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Théisme

 

Comme théologie, théisme est un terme formé à partir de theos (le mot grec qu’on traduit par Dieu). Si on définit l'athéisme comme la négation de Dieu, le théisme en est le contraire; il désigne l'affirmation de Dieu. En fait, il s'agit d'un mot qui provoque beaucoup de confusions et de malentendus, car on lui donne des sens très différents. J'indique les cinq principaux.

1. Sens classique

Au dix-huitième siècle, on appelle "théisme" une religion raisonnable et naturelle, qui implique un lien personnel et vivant avec la divinité, qui comporte une forme de culte et de prière, qui se manifeste par des sentiments religieux.

On distingue le "théisme" du christianisme, parce que le théisme n'admet pas une révélation surnaturelle et exclusive. Il ne veut pas accorder un privilège à la Bible. Dieu se manifeste de diverses manières, principalement dans l'âme et dans la nature. Certains théistes sont très sévères pour l'idée d'une révélation scripturaire qui, selon eux, corrompt, la révélation, et entraîne toutes sortes de malheurs (intolérance, dogmatisme, etc..). D'autres discernent dans la Bible une révélation à côté et parmi d'autres.

On distingue également le théisme du déisme. Le déisme est une opinion, ou une théorie purement intellectuelle, qui affirme qu'à l'origine du monde se trouve un être suprême qui l'a créé et qui lui donne des lois. "Pour le déisme, écrit Henri Arvon*, "Dieu est l'horloger qui a composé et mis en marche le mouvement de l'univers, mais il n'exerce plus aucune influence sur son œuvre qui a acquis une entière autonomie". Le déisme n'entraîne aucune religiosité. Il correspond à une conception purement objective de Dieu, sans élément existentiel. Voltaire représente assez bien le déisme (il estime le monde inexplicable sans Dieu, mais il ne cultive aucune piété), alors que Rousseau donne un assez bon exemple de théisme (il prie, il médite, il adore Dieu, il a des sentiments religieux). Comme l’écrit Kant, « le déisme croit en un Dieu, mais le théiste en un Dieu vivant »*

2. Le sens philosophique

En philosophie, très souvent "théisme" désigne une certaine manière, parmi d'autres possibles de concevoir les relations de Dieu avec le monde. En ce sens, le théisme s'oppose au polythéisme, au panthéisme et au panenthéisme.

Polythéisme

Le polythéismeadmet l'existence de plusieurs dieux, alors que pour le théisme il y a un seul dieu. On peut représenter le polythéisme par le schéma suivant :

polytheisme

Panthéisme

Le panthéisme pense que Dieu est présent en toutes choses, qu'il est, en quelque sorte l'âme du monde, et que le monde est son corps, voire que Dieu se confond avec l'univers. On peut représenter le panthéisme par le schéma suivant :

pantheisme

Le panthéisme souligne la présence et l'incarnation de Dieu dans le monde. Par contre, il supprime son altérité. Il aboutit donc à poser une autonomie du monde, qui ne se réfère à rien qui lui soit extérieur et ne dépend de rien d'autre que de lui-même. Finalement, il rend inutile de parler de Dieu; il suffit de dire "l'Univers", la "Nature" (Deus sive natura selon une formule de Spinoza) ou la "Réalité". On a parfois de la peine à le distinguer de l’athéisme.

Panenthéisme

Le panenthéismepense que tout s'enracine en Dieu et que Dieu agit en toutes choses. Panenthéisme vient de trois mots grecs pan (tout), theos (Dieu), en (en). Pour le panenthéisme, il y a à la fois extériorité et intériorité entre Dieu et le monde. Dieu est en tout, tout est en Dieu sans qu'il y ait confusion. De même, la plante est dans la terre, et la terre entre dans la plante en la nourrissant sans qu'il y ait identification de l'une et de l'autre. On peut l'illustrer par le schéma suivant :

panenthéisme

Chez les théologiens du Process, le panenthéisme est parfois appelé « néothéisme » (cf. § 5).

Le théisme

Le théisme voit en Dieu une personne qui a en face d'elle des choses et des êtres. Le schéma suivant le figure :

théisme

Comme l’écrit André Malet* : « Le théisme affirme la distinction de Dieu et du monde en faisant du premier une personne et en accordant au second la substantialité, qui devient dans le cas de l'homme la personnalité. »

De même Paul Tillich définit ainsi le théisme : « Le Dieu du théisme théologique est un être à côté des autres, et comme tel une partie de l'ensemble de la réalité. On le considère certes comme la partie la plus importante, mais néanmoins comme une partie soumise à la structure de la totalité ... On le considère comme un "soi qui a un monde, comme un "je" en rapport avec un "tu", comme une cause séparée de ses effets, comme possédant un espace ... et un temps..."* »

Le néothéisme (voir § 5) critique vivement ce théisme. Il lui reproche de proposer une conception de Dieu qui n’est ni vraisemblable philosophiquement ni conforme à la Bible et qui serait en partie responsable du développement de l’athéisme.

3. Le sens luthérien

Chez les théologiens de tendance luthérienne, "théisme" caractérise tout discours sur Dieu qui lit l’être de Dieu et qui discerne son action ailleurs que dans la Croix, autre part que dans le Christ crucifié.

Selon Luther la croix, et la croix seule, révèle qui est, ce qu'est, ce que fait Dieu. Il oppose la "théologie de la croix", la sienne, à ce qu'il nomme une "théologie de la gloire" qui parle de Dieu en dehors de la Croix, en le qualifiant, par exemple, d'infini, d'omnipotent, d'omniscient, etc. Pour les luthériens, Dieu ne se limite certes pas à la Croix, mais nous ne savons de Dieu que ce que la crucifixion nous en révèle. Ainsi, certains luthériens considèrent la théologie de Calvin comme un théisme, parce que pour Calvin, Dieu révèle son être également dans la création, dans la providence, dans la nature et dans l'histoire.

4. Le sens néo-calviniste

Les néocalvinistes appellent "théisme" une théorie qui affirme qu'il n'y a nulle contradiction ou incompatibilité entre la toute-puissance de Dieu et la liberté humaine. Dieu a une puissance telle qu'il nous fait faire librement ce qu'il veut que nous fassions. Les néocalvinistes l'opposent au déisme qui désigne, chez eux, toute pensée qui oppose, et met en concurrence la puissance de Dieu et la liberté humaine. Le déisme, ainsi défini, estime que Dieu doit renoncer à exercer sa souveraineté et qu'il lui faut refuser de déterminer l'univers, pour que ses créatures soient libres.

5. Le néo-théisme

Nous avons signalé que les théologiens du Process appellent le panenthéisme "néothéisme". Au théisme classique, ils opposent cinq objections

1. Pour le théisme classique, comme le montre le schéma plus haut, Dieu réside ailleurs, en dehors du monde. Il est transcendant, ce qui veut dire deux choses. D'abord, qu'il se tient à distance, il habite, même s'il lui arrive d'en sortir, dans un lieu qui nous est inaccessible. La terre n'est pas sa demeure; il la visite, certes, mais y est étranger. Ensuite qu'il est différent; son être n'est soumis à aucune des catégories qui façonnent et conditionnent notre existence. Il n'est pas soumis par exemple au temps et à l'espace (il peut se trouver au même moment dans plusieurs endroits, ce qu'on appelle l'ubiquité); il peut être à la fois un et trois; il peut agir sans tenir compte des lois de la causalité, etc.

À cette conception, on reproche de n’être pas biblique. Le Dieu de la Bible n'habite pas dans une sorte d'Olympe métaphysique; il se trouve au milieu de nous. Nous sommes appelés non pas à sortir des réalités quotidiennes, de ce qui préoccupe notre monde pour le rencontrer, mais à discerner sa présence et son action dans notre monde. Au Dieu lointain et tout autre du théisme s'oppose le Dieu proche de la Bible. Il est Emmanuel (Dieu avec nous) et nous pouvons lui dire "tu", entrer en dialogue avec lui.

2. Selon le théisme classique, de même qu'il se situe en dehors de l'espace, Dieu ne relève pas du temps. Il est intemporel. On le déclare "Éternel. L'éternité que lui attribue le théisme classique ne signifie pas seulement qu'il a toujours existé et qu'il existera toujours, mais qu'il n'est pas soumis à l'écoulement du temps. Il n'y a pas pour lui d'avant et d'après, ni par conséquent de changement. Il est immuable. Il reste toujours le même. Il n'a pas à proprement d'histoire.

Au contraire, le dynamisme et l'espérance caractérisent le Dieu biblique. Selon une expression empruntée à Bergson, il est élan créateur. Il est tendu vers un but qu'il veut réaliser, vers un avenir qu'il prépare. "Mon Père travaille jusqu'à présent" dit Jésus*, et l'Apocalypse* affirme qu'il était, qu'il est et qu'il vient, ce qui implique bien qu'il y a en lui un mouvement, une progression. Ses relations avec sa créature le marquent. A un certain moment il devient le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, plus tard le Dieu de Jésus-Christ, ce qu'il n'était pas auparavant. Il y a donc bien une histoire de Dieu, et pas seulement une histoire humaine.

3. Le théisme classique soutient, en général, la thèse de l'impassibilité et de l'invulnérabilité de Dieu. Ce qui veut dire qu'il ne peut pas souffrir. Rien ne le blesse, ne le touche, ni ne l'émeut. Ce qui se passe dans le monde ne l'affecte pas; il se situe au dessus des événements qui ne l'atteignent pas, qui ne troublent pas sa sérénité, qui ne diminuent ni n'augmentent sa béatitude. Les scolastiques du Moyen Age, Anselme de Cantorbery au onzième siècle, Thomas d'Aquin au treizième expliquent qu'il n'y a aucun rapport, aucune ressemblance entre l'amour que connaissent les êtres humains, et celui de Dieu. L'amour humain est une passion; il nous affecte, nous fait souffrir ou nous rend heureux; il ne nous laisse pas intact. L'amour de Dieu, au contraire, désigne ce qui sort de lui et vient vers nous, donc un acte, et nullement ce que Dieu éprouve en lui-même, ce qu'il ressent dans son être.

Sur ce point également, le théisme classique se trouve en opposition avec la Bible qui parle d'un Dieu qui se réjouit ou s'attriste, qui éprouve des sentiments. Ce qui se passe dans le monde l'affecte. La Croix permet même de parler de la souffrance de Dieu. Pour la théologie classique, pour Calvin, par exemple, à Golgotha, seule la nature humaine de Jésus est torturée et crucifiée, pas sa nature divine. Jésus souffre en tant qu'homme, pas en tant que Dieu. Au contraire le néo-théisme (mais déjà Luther allait dans ce sens), parle beaucoup du Dieu humilié, crucifié, douloureux et vulnérable.

4. Le théisme classique affirme très fortement la toute puissance de Dieu, ce qui veut dire non pas seulement qu'il peut tout, que rien ne lui est impossible (omnipotentia), mais qu'il exerce en fait une souveraineté totale, un pouvoir absolu (potestas absoluta) sur l'ensemble de l'univers. Il ne se contente pas de permettre que tel événement se produise; il décide qu'il se produira. Il détermine chaque détail de ce qui se passe dans le monde. Rien n'arrive ni n'existe sans sa volonté.

Cette thèse se heurte à trois objections.

- D'abord, elle rend Dieu directement responsable de toutes les catastrophes et malheurs du monde. Elle fait de lui un bourreau et un criminel. Il aurait voulu Hitler et les camps de concentrations, les massacres du Ruanda, le sida, la malnutrition qui tue des millions d'êtres humains.

- Ensuite, elle enlève toute liberté et toute autonomie aux humains et aux autres êtres du monde qui deviennent de simples marionnettes, que Dieu manipulerait à sa guise. Nous croyons décider, choisir; en fait ce serait Dieu qui nous déterminerait. Les théologiens du Process soutiennent qu'en réalité le Dieu de la Bible n'oblige jamais. Il agit non pas en contraignant, mais en persuadant, en convaincant (d'où l'importance donnée dans le judéo-christianisme à la parole de Dieu).

- Ensuite, elle s'oppose aux textes bibliques qui parlent de la désobéissance des humains, et des échecs de Dieu. On pourrait rétorquer que la Bible parle de la toute puissance de Dieu. En fait, souvent ce sont les traducteurs qui ont introduit cette idée dans les textes. Ils l'ont fait en toute bonne foi, sans s'en apercevoir, tellement elle leur paraissait évidente. Ainsi, ils ont rendu l'hébreu El Shaddai, et le grec pantocrator par tout-puissant; or le premier mot veut dire celui qui agit avec force, qui a de la puissance, et le second celui qui guide, qui oriente. Quand Jésus déclare qu'il ne tombe pas un moineau à terre sans votre Père (traduction littérale)*, les versions anciennes, et encore aujourd'hui certaines écrivent : "sans la volonté de votre Père", alors que l'on pourrait aussi bien comprendre : "sans que votre Père soit là, sans sa présence". Il ne va pas de soi que la Bible affirme la toute puissance de Dieu; elle dit qu'il est la puissance qui finira pas l'emporter sur toutes les autres, mais pas celle qui décide de tout actuellement.

5. Pour le théisme classique, Dieu garantit l'ordre du monde, l'ordre cosmique, mais aussi l'ordre social et politique. Il l'a établi, et le maintient. Il appuie les autorités en place et les lois existantes. Il nous demande d'accepter ce qui est, de nous soumettre, et de nous résigner, puisqu'il a voulu et veut le monde tel qu'il est. Essayer de le transformer relève de l'impiété et du blasphème.

Or le Dieu biblique proclame, au contraire, "je fais toutes choses nouvelles". Il s'efforce de faire bouger et de changer le monde. Loin de favoriser le conservatisme, il appelle à l'invention et à la novation. Il pousse les croyants à se révolter contre ce qui va mal et ce qui fait mal, et à travailler à l'édification d'un monde meilleur. Il est le Dieu du mouvement, de la transformation, pas celui de l'ordre et de la stabilité.

André Gounelle
(cours)

Notes :

* L'athéisme, Que sais-je?, p.36.

* Œuvres, la Pléiade, tome 1, p. 1238-1240.

* Le traité théologico-politique de Spinoza et la pensée biblique, p. 74

* The Courage to Be, p.184-185 (t.p.180).

* Jean 5, 17.

* 1, v.4 et 8.

* Matth. 10, v.29

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot