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Huldrich Zwingli
Interview imaginaire

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis né en 1498 dans les montagnes de Suisse. Je suis un paysan, et j'en suis fier. J'ai fait des études et je suis devenu prêtre. J'ai été aumônier militaire; et j'ai protesté contre l'habitude des cités suisses de se faire de l'argent en vendant les jeunes gens comme soldats à la solde de l'étranger. J'ai été curé de paroisse à Glaris, puis dans un lieu de pèlerinage à Einsiedeln, où mon travail consistait à confesser les pèlerins et à assurer les prédications.

Vous avez été ensuite appelé à Zurich ?

En 1520, j'ai été nommé curé de la cathédrale. J'y ai prêché l'évangile et non la doctrine du pape, et j'y ai organisé des cercles où l'on lisait et étudiait la Bible. L'évêque dont je dépendais, qui habitait à Constance, m'a condamné, mais les autorités de la ville m'ont soutenu. Ce fut le commencement de la réforme en Suisse. À partir de Zurich, elle s'est ensuite répandue à Bâle, à Berne, à Lausanne, à Neuchâtel.

Qu'est ce qui vous a amené à rompre avec les doctrines de Rome?

D'abord, l'étude du Nouveau Testament. Je me suis procuré l'édition grecque publiée par Erasme que j'ai travaillée de très près. J'y ai trouvé un enseignement très différent de celui que donnaient les autorités de l'Eglise. Pour moi, toute la vie et la doctrine chrétiennes se fondent sur la Bible. Il faut l'étudier avec zèle et science. Ensuite, on m'en a blâmé, mais je ne vois pas où est le mal, ma difficulté de vivre dans le célibat. Dieu a fait l'homme et la femme pour qu'ils vivent ensemble. L'interdiction qu'un prêtre se marie me semblait insupportable et inhumaine. Et je découvrais qu'elle n'avait aucun fondement dans l'Ecriture.

Enfin, au cours d'une épidémie de peste, j'ai été atteint par ce mal en me rendant au chevet de mes paroissiens malades et je m'en suis tiré. J'ai alors pris conscience de la puissance de Dieu et j’ai appris à ne compter que sur elle, à lui faire entièrement confiance.

Vous avez été le premier à appeler "pasteurs" (ou "bergers") les ministres évangéliques ?

J'ai prononcé un sermon et écrit un petit traité intitulé "Le pasteur" ou "le berger". Le berger remplit trois fonctions qui correspondent à celle d'un prédicateur de l'évangile : guider sa communauté sur les chemins de l'obéissance à Dieu, la nourrir de la parole de Dieu, la défendre contre ses adversaires. J'ai souligné que l'existence du pasteur, comme celle du Christ, est difficile. Il se trouve sans cesse pris dans des combats, mais la seule arme qu'il doit y utiliser est celle de l'amour.

Luther

Quelles sont vos relations avec Luther ?

J'ai beaucoup d'admiration pour lui. Il est un excellent soldat de Dieu, qu'aucun adversaire n'intimide ni n'effraie. Il est un sérieux et admirable interprète de la Bible, comme il n'y en avait pas eu depuis mille ans.

On vous a accusé d'être luthérien ?

Les grands de ce monde, empereur, pape, évêques, docteurs ont appelé "luthériens", pour pouvoir les déconsidérer et les persécuter, tous ceux qui se ralliaient à la doctrine des évangiles, même quand ils n'avaient rien lu de Luther. C'est ce qui m'est arrivé. J'ai cessé d'enseigner la doctrine papiste, et j'ai commencé à prêcher l'évangile alors que je n'avais encore jamais entendu parler de Luther.

Vous connaissez tout de même ses œuvres ?

Je les ai lues plus tard. Sa doctrine et ses explications de l'Écriture (je ne veux pas parler de ses disputes) sont si bien et dûment fondées sur la parole de Dieu qu'aucune créature au monde ne peut les renverser. Luther n'entend pas introduire des nouveautés ou des idées qui lui seraient propres. Il ne prêche que ce qui se trouve dans l'éternelle et inaltérable Parole de Dieu. C'est là le trésor céleste et inépuisable qu'il présente aux pauvres chrétiens si longtemps induits en erreur.

Vous avez personnellement rencontré Luther ?

Oui, au château de Marbourg en 1529. Le prince Philippe de Hesse nous avait invité pour nous rencontrer et nous entendre. L'Empereur Charles Quint avait convoqué tous les responsables politiques de l'Allemagne à Augsbourg en 1530 pour une diète (assemblée) qui devait examiner les querelles religieuses et prendre des décisions. Le prince Philippe de Hesse était un chrétien évangélique convaincu. Il était l'ami de Luther et le mien. Il désirait un accord entre nous pour que nous nous présentions unis devant l'Empereur et le représentant du Pape. Il avait invité également à Marbourg mes collègues Oecolampade de Bâle, Bucer de Strasbourg et quelques autres.

Cette rencontre s'est-elle bien passée ?

  Non, et autant j'admire l'œuvre de Luther, autant l'homme m'a déçu. Je l'ai trouvé arrogant et buté. Il s'est conduit en allemand, convaincu de sa supériorité, fier d'avoir des princes et des seigneurs magnifiques; il méprisait les suisses parce qu'ils n'ont pas de noblesse et sont dirigés par des conseils de bourgeois. Ne sommes nous pas pourtant plus libres et plus responsables ainsi ? Il connaissait mal les méthodes des humanistes qui ont renouvelé les lettres et l'étude des textes; il était, par contre, imbu d'auteurs monastiques qui ne m'intéressent pas et, à cause de cela, il m'accusait d'ignorance. Il n'écoutait pas ce que je disais et n'admettait pas qu'on discute ses propos.

De quoi avez-vous discuté ?

De presque tout ce qui concerne la foi chrétienne. Nous avons adopté un texte en quinze points. Sur quatorze nous étions totalement d'accord, mais pas sur le quinzième qui concernait la présence du Christ dans la Cène.

Votre grand désaccord avec Luther concerne la Cène ?

Oui. Le sacrement qui devrait marquer la communion des chrétiens les a terriblement divisés. Il nous a empêché de nous allier. Luther a été très dur. À Bucer qui essayait de trouver un compromis, il a dit : "nous n'avons pas la même religion". Il avait écrit à la craie sur le table Hoc est corpus meum (ceci est mon corps), en latin, pas même en grec, langue originale du Nouveau Testament, et il rejetait violemment tout essai d'expliquer cette parole du Christ à partir d'autres paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Pourquoi ce désaccord ?

En y réfléchissant après, j'ai pensé qu'il s'expliquait par la différence de nos expériences. J'ai été curé dans des villages et dans un lieu de pèlerinage. J'ai constaté les superstitions et les mascarades qui entouraient le sacrement et mon souci était de les combattre. Luther n'a jamais eu de paroisse. Il a vécu dans un couvent, puis est devenu professeur d'Université. Il a toujours pris le sacrement dans un cadre monastique, où on le célébrait avec recueillement et où il représentait un moment fort de la vie spirituelle. Luther a réagi en religieux connaissant mal le peuple, et moi en pasteur responsable de gens ordinaires qu'il fallait corriger et conduire à une foi plus pure et plus intérieure.

La Cène

On vous a beaucoup reproché de faire de la Cène une célébration vide, une sorte de cérémonie du souvenir où le Christ n'est pas présent.

  Il s'agit d'une calomnie. J'ai seulement dit et je maintiens que le Christ n'est pas présent dans le pain et dans le vin. Cette croyance superstitieuse, beaucoup trop répandue, fait du sacrement un acte de magie. Par contre, il vient et entre dans nos cœurs, dans nos esprits, dans nos existences. Le corps du Christ, ce n'est pas le pain, mais l'assemblée des fidèles; ils sont transsubstantiés par l'action de l'Esprit agissant en eux.

Cela se passe quand ils prennent la Cène ?

Non, le Christ se trouve présent en eux avant qu'ils ne reçoivent le sacrement. C'est l'Esprit qui rend le Christ présent, non un rite ou un bout de pain. L'Esprit ne dépend pas des cérémonies. Il n'a pas besoin des sacrements pour nous atteindre. Bien au contraire, les sacrements ont besoin de l'Esprit pour être vrais. L'Esprit leur donne du sens et de la valeur; ils n'en ont pas par eux-mêmes.

Mais pourquoi alors des sacrements ? Ne sont-ils pas inutiles pour les vrais croyants ?

Le sacrement relève du témoignage. En le prenant, le croyant déclare publiquement, au su et au vu de tous, ce que le Christ a fait pour lui, ce que le Christ représente dans sa vie. La foi ne peut pas rester intérieure et secrète; elle doit se manifester ouvertement, s'exprimer. Si je suis croyant, il me faut le dire au monde et à mes frères en Christ; il me faut me déclarer publiquement serviteur et soldat du Christ. Voilà ce à quoi sert le sacrement, voilà pourquoi il est nécessaire.

