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Ceci est mon corps

 

Comment comprendre la parole "ceci est mon corps", que, d'après le Nouveau Testament, Jésus prononce le soir du jeudi saint, en rompant le pain et en le distribuant à ses disciples? On sait que les chrétiens ne sont absolument pas d'accord sur la réponse à donner à cette question, et par conséquent sur la signification de la Cène.

Dans un livre Mon frère Jésus (Seuil), que m'a signalé mon collègue et ami A. Houziaux, un penseur juif Schalom Ben Chorin en propose une interprétation originale. Comme de nombreux spécialistes, il estime que très probablement le repas du jeudi saint a été un repas pascal, c'est à dire non pas un repas ordinaire, mais le repas rituel qui, chaque année, rappelait et célébrait l'exode (la sortie d'Égypte du peuple hébreu). Ce repas se déroulait selon une liturgie assez précise. Elle prévoyait le partage d'une ou de plusieurs galettes (des pains azymes) qui symbolisaient le judaïsme, qui en représentaient ou en incarnaient la "substance". Quand Jésus déclare "ceci est mon corps", cela signifierait donc dans ce cadre : "j'incarne le judaïsme; ma personne est la vérité, la substance du judaïsme".

Cette interprétation appelle trois remarques :

1. Nous ne connaissons la liturgie du repas pascal juif que par des documents très postérieurs au premier siècle. Nous ne pouvons pas avoir la certitude que cette liturgie avait cours au temps de Jésus. Il y a, certes, de fortes chances que ces documents rapportent des traditions très anciennes. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une hypothèse dont il appartient aux spécialistes d'évaluer la vraisemblance.

2. L'évangile de Matthieu présente volontiers Jésus comme un nouveau Moïse (il le fait avec les récits de Noël et le sermon sur la montagne qui suggèrent un parallèle entre Moïse et Jésus). Moïse a fondé le judaïsme, et le judaïsme se réfère sans cesse à ses paroles (la loi) et à ses actes (il a libéré le peuple). Jésus refonde le judaïsme (il n'a jamais pensé, faut-il le rappeler, fonder une autre religion). L'interprétation de Ben Chorin est en harmonie avec cette ligne. Jésus en disant "ceci est mon corps" déclarerait que c'est sa personne, et non plus celle de Moïse (sans pour cela la disqualifier ou l'éliminer), qui définit le véritable judaïsme.

3. Si cette interprétation est exacte, les chrétiens se sont lourdement égarés dans leurs discussions sur le "ceci est mon corps". Ils sont tombés dans ce qu'à proprement parler on peut appeler un contresens, c'est à dire un renversement ou un retournement de cette parole. En la prononçant, Jésus s'identifie au pain, c'est à dire à la vérité du judaïsme. Le christianisme postérieur s'interroge sur la manière dont le pain peut s'identifier au corps de Jésus : est-ce matériellement et substantiellement (thèse catholique), ou représentativement et significativement (thèse réformée)? Or, la parole de Jésus n'entend pas dire ce que représente la galette (tout le monde le savait), mais ce que représente sa personne. Il ne met pas l'accent sur le pain, il n'explique pas ce qu'est ou ce que devient le pain, ou à quoi il sert. Mais à l'aide d'un pain qui a une signification précise et connue, il explique ce qu'il est et ce qu'il fait. Parce qu'on se trouve dans un autre contexte culturel et cultuel que celui du judaïsme premier siècle, on a inversé le mouvement, l'intention et la portée de la parole de Jésus. Non seulement, on se trompe sur son sens, mais, de plus, on la rend incompréhensible

Répétons-le, il s'agit seulement d'une hypothèse, discutable, peut-être invérifiable. Il n'en demeure pas moins que, sauf si on arrive à démontrer qu'elle est insoutenable, elle ouvre une perspective intéressante.

 

André Gounelle

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot