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Dieu père

 

Charles Wagner a écrit que de tous les noms de Dieu, « Père est le moins prétentieux, le plus humble, le plus humain, le plus doux ». C’est juste, mais ce nom pose aussi des problèmes et comporte des inconvénients.

 

À la suite et selon l’enseignement de Jésus, nous nous adressons à Dieu en lui disant « Père ». Cette appellation ne va pas de soi. Elle choque les musulmans pour qui la paternité implique une sexualité qu’ils estiment ne pas convenir à Dieu. Elle fait difficulté pour ceux qui ont eu des pères indignes, absents ou brutaux. Certains la trouvent injuste à l’égard des mères ; la Bible parle aussi de Dieu au féminin.

À l’affirmation que Dieu est père on a adressé deux autres critiques.

1. La première souligne que la paternité se réfère à une provenance, à quelqu’un qui est derrière nous et se situe aux débuts de notre existence. Or le Dieu biblique oriente vers l’avenir, introduit du nouveau, appelle et conduit le monde à une transformation. « Le Dieu de l’évangile, écrit Bultmann, est toujours en avant de moi comme celui qui vient : c’est sa perpétuelle futurition qui est sa transcendance ». Pour Cobb, plus que le passé et le présent, l’avenir est par excellence le temps de Dieu. En pensant à Noël, ne pourrait-on pas considérer qu’un bébé serait un meilleur symbole de Dieu et de son Royaume qu’un père ? Le père représente ce qui précède ; le bébé annonce un devenir.

Cette objection, malgré une relative pertinence, me semble réductrice. Elle restreint la paternité à un engendrement originaire alors qu’elle est, avant tout, une aventure continuelle. Un père éduque ses enfants, puis il les accompagne et les aide. Dieu est Père parce qu’il nous pousse à aller de l’avant et fait naître de l’inédit dans notre vie comme dans le monde. De même, la création biblique ne concerne pas tant l’origine du monde que son présent et son avenir ; plus qu’à un fondement initial, elle renvoie au dynamisme de Dieu qui sans cesse produit du nouveau.

2. Selon la seconde critique, appeler Dieu « Père » efface sa grandeur et sa majesté en le rendant trop familier. Quand nous reprenons à notre compte l’abba (papa) qu’aurait dit Jésus, n’oublions nous pas ce qui le différencie de nous? Ne tombons nous pas dans la religion confortable d’un Dieu câlin et copain ? Un Dieu très paternel devient semblable aux doudous des enfants ; aussi agréable qu’un bon coussin ou un bon fauteuil, il rassure et assoupit, alors que le Dieu biblique inquiète, dérange, interpelle, secoue et mobilise.

De même que la première, cette deuxième objection comporte une part de vérité, mais est unilatérale. Que Dieu soit terrible par ses exigences, redoutable par sa justice, écrasant par sa sainteté, bien des pages de la Bible le soulignent (parfois à notre goût excessivement), mais n’excluent pas l’amour. D’autres pages, sans exclure se grandeur et sa majesté, parlent de l’affection qu’il nous porte, de la vigilance dont il nous entoure, de la confiance que nous pouvons avoir en lui. Le mot « Père » exprime bien cette affirmation et cette expérience d’une présence aimante.

Dieu est à la fois autre et intime, étranger et familier. Quand Matthieu commence l’oraison dominicale non pas simplement par « père » comme Luc, mais par « notre Père qui es aux cieux », il met en tension le « père », l’intime, avec les « cieux » qui symbolisent non pas un ailleurs mais un autrement. La proximité du « père » se conjugue, sans la nier, avec l’altérité du « céleste ».

Toute désignation de Dieu comporte des inconvénients et des dangers. Les objections qu’on oppose à la nomination de Dieu comme « père » ne conduisent pas à l’écarter, mais à la préciser en rappelant aussi sa distance et sa différence et en situant l’engendrement non pas seulement hier, mais surtout aujourd’hui et demain.

André Gounelle

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot