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L'apport de la théologie féministe

 

L'émergence d'une théologie féministe a surpris et déconcerté la plupart des hommes d'Eglise. A quelques exceptions près (dont Wilfred Monod), la dominante lourdement masculine de la pensée et de la pratique ecclésiales leur avait complètement échappé. Ils ont, en général, accueilli l'interpellation féministe tantôt avec une ironie plus ou moins voilée, tantôt avec une démagogie un peu condescendante (quand on ne peut plus être patriarcal, on devient paternaliste). Il faudra encore du temps pour que nous (je m'inclus dans ce "nous") arrivions à bien réagir devant cette révision de nos concepts et comportements voire de notre identité à laquelle nous invitent les femmes.

Beaucoup d'Églises refusent aux femmes l'accès aux ministères considérés comme les plus importants et aux responsabilités les plus élevées. En principe, les réformés et les luthériens ont opté (depuis peu) pour une entière égalité. Des femmes font partie de tous leurs conseils, assemblées ou synodes; théoriquement, elles peuvent les présider et exercer toutes les charges ecclésiales (y compris pastorales et épiscopales). Il n'en demeure pas moins qu'on a de la peine à en trouver qui pratiquement puissent siéger dans les assemblées et commissions nationales; on constate dans l'Eglise Réformée de France que la majorité des ministres en congé pour convenance personnelle sont des femmes. Ce qui signifie que la société fait peser sur elles, plus lourdement que sur les hommes, des handicaps qu'on n'arrivera à éliminer que par des mesures spécifiques et au prix d'une évolution des mentalités. La bonne volonté ne suffit pas. Il nous faut (et ce n'est pas facile) repenser les fonctionnements et organisations des Églises pour que l'égalité de principe devienne une égalité de fait.

Nos cultures entretiennent des stéréotypes qui, à notre insu, nous imprègnent. On juge certaines fonctions et qualités plutôt féminines (ainsi le ménage et la douceur) et d'autres plutôt masculines (ainsi le bricolage et l'autorité). Cette répartition est artificielle ; à juste raison les féministes ont contesté ces images qui nous enferment dans des rôles conventionnels. Hommes et femmes, nous avons tous des traits dits "féminins" et d'autres dits "masculins" dont la combinaison contribue à la richesse et à l'équilibre de nos diverses personnalités. Il n'en demeure pas moins que les valeurs considérées comme spécifiquement féminines ont été longtemps dévalorisées. On les a jugées inférieures, et on les a placées au second rang. Ne méritent-elles pas qu'on les réhabilite ?

La tradition chrétienne a souvent attribué à Dieu les caractéristiques qui correspondent au stéréotype "masculin" dans un grand nombre de cultures, à savoir la volonté, l'absence d'émotivité (la pensée occidentale insiste beaucoup sur l'impassibilité divine, ce qui n'est pas précisément biblique), l'indépendance, la puissance et la domination. Or, si on ouvre la Bible, on découvre vite que Dieu y a aussi des caractéristiques de type "féminin" : il éprouve de la tendresse; il fait preuve de douceur, de patience, de compréhension; il persuade, et ne se contente pas de commander; sa force réside dans sa faiblesse. Ses activités évoquent parfois plus celles d'une mère de famille (voir l'article de J.Robson "Dieu au foyer" dans Etudes théologiques et religieuses 1990/4) que celles d'un chef militaire ou d'un souverain oriental.

Aux États-Unis, certains théologiens (et pas seulement des théologiennes) ont pris l'habitude de parler de Dieu au féminin, en le désignant pas le pronom she (elle) au lieu de he (il). Cela heurte nos habitudes et nous choque, mais si le Dieu biblique (à la différence de la plupart des divinités de l'Antiquité) n'est pas sexué, pourquoi conviendrait-il mieux d'en parler au masculin qu'au féminin ? On peut certes soupçonner que ce changement de langage sert parfois à se dédouaner à bon compte et estimer qu'il s'agit d'une question de vocabulaire assez dérisoire en elle-même (encore qu'elle a une valeur symbolique de reconnaissance de la femme qu'il ne faut pas sous-estimer). En fait, ici, plus profondément, la théologie féministe nous aide à nous délivrer d'une conception masculine de Dieu qui est franchement idolâtrique. Une conception féminine le serait tout autant, mais l'entrechoc des deux langages nous rappelle que toutes nos images sont des idoles, et qu'il n'en faut absolutiser aucune.

Repenser l'Église, comprendre autrement notre relation avec Dieu, s'interroger sur le langage qui essaie de le dire, voilà ce à quoi la théologie féministe nous invite, et ce faisant, elle nous rend service à tous, croyantes et croyants. Elle nous appelle et nous aide à vivre la sororité-fraternité des fidèles, et la maternité-paternité de Dieu.

André Gounelle
Réforme, 11 juillet 1992

 

 

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot