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Faites ceci en mémoire de moi
L'origine de cette parole
Dans 1 Corinthiens 11, Paul raconte que Jésus, "la nuit où il fut livré" donna d'abord du pain, ensuite du vin à ses disciples, en leur disant après chaque distribution : "faites ceci en mémoire de moi". Les récits de Matthieu et Marc mentionnent le partage du pain et du vin (alors que celui de Jean n'en dit pas un mot) sans rapporter cette phrase. Elle se trouve chez Luc, mais manque, dans plusieurs manuscrits anciens de cet évangile, et on soupçonne qu'elle y a été rajoutée sous l'influence de Paul.
Nous connaissons donc cette parole par Paul. D'où l'apôtre la tenait-il lui-même? Il ne faisait pas partie des disciples de Jésus, et n'a pas assisté à son dernier repas. Une phrase énigmatique introduit son récit : "J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis". Faut-il comprendre que le Seigneur a informé directement Paul dans une vision de ce qui s'est passé ce soir-là, ou que l'apôtre tient ce récit d'une tradition qui remonte à Jésus lui-même? Rien ne permet de trancher entre ces deux hypothèses.
On ne peut pas être certain que Jésus a vraiment prononcé cette parole. En tout cas, s'il l'a effectivement dite, les évangiles de Matthieu de Marc et de Jean ne lui ont pas accordé assez d'importance pour la rapporter à leurs lecteurs.
Sa signification
Selon Paul, Jésus ordonne à ses disciples de prendre le pain et le vin "en mémoire de moi", pour "annoncer la mort du Seigneur". Il s'agit d'entretenir le souvenir de la Croix.
On se souvient d'un événement passé. La Cène ne répète pas ni ne prolonge le sacrifice du Christ (en ce cas, parler de mémoire et d'annonce ne conviendrait pas), mais le rappelle. On fait mémoire d'un absent. La Cène ne rend pas présent Jésus réellement (c'est à dire à la façon des choses ou des objets), sans cela il faudrait "discerner", "percevoir" Jésus, et non en "faire mémoire". Elle le rend présent (si on tient au mot "présence" dont le Nouveau Testament ne se sert jamais à propos de la Cène) spirituellement, c'est à dire par l'esprit, dans le cœur et la pensée. On a prétendu que dans le monde sémite, "se souvenir" a le sens fort de "faire revivre concrètement". Aucun argument solide ne fonde cette affirmation qu'on avance pour défendre une notion magique, voire superstitieuse du sacrement.
Dans le monde juif, le repas pascal rappelait, chaque année, la sortie d'Égypte. Matthieu et Marc y font allusion en précisant que le dernier repas de Jésus est pascal, ce que ne fait pas Paul (les corinthiens ne devaient guère connaître la Pâque juive). Dans le monde grec, on célébrait des repas d'anniversaires "en mémoire" d'un mort, et la formule "faites ceci en mémoire de moi", employée dans une lettre dont les destinataires vivent à Corinthe, en Grèce, les évoque, alors qu'elle manque dans les textes de Matthieu et de Marc écrits pour des palestiniens qui ne pratiquent pas ce type de banquets funéraires.
Le Nouveau Testament reprend deux coutumes de l'époque, l'une juive, l'autre païenne, qui entretenaient le souvenir au moyen d'un repas et il les met au service de l'évangile. Pour "annoncer" ou "proclamer" ce que Jésus a été et a fait, il faut non pas écarter, mais savoir utiliser la culture, comme a su le faire dans le cas de la Cène l'église primitive.
André Gounelle
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