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Plaidoyer pour l’histoire « sainte »
À la différence de l’histoire « historique », l’histoire « sainte » ne cherche pas à raconter les événements comme ils se sont passés ni à décrire les
personnages tels qu’ils ont été. Elle se sert d’anecdotes, souvent arrangées parfois inventées, pour faire passer des messages. Ses récits sont des
prédications ou des catéchèses sous forme narrative et non des comptes-rendus. Les paraboles en donnent un exemple : celles du bon samaritain ou du fils
prodigue n’ont pas pour but de faire connaître un fait divers (réel ou imaginaire) ; elles entendent dire ce que Dieu est et fait pour nous.
Les évangiles relèvent largement de « l’histoire sainte ». Ils nous présentent ce que les théologiens appellent le « Christ de la foi », c’est à dire la
signification de Jésus pour ceux qui croient en lui. Ils ne nous renseignent guère sur le « Jésus de l’histoire », autrement dit sur ce qu’aurait vu et
entendu un témoin neutre ou un observateur objectif. Depuis plus de deux siècles, des érudits s’efforcent de découvrir dans les récits évangéliques des
indices susceptibles de fournir quelques indications sur ce qui s’est réellement passé. Cette « quête du Jésus historique », selon l’expression consacrée,
bien que menée avec beaucoup d’intelligence et de science, est un échec. Nous savons beaucoup de choses sur le « Christ de la foi », presque rien sur le «
Jésus de l’histoire ».
Les modernes, beaucoup plus attachés aux faits et à leur exactitude que ne l’était l’Antiquité, ont le sentiment qu’en disant cela, on met en cause la
fiabilité et la véracité des évangiles. Pourtant, on ne fait que caractériser leur genre littéraire. Qu’ils ne soient pas de l’histoire « historique »
n’enlève rien à leur valeur en tant qu’histoire « sainte ». Paul avait déjà noté que ce n’était pas selon la chair (historiquement) qu’on connait vraiment
le Christ (2 Co 5,16).
L’ignorance historique n’affaiblit pas la proximité du Christ ni sa puissance mobilisatrice. Dans une très belle page, Albert Schweitzer dit de Jésus :
« C’est comme un inconnu, sans nom, qu’il vient vers nous, comme, en son temps, sur les rives du lac de Tibériade, il s’était approché de ces hommes qui ne
savaient qui il était. Il nous dit la même parole qu’à eux : « Toi, suis-moi » et nous met en face des tâches qu’il nous appartient, en son nom,
d’accomplir à notre époque. Il commande. À ceux, sages ou hommes simples, qui lui obéiront, il se révélera par la paix, l’action, les luttes et les
souffrances qu’ils vivront en communauté avec lui et c’est comme un mystère ineffable qu’ils apprendront qui il est ».
Jésus est historiquement un « inconnu », nous ne savons presque rien de lui. Mais quand nous répondons à l’appel que nous percevons à travers les textes du
Nouveau Testament (qui n’ont pas une valeur documentaire, autrement dit qui relèvent de l’histoire sainte et non de l’histoire historique), il se révèle à
nous, il nous apprend qui il est, non pas en nous donnant un savoir (il reste pour nous un « mystère ineffable »), mais en créant une communauté avec lui.
Paul Tillich compare les évangiles à des œuvres d’art. Le Guernica de Picasso ne figure pas ce bombardement à la manière « réaliste » d’un film
documentaire ; en fait, il nous fait mieux saisir que des images cinématographiques l’horreur et le choc de ce qui s’est passé. Quand Rouault peint un
clown, il en donne une représentation qui n’a pas grand chose en commun avec celle d’une photographie d’identité, mais qui a une profondeur et une vérité
différentes. Les évangiles sont comme ces « tableaux » ; ce qu’ils racontent de Jésus apprend plus sur lui et en apprend autre chose qu’une enquête
historique.
Ne méprisons pas l’histoire « sainte » ; elle apporte ce que l’histoire « historique » est incapable de communiquer. Ne disqualifions cependant pas
l’histoire « historique ». Il faut aussi la défendre et la pratiquer. Nous en avons besoin précisément pour ne pas confondre, comme le font les
fondamentalistes, l’histoire « sainte » avec l’histoire « historique » et pour lire les récits évangéliques comme des paraboles et non des reportages. En
contestant l’historicité des récits évangéliques, l’histoire « historique » leur rend leur vérité profonde qui est celle, parabolique, de d’histoire «
sainte ».
André Gounelle
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