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La Parole
L'Évangile de Jean s'ouvre par une phrase bien connue : "Au commencement était la Parole". Le mot grec traduit pas "parole" (quelque fois par "verbe") est logos.
"L'évangile est caché au fond de toute conscience...Cet Évangile intérieur ... ne serait rien sans l'Évangile extérieur, mais...l'Évangile extérieur ne serait rien [sans l'intérieur]...Il y a au dedans de nous...quelque chose qui rend témoignage à l'Évangile et qui, incapable de l'annoncer à l'avance, est capable de le reconnaître lorsqu'il paraît".
A.Vinet
(B. Reymond, A la redécouverte d'Alexandre Vinet, p. 147).
Dans le protestantisme, on assimile souvent Bible et Parole de Dieu. Pourtant, comme l'a souligné W. Monod, pour le Nouveau Testament, la parole divine se fait chair (ou personne) et non livre. La Bible n'a pas pour les chrétiens le même statut que le Coran dans l'Islam. Pour les musulmans, le Coran est la parole même de Dieu dictée au prophète Mohammed, et Mohammed est le serviteur du Livre. Pour le Christianisme, Jésus est la Parole de Dieu, et la Bible lui rend témoignage, et est à son service.
La Bible donne accès à la Parole de Dieu, sans se confondre avec elle. On peut la comparer à un disque qui permet d'entendre, parfois avec des défauts, une symphonie, mais qui n'est pas la musique elle-même. Il faut se garder de tomber dans l'idolâtrie de la Bible qui ne distingue pas le vase d'argile du trésor qu'il contient.
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Discours, pensée et réalité.
Dans la philosophie hellénistique (contemporaine du Nouveau Testament), en particulier dans le stoïcisme, le mot logos a une triple signification.
Il désigne d'abord un discours intelligible, qui a un sens et que l'on peut comprendre. Ensuite, il se rapporte à l'intelligence humaine qui s'exprime dans le discours, et à celle qui en saisit le sens. Enfin, il s'applique à l'intelligibilité qui se trouve dans les choses, qui les rend compréhensibles par l'intelligence et qui permet d'en parler dans un discours sensé.
Le logos indique, ainsi, la correspondance qui existe entre la pensée et la réalité. Il rend possibles la science et la sagesse. Il caractérise à la fois le fonctionnement de l'intelligence et celui du monde qu'elle peut, par conséquent, analyser et décrire. La structure des choses n'est pas étrangère ou contraire à la logique de l'esprit.
Création et révélation
L'Évangile de Jean reprend la notion grecque du Logos en la transformant et en la situant dans un cadre différent. Il ne la répète pas, il l'utilise et la modifie.
D'une part, il souligne le rôle du logos dans la création du monde. "Tout a été fait par lui". Autrement dit, Dieu a donné aux êtres et aux choses une structure intelligible. Son logos ou sa parole les a façonnés. La théologie ancienne parle en ce sens d'une "parole interne", qui nous constitue, nous structure et est inscrite en nous.
D'autre part, le logos se fait entendre par une révélation extérieure. Dieu s'adresse à nous du dehors, pour nous dévoiler le sens et la vérité que nous portons en nous, mais qui sont obscurcis et que nous n'arrivons pas à percevoir à cause du péché (c'est à dire le la détérioration de notre rapport avec Dieu). Ce logos, qui s'exprime dans l'Ancien Testament, et peut-être, comme le suggèrent plusieurs Pères de l'Église, dans d'autres religions, culmine et s'incarne en Jésus Christ, "logos fait personne".
Jean souligne l'identité du logos de la création (la "parole interne") avec celui de la révélation (la "parole externe"). Il y a correspondance entre ce que nous sommes et ce que Dieu nous dit. L'évangile n'est pas une parole étrangère, ou totalement autre. Il nous atteint et nous touche parce qu'il répond à nos besoins et aspirations les plus profondes. Il dévoile et apporte ce pour quoi nous sommes faits, et que nous n'arrivons pas à découvrir par nos seuls moyens.
L'intelligibilité de l'évangile.
Nous avons besoin de la révélation externe, notre intelligence ne suffit pas. Toutefois que la révélation soit "logos" signifie qu'elle ne contredit pas, ne détruit, ni ne renverse la réflexion humaine; elle l'exauce plutôt. Les protestants libéraux du dix-huitième siècle l'ont bien vu. Ils affirmaient que Dieu nous parle à la fois par la raison et par la Bible, qui devaient se confirmer et se corriger mutuellement. Contre une religion obscurantiste, ils préconisaient d'interpréter la Bible en se servant de l'intelligence, et de réfléchir à la lumière de la Bible, ce qui paraît plus juste que d'insister sur le paradoxe de la foi compris comme un renversement et une contradiction de la raison.
Jean associe le logos et la lumière. Dieu, même s'il reste mystérieux et en partie caché, n'est pas obscur. Il éclaire notre route, ouvre notre intelligence, nous indique le sens de notre existence et du monde. Il n'est pas muet (même s'il lui arrive d'être silencieux). Il nous parle intérieurement et extérieurement.
André Gounelle
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