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Superstition et religion
La superstition a des causes et des visages multiples. Je laisserai de côté ce qui en elle relève de mécanismes psychologiques inconscients pour m’en tenir
à sa relation complexe avec la religion.
Proximités et différences
En quoi religion et superstition se rapprochent-elles et s’opposent-elles? On a donné à cette question trois réponses qui souvent se combinent.
1. L’Antiquité voit dans la superstition une religion outrancière et excessive ; c’est, d’ailleurs, peut-être le sens étymologique du mot, « super »
indiquant une hypertrophie. Elle est une croyance exagérée, immodérée, déréglée qui dépasse la mesure et les limites ; entre autres, elle va au-delà de ce
qu’exige le culte officiel, contrôlé et canalisé, de la Cité.
2. Pour la Réforme protestante du 16ème siècle, la superstition est une religion idolâtre qui divinise des réalités du monde. Elle sacralise des
êtres, des objets et des événements du monde et leur donne un statut indu. Les Réformateurs jugent, par exemple, éminemment superstitieuse la croyance que
l’hostie consacrée est matériellement « corps du Christ » et non pas signe sensible d’une présence spirituelle.
2. Selon des philosophes qui annoncent ou incarnent les Lumières, tels que Locke et Kant, la superstition se définit par une conception magique et
irrationnelle de la causalité dans le domaine physique ou matériel, alors que la véritable religion se veut « raisonnable ». La foi ne se confond certes
pas avec la raison, mais à la différence de la superstition, elle ne la disqualifie pas ; elle la respecte et lui reconnaît un domaine propre.
Entre religion et superstition, la frontière est parfois mince et elle se franchit facilement. Ainsi, pour la foi, Dieu intervient dans notre vie ; le
superstition s’imagine qu’il agit en opérant des guérisons miraculeuses en certains endroits (sanctuaires ou lieux de pèlerinage) ou à travers des rites
spéciaux (imposition des mains et formules pieuses). Pour la foi, la Bible transmet la parole de Dieu ; la superstition ouvre les Écritures au hasard pour
y découvrir ce qu’il ordonne de faire en tel cas précis, de même que pour les augures latins les entrailles des animaux révélaient la volonté divine.
Les voies d’une foi sans superstition
La religion combat les dérives et délires de la superstition de deux manières.
D’abord en soulignant la transcendance et l’altérité de Dieu que le croyant, sensible à juste titre à sa présence, a tendance à oublier. Dieu est à fois
intime et différent. Il est proche, mais ne se confond pas avec notre monde. Seul il est divin, seul il est saint, comme le répète inlassablement Zwingli.
En dehors de lui, il n’y a que du profane, du séculier ou du laïc. Mêler au naturel du surnaturel revient à diviniser des réalités qui n’ont en elles rien
de surnaturel ni de sacré, même quand elles témoignent de Dieu (c’est le cas des Écritures ou des sacrements).
Ensuite, en encourageant et en aidant le développement d’une foi pensée et réfléchie qui ne sera pas moins vive et ardente, mais qui sera plus solide, plus
équilibrée, plus profonde. Elle s’immunisera ainsi contre les déviations qui la menacent, y compris celle de la superstition. On objecte parfois à de tels
propos que Paul présente la foi comme une folie qui déborde et contredit la « sagesse du monde » ; mais, ce faisant, Paul ne légitime nullement, bien au
contraire, la recherche de prodiges et de miracles dont la superstition est friande (1 Cor 3, 21-22). Ailleurs, il recommande un « esprit de sagesse » (Ep
1, 17) ; il rejette non pas la sagesse en tant que telle, mais une certaine forme de sagesse. Lorsqu’il nous demande d’aimer Dieu de tout notre cœur, de
toute notre âme et de toute notre force, Jésus prend soin d’ajouter au texte de l’Ancien Testament qu’il cite (Dt 6,5) « de toute notre pensée ». Cultiver
une foi pensée et réfléchie éloigne des croyances superstitieuses.
Le sacré
La plupart, peut-être la totalité des êtres humains ont une expérience du sacré, c’est à dire de quelque chose ou quelqu’un qui à la fois les touche
réellement et les dépasse radicalement, ce qu’on pourrait appeler une présence transcendante. Cette expérience peut prendre une forme « sauvage » et
aberrante, c’est le cas de la crédulité superstitieuse de maintes religiosités. Elle peut au contraire se cultiver, critiquer, s’épurer, s’approfondir dans
une intelligence croyante. Il ne s’agit ni d’accepter un sacré absurde et foisonnant, ni d’éliminer le sentiment dans notre existence d’une présence
transcendante. Les « grandes religions » ont pour tâche et mission de nous aider à arracher le sacré à la superstition qui tend à s’en emparer, et de nous
le faire vivre comme une force positive mais non magique qui agit en nous et nous mobilise en vue de transformations.
André Gounelle
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