paul, entre Matthieu et Marc, il y a des divergences irréductibles. Ils n'ont pas la même manière de comprendre la vie chrétienne, l'organisation de l'église, la fin de temps, etc. Leurs doctrines diffèrent, même s'il partagent tous la conviction fondamentale, celle qui définit la foi chrétienne, à savoir que Dieu se manifeste et agit de manière décisive en Jésus de Nazareth qui apporte le salut et transmet la grâce divine au monde. Cette pluralité, le Nouveau Testament a su la prendre en compte et la respecter. Il n'a pas voulu unifier. Il n'a pas essayé de réunir les quatre évangiles, par exemple, en un seul récit, ou de regrouper dans un traité unique ce que disent les épîtres. L'évangile s'exprime dans plusieurs textes et la foi chrétienne se confesse non pas d'une seule voix, mais de manière diverse. La plupart des Églises chrétiennes n'ont malheureusement pas suivi l'exemple du Nouveau Testament. Par autoritarisme et dogmatisme, elles ont voulu imposer une formule unique qui ne peut que mutiler et trahir la prédication des apôtres. Sous l'influence des courants libéraux, et non sans mal, l'Église Réformée de France a su échapper à cette déviation. Dans sa Déclaration de foi, elle mentionne le symbole des apôtres comme l'une des "expressions successives" de la foi chrétienne. La foi chrétienne se dit dans des formulations diverses et relatives dont aucune ne peut se prétendre complète, définitive et normative. Chacune est un essai, avec ses forces et ses faiblesses, pour exprimer dans un contexte donné la prédication apostolique. Quand on veut imposer une formulation unique de l'évangile et de la foi chrétienne, on les trahit forcément et on présente une caricature de l'enseignement des apôtres.
Un mauvaise présentation de la foi.
À quoi, il faut ajouter que le symbole dit des apôtres donne un très mauvais résumé de l'enseignement du Nouveau Testament. Il en laisse de côté des points essentiels : le salut par grâce, la vie nouvelle que Dieu fait naître en nous, l'annonce du royaume de Dieu, la prédication de Jésus. Il ne dit rien, non plus du baptême et de la Cène (mais pour ma part, je ne le lui reproche pas, car les sacrements me paraissent secondaires pour la foi et dans la vie chrétiennes).
Certes, de nombreux commentateurs ont estimé que ces points sont sous-entendus. Selon eux, on peut et on doit les déduire du symbole; ils y seraient présents implicitement. À supposer qu'ils aient raison (ce qui n'est pas évident), on peut remarquer qu'il est pour le moins étrange qu'un texte qu'on déclare représentatif ne dise pas explicitement l'essentiel.
On a adressé un autre reproche, plus fondamental, au symbole dit des apôtres. Il réduit la foi chrétienne à une liste de croyances. Croire y signifie accepter un certain nombre de doctrines dont il dresse la liste. Le credo (le "je crois") s'identifie avec des credenda ("des choses à croire"). L'aspect personnel de la foi, relation vivante avec Dieu, confiance et espérance, engagement au service du Christ, lutte, force et joie existentielles, y manque (ou y est sous-entendu, comme si c'était secondaire). Ce n'est en tout cas pas le sens de la foi dans le Nouveau Testament. Quand Jésus appelle Jaïrus à croire, quand il admire la foi du centenier de Capernaüm, lorsqu'il dit à la femme malade ou à l'aveugle de Jéricho: "ta foi t'a sauvé", il ne se préoccupe pas des doctrines qu'ils professent ; il ne les interroge pas sur la création, la naissance virginale, la résurrection, et sur tout ce qu'énumère le symbole. La foi ne consiste en un "paquet de doctrines", pour reprendre une expression du théologien Gehrard Ebeling, qu'il faudrait accepter tout ficelé. Elle est vie avec Dieu, en fonction de l'évangile. Que cette vie s'exprime dans des croyances, rien de plus normal. Par contre, l'assimiler à des croyances constitue une méprise sur sa nature et fait passer à côté de ce qu'il y a de plus profond et de plus authentique dans l'évangile.
La légende d'un texte d'union
Dans les liturgies successives de l'Église Réformée de France, la lecture du symbole dit des apôtres est introduite par la phrase suivante : "Dans la communion de l'Église universelle, confessons la foi chrétienne". Cette phrase d'introduction est inexacte, on peut même dire mensongère. D'abord, parce qu'en disant le symbole, on ne confesse pas la foi chrétienne, mais une des formes de la foi chrétienne, ce qui n'est pas la même chose. Ensuite et surtout, parce qu'elle entretient une autre mythologie : celle que le symbole serait un texte d'unité, commun à tous les chrétiens, sur lesquels ils s'accorderaient et se retrouveraient au delà de leurs différences confessionnelles. On l'entend souvent affirmer, avec une belle ignorance, en particulier dans les rencontres œcuméniques. Je m'attriste toujours que lorsqu'on désire un texte commun que l'on puisse dire ensemble, d'une seule voix et d'un seul cœur, on le cherche dans la tradition ecclésiastique et non dans la Bible. Il y a dans le Nouveau Testament quantité de très beaux passages qui permettent une communion autrement profonde, vivante et dynamique que le symbole. Et on oublie allègrement les contestations provoquées par ce texte, non seulement au cours des premiers siècles, car il a, à l'origine, des dimensions polémiques, mais aussi plus récemment. Le symbole dit des apôtres a été une pomme de discorde entre orthodoxes et libéraux. On ne peut pas dire qu'il fait l'unanimité. Il existe des chrétiens qui ne s'y retrouvent pas et qui refusent de l'accepter.
Des affirmations mythologiques
Il est mythologique de prétendre que le symbole dit des apôtres résume l'essentiel de l'enseignement du Nouveau Testament et d'y voir un texte de consensus parmi les chrétiens, qui exprimerait "la communion de l'Église universelle". Le symbole a aussi un caractère mythologique par certaines des affirmations qu'il contient.
Mythe et mythologie.
Il faut distinguer mythe et mythologie. Le mythe entend exprimer, souvent sous forme de récits, des vérités ou des réalités qui ne relèvent pas du savoir ordinaire. Il nous ouvre à des mystères qui à la fois nous touchent, nous atteignent et nous dépassent. Ainsi, les récits de la création, au début de la Genèse, sont mythiques. Personne ne le conteste sérieusement. Cela n'enlève rien à leur valeur. Il ne faut pas assimiler le mythique avec la fabulation ou la tromperie. Il traduit des convictions existentielles et des expériences spirituelles qu'on ne peut pas formuler autrement, parce qu'il s'agit d'autre chose que de connaissances proprement dites.
La mythologie constitue une déviation et une perversion du mythe. Elle tente de faire du mystère, exprimé par le mythe, un savoir. Elle le met sur le même plan que les connaissances ordinaires. Elle le ramène à des faits empiriques, au lieu d'y voir un langage pour transmettre un sens qui se situe sur un plan différent. Ainsi, elle fait des premiers chapitres de la création un rapport historique qui décrirait ce qui s'est passé autrefois, de la même manière que l'on pourrait raconter ce qu'on a vécu durant la journée d'hier ou qu'un historien établirait la chronologie de la seconde guerre mondiale. Le mythe préserve le mystère tout en le dévoilant. La mythologie le supprime en le mettant au même niveau que les autres connaissances et expériences.
Alors que le mythe ouvre l'intelligence à ce qui la dépasse sans pour cela la supprimer, la mythologie conduit à des croyances aveugles et absurdes et exige de l'intelligence qu'elle s'y soumette. Deux tentations menacent toujours la religion : la superstition et l'obscurantisme. Le mythe, bien compris, permet de leur échapper; la mythologie, au contraire, tombe dans ces deux erreurs et déviations.
Mythe et histoire
Prenons le second paragraphe du symbole dit des apôtres, celui qui concerne Jésus. Il comporte les affirmations suivantes :
"Il a été conçu du Saint Esprit, il est né de la Vierge Marie, il a souffert sous Ponce Pilate; il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli; il est descendu aux enfers; le troisième jour il est ressuscité des morts, il est monté au ciel; il siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant, il viendra de là pour juger les vivants et les morts"
Cette énumération met sur le même plan des affirmations de nature différente, sans introduire aucune distinction entre elles. Les supplices infligés à Jésus sous Ponce Pilate, sa crucifixion, sa mort et son ensevelissement sont des faits empiriques, qui relèvent d'un constat.
Il n'en va pas de même de la naissance virginale. Les récits de Noël constituent un mythe qui entend délivrer un message : à savoir que Jésus vient de Dieu, qu'il est un nouveau Moïse, qu'il marque le début d'une nouvelle création. Sur ce point on peut se référer à l'étude déjà ancienne, mais toujours pertinente d'André Malet, Les évangiles de l'enfance, mythe ou réalité. (Alethina). Pour ma part, je crois que ces récits expriment des vérités profondes, qui sont constitutives de ma foi; je ne pense pas qu'ils racontent des événements réels. Si les textes de Noël font autorité pour ma foi, cela ne veut pas dire que j'admette le fait physiologique de la naissance virginale. La mettre sur le même plan que la mort de Jésus entretient une confusion, et contribue à faire passer du mythe à la mythologie. Ce qui est une expression de la foi devient objet de foi.
La même remarque s'applique à la fin du second paragraphe du Symbole. Il mentionne que Jésus est monté au Ciel, s'est assis à la droite de Dieu, et qu'il reviendra à la fin des temps pour juger les vivants et les morts. Ce sont des expressions évidemment imagées, liées à la culture d'une époque. Même si on accepte dans la foi ce qu'elles veulent dire, on ne voit pas pourquoi il faudrait absolument conserver des conceptions désuètes, incompréhensibles et égarantes pour la plupart. Il existe des manières certes mythiques et symboliques, mais non mythologiques et moins inadaptées de dire l'espérance chrétienne. Elle n'est pas la croyance en un scénario apocalyptique de fin du monde, mais confiance en la vie divine triomphante de toutes les négativités, y compris celles de la mort.
Un étonnement
Dans ce même paragraphe, je suis frappé de ce qu'il n'est rien dit de la vie, de l'action et de la prédication de Jésus. On parle de sa naissance, puis de sa mort, et on ne dit pas un mot de ce qui se passe entre temps. Que Jésus ait parlé, qu'il se soit montré accueillant pour les petits, compatissant pour ceux qui souffraient, qu'il ait soulagé et guéri, qu'il ait polémiqué contre une religion formaliste, qu'il ait à la fois enseigné et incarné une certaine manière de vivre, en harmonie avec Dieu, il n'en est pas le moins du monde question. Il est vrai que tout cela prête précisément peu à mythologie et que certains aspects de son enseignement auraient pu embarrasser l'Église des premiers siècles (comme, d'ailleurs, celle d'aujourd'hui). Sa personnalité se résume, dans le Symbole, à sa naissance et à sa mort, et donc à ce qui lui est arrivé plus qu'à ce qu'il a fait et dit.
Il est vrai que certains commentateurs, Karl Barth, par exemple, ont estimé que le "il a souffert" recouvre l'ensemble de la vie et de l'activité de Jésus. Cette explication ingénieuse ne me paraît pas très convaincante. D'abord parce que Jésus n'a pas passé toute sa vie sous le gouvernement du procurateur Ponce Pilate dont la mention indique clairement que le "il a souffert" se rapporte seulement à la passion. Ensuite, parce que la vie de Jésus n'a pas été seulement souffrante, mais qu'elle a connu aussi la joie et la sérénité. Récapituler son existence par le "il a souffert" la réduit, et me paraît presque blasphématoire. Ce ne serait pas plus une vie en communion avec Dieu que ne le serait, à l'inverse, une existence uniquement joyeuse et sereine qui ignorerait les souffrances du monde.
