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Que veut dire christ ?
Être chrétien, c’est avoir la conviction que Jésus est le christ. Cet article propose une réflexion sur le sens du terme « christ ». Il en propose une compréhension possible sans prétendre qu’elle soit la seule vraie ni qu’elle soit totalement satisfaisante. .
Qui est Jésus ? À cette question, on a donné de multiples réponses. Les uns
voient en lui un sage ou un philosophe dont les enseignements ont marqué la
pensée et le comportement de nombreux êtres humains. D’autres estiment
qu’il est un prophète, quelqu’un qui parle au nom de Dieu et en transmet
les messages ; il y a eu de nombreux prophètes et Jésus est l’un des plus
grands, c’est ce que pense l’Islam. On l’a parfois présenté comme un
révolutionnaire, un utopiste ou un romantique. Dans les Églises, on
considère souvent qu’il est Dieu ou Dieu-homme, affirmation qui soulève
d’immenses difficultés et pose plus de questions qu’elle n’en résout.
Pour le Nouveau Testament, Jésus est le christ, comme le déclare,
dans un épisode central des évangiles, Pierre. Christ n’est pas un nom
propre comme on le croit parfois, c’est un titre. Que signifie-t-il ? À
première vue, c’est à l’ancien ou premier Testament qu’il faut le demander.
Christ est, en effet, la traduction grecque d’un mot hébreu (transcrit en
français par « messie ») qui veut dire l’oint ; on oignait, en versant de
l’huile sur sa tête, celui qui était choisi pour accomplir une mission
importante ou pour exercer de hautes responsabilités.
En fait, les écrits de l’Ancien Testament ne nous éclairent que
partiellement. S’ils montrent bien que « christ » se rapporte à une
fonction, ils n’indiquent pas précisément laquelle. Ils décrivent le christ
tantôt comme un nouveau Moïse (quelqu’un qui énonce ou rappelle la loi de
Dieu), tantôt comme un nouveau David (un chef politique), tantôt comme un
nouveau Élie (un grand prophète), tantôt comme un personnage apocalyptique
qui apparaît à la fin des temps, etc. On trouve dans la Bible hébraïque,
selon l’expression d’un spécialiste américain, Gregory J. Riley, «
plusieurs Christs » (plusieurs images du christ) qu’il est difficile
d’unifier. Il en va de même dans le Nouveau Testament. En appliquant le
titre de « christ » à Jésus, les chrétiens en ont modifié et redéfini le
sens. Ils ne l’ont pas tous fait de la même manière et aussi bien dans le
Nouveau Testament que dans l’histoire du christianisme, on rencontre un
éventail assez large de « christologies » (autrement dit de conceptions du
christ).
De plus, il ne s’agit pas tant d’enquêter sur ce qu’est le christ aux yeux
des juifs du 1er siècle (disciples ou non de Jésus) que de dire
ce qu’il signifie aujourd’hui pour nous, chrétiens du 21ème
siècle. En continuité avec la Bible, dans la ligne du Nouveau Testament,
mais sans forcément en répéter les termes et expressions, nous devons
formuler à notre manière ce que Jésus nous apporte : comment
expérimentons-nous sa présence et son action dans notre existence ? Là
aussi nous constatons une grande diversité. À la question du sens à donner
au mot « christ », il n’y a pas une seule et unique réponse; même si celle
que nous proposons nous tient à cœur et si nous l’estimons juste, sachons
admettre qu’on puisse comprendre autrement ce qu’il signifie. Ces
différentes conceptions peuvent d’ailleurs se compléter et se corriger
mutuellement ; tout en les respectant, nous avons le droit de les
critiquer, d’en montrer les mérites et les insuffisances, sans prétendre
pour cela que la nôtre soit parfaite ou que seule elle soit juste.
Dans mon livre Parler du Christ (Van Dieren, 2003), j’ai exposé,
détaillé et argumenté ma propre réponse (elle n’a rien de très original) ;
je la résume en deux points.
1. Le mot « christ » désigne, me semble-t-il, avant tout un événement (le
Nouveau Testament parle de kairos) : celui d’une rencontre avec
Dieu. On peut employer un autre mot que Dieu, si on le préfère, pour
désigner la réalité ou la vérité ultime, dont le nom surpasse tout nom et
que notre langage peut évoquer mais pas capturer.
Quand nous rencontrons Dieu ou, plutôt, quand il se manifeste à nous à
travers une personne, une chose, un geste, alors se produit l’événement «
christ ». Dieu ne se manifeste pas simplement pour ne pas tomber dans
l’oubli, afin qu’on perçoive ou qu’on se rappelle qu’il est là. Il se
manifeste pour que les choses bougent et que les gens changent. Il est un «
dynamisme » (ce que souligne la théologie du Process) qui vise à nous
transformer, qui cherche aussi à engager le monde dans des voies de justice
et de paix. Le christ est un acte de Dieu qui entre en relation avec des
êtres humains et apporte du nouveau en eux et autour d’eux.
Pierre déclare que Jésus est le christ parce qu’il voit en lui l’acte le
plus important et l’intervention la plus marquante de Dieu dans l’histoire
humaine. Il exprime là une conviction et une expérience personnelles. Il
peut y avoir des manifestations authentiques de Dieu en dehors de Jésus,
par exemple, dans l’Ancien Testament et dans d’autres traditions
religieuses, spirituelles ou philosophiques. Sans nier ou rejeter cette
possibilité, pour chaque chrétien, comme pour Pierre, reconnaître en Jésus
le christ c’est affirmer sa conviction que Dieu le rencontre et agit de
manière décisive dans l’évangile.
2. Si le mot christ se rapporte un événement, il s’applique aussi à une
personne, à un être humain de chair et de sang qui a vécu au premier siècle
en Palestine et qui s’appelait Jésus. Déclarer qu’il est le christ signifie
d’abord qu’en lui Dieu s’approche de nous et agit en nous, ensuite et aussi
qu’il est l’incarnation de l’humanité que les interventions de Dieu veulent
faire surgir. Christ désigne à la fois un acte de Dieu et le résultat visé
par cet acte, à savoir un être humain qui soit vraiment à « l’image et à la
ressemblance » de Dieu. À mon sens, cette expression de Genèse 1 ne décrit
pas ce que l’homme est, mais ce à quoi il est appelé : à vivre en harmonie
avec ses semblables, avec lui-même, avec la nature ; à aimer et à secourir
ses prochains ; à développer une vérité intérieure et une justice
relationnelle.
Jésus est le christ parce qu’il est un homme véritablement humain, alors
que nous sommes tous peu ou prou inhumains. L’évangile de Jean, dans le
récit de la Passion, raconte que Pilate en montrant Jésus à la foule, dit «
voici l’homme ». Beaucoup de commentateurs chrétiens expliquent que, sans
en avoir conscience, Pilate exprime une profonde vérité : Jésus est l’homme
authentique, sans aucune inhumanité en lui ; il est l’exemple et la figure
de ce que nous devrions être et de ce que Dieu veut faire de nous.
L’homme authentique n’est pas, pour moi, une icone ou une statue figées
dans une perfection immobile ni un idéal métaphysique inscrit dans un ciel
immuable. Il n’est pas quelqu’un qui n’aurait pas à bouger parce qu’il
aurait atteint le but. Dans les évangiles, Jésus se déplace constamment, il
change, il voyage, il apprend, il découvre, il lutte avec lui-même, il
modifie ses attitudes. Il est, l’évangile de Jean le dit, « chemin ». Il
n’apporte pas une loi ou une règle statiques, il porte et transmet une
exigence dynamique, celle d’aller plus loin. L’homme authentique n’est pas
exempt de défaillances et de faiblesses, mais à travers ses manquements et
ses réussites, il demeure un voyageur : il tâtonne, explore et avance sur
les routes de la vie, en se laissant inspirer par l’esprit de Dieu qui agit
en lui.
Un événement, celui de la rencontre avec Dieu, un être humain conforme à la
volonté de Dieu, voilà ce que pour moi représente Jésus et ce qui fait de
lui, à mes yeux, le christ. Il l’est dans la mesure où il oriente, anime,
humanise des existences, la nôtre et bien d’autres.
André Gounelle
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