L'enfer et la chair
Toujours au chapitre de la mythologie contenue par le symbole, je note deux indications qui en relèvent typiquement.
La première concerne la descente aux enfers, dont on ne peut pas dire qu'elle tient un rôle important dans le message évangélique. Si ce thème a été amplement développé à l'époque patristique et a donné lieu à quantité de spéculations, par contre il n'est évoqué que de manière rare et allusive dans quelques textes tardifs du Nouveau Testament. Pourquoi mentionner quelque chose d'aussi marginal et obscur dans ce prétendu résumé de l'enseignement des apôtres? Depuis la Réforme, on a pris l'habitude d'expliquer que par "descente aux enfers", il faut entendre la souffrance extrême subie par Jésus (ce serait donc une répétition du "il a souffert"). À supposer que cette interprétation soit exacte, ce qui est discutable, au nom de quel traditionalisme garder cette expression vieillie et incompréhensible?
La seconde indication est celle de "la résurrection de la chair". Le sens du mot "chair" varie selon les époques et les auteurs. Dans l'Ancien Testament, il désigne ce que nous appelons "la personne". Dans le Nouveau Testament, il signifie aussi parfois la personne et parfois il désigne parfois une manière de vivre contraire à l'Esprit, selon le monde. Aujourd'hui, il évoque le corps dans sa matérialité, ce que l'on pourrait appeler la viande qui constitue un être vivant sur terre. L'apôtre Paul écrit dans la première épître aux Corinthiens (ch. 15, v. 50) que "la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu et que la corruption n'hérite pas de l'incorruptibilité". Même si on estime que "chair" n'a pas le même sens dans ce passage que dans le Symbole, on s'étonne qu'une affirmation aussi contraire à l'enseignement de Paul ait été retenue. De plus, aujourd'hui, elle fait contre sens en faisant penser au corps et non à la personne.
Conclusion
Peut-être qu'en lisant cet article certains lecteurs penseront : "voilà que les libéraux reprennent leur vieille lune, et, tels un Don Quichotte impénitent, s'en prennent à nouveau à des moulins à vent". En un sens, ils n'ont pas tort. C'est vrai que le symbole des apôtres a symbolisé et concentré pour les libéraux le combat contre l'orthodoxie dogmatique qui refusait de moderniser l'expression du message chrétien et qu'ils lui ont, du coup, prêté une attention peut-être exagérée. Par rapport à la situation d'il y a cinquante ans, on constate un recul généralisé du symbole dit des apôtres. On le dit de plus en plus rarement au cours de culte et il sert de moins en moins de support à la catéchèse. Ne serait-il pas plus sage de le laisser doucement glisser dans l'oubli, plutôt que de continuer à polémiquer, et, du coup, à susciter des défenseurs?
Pourtant, il vaut mieux que les choses se passent dans la clarté. De plus, ce symbole reste souvent dans nos Églises l'objet d'un attachement quasi superstitieux, parce que non réfléchi. Dans bien des cas, en particulier mais pas seulement en œcuménisme, il ressemble à un drapeau que l'on brandit et dont on se réclame sans s'être soucié de ses couleurs, ni des dessins ou inscriptions qu'il comporte.
Il serait grand temps de démythologiser le symbole et de le prendre pour ce qu'il est : un texte ancien, important pour l'historien et le théologien, qui indique comment à certaines époques, lointaines ou plus récentes, on a formulé l'enseignement chrétien, mais en tout cas pas une confession de foi pour aujourd'hui et pour demain.
André Gounelle
Évangile et Liberté, décembre 1998.
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