Le sacrement sert à rendre visible la foi ?

Exactement. J'appartiens à l'Église invisible parce que l'Esprit a fait naître, a suscité dans mon cœur la foi. Mais une Église qui reste invisible ne serait pas une vraie Église. Il lui faut devenir visible, se faire voir pour témoigner du Christ et le servir. Le sacrement fait passer de la foi personnelle et intime à la vie communautaire.

Doit-on célébrer souvent la Cène ?

On doit la célébrer régulièrement, mais pas trop souvent. En tout cas, pas tous les dimanches; je suggère quatre fois par an, cela me paraît un bon rythme.

Pourquoi pas plus souvent ?

Permettez-moi une comparaison pour le faire comprendre. Un peuple a besoin de temps à autres de grandes célébrations pour marquer son unité. Il prend ainsi conscience de former un ensemble; chacun se rappelle qu'il appartient à une communauté de concitoyens. Pour que ces célébrations remplissent leur rôle, il ne faut pas en faire trop souvent. Une fois par an, la fête nationale a un certain éclat et de l'effet; si elle avait lieu chaque semaine, elle deviendrait insignifiante. De la même manière, des amis se réunissent de temps en temps pour un banquet qui scelle et manifeste leur amitié. S'ils organisent, un repas ensemble tous les jours, il ne sera plus un moment fort et significatif de leur amitié. Ou encore, je ne célèbre pas chaque semaine le jour de naissance de mes enfants, mais chaque année; ce qui permet d'en faire une vraie fête.

Il en va exactement de même chose pour la Cène. Elle manifeste la réalité de l'Église, du peuple de Dieu à la fois pour ceux qui en font partie, les croyants, et pour ceux qui n'en font pas partie, les non-croyants. Pour qu'elle remplisse bien cette fonction de manifestation publique, il faut qu'elle reste un événement marquant. Quand on la célèbre chaque semaine, on la prive de son sens, ou on en fait une superstition. Par contre, notre foi personnelle a besoin d'être nourrie chaque jour et chaque semaine par l'écoute de la parole de Dieu : nous avons besoin de cultes et d'études bibliques très fréquentes, comme nous avons besoin de repas quotidiens pour nos corps.

Le Baptême

Après la Cène, parlons du baptême. Vous avez eu des démêlés avec les anabaptistes ?

Nous avons été au début très proches, travaillant ensemble au retour à l'évangile de l'église de Zurich, participant à un combat commun, faisant partie du même mouvement. Hélas, des amis très chers, également soucieux de servir le Christ, sont devenus d'implacables adversaires.

Qu'est-ce qui vous a opposé ?

Conrad Grebel et ses amis trouvaient que j'allais trop lentement dans les réformes, que je mettais beaucoup de temps, par exemple, à remplacer la messe papiste par le culte évangélique. Je les comprends, mais j'avais le souci d'expliquer et de convaincre les gens. Je ne voulais introduire des changements que lorsque mes paroissiens les avaient compris et étaient prêts à les accepter. Je ne pouvais pas laisser de côté des milliers de gens, les abandonner pour former une communauté de purs.

Au contraire, Grebel estimait qu'il fallait rompre avec le plus grand nombre et ne s'occuper que des vrais convertis. Les chrétiens pour lui représentaient forcément un petit nombre d'élus en rupture avec le peuple et qui devaient s'en séparer. Moi, je crois que l'évangile concerne tout le monde, et ne s'adresse pas seulement à quelques âmes d'élite.

Grebel vous a demandé de citer des textes du Nouveau Testament qui puissent justifier baptême des enfants ?

Grebel avait une lecture très rigide et étroite de la Bible. Pour lui, tout ce que la Bible ne commande pas explicitement doit être interdit dans l'Eglise. Par exemple, nulle part, elle ne commande de chanter des cantiques au cours des cultes; il ne faut donc pas en chanter. Sur ce point, j'ai suivi Grebel, malgré mon amour de la musique : le peuple ne savait pas chanter et je ne voulais pas des chœurs exécutés seulement par des musiciens professionnels qui auraient transformé les cultes en concerts. Autre exemple, Grebel aurait voulu qu'on célèbre la Cène uniquement le soir, parce Jésus l'avait instituée le jeudi saint à la tombée de la nuit.

Grebel me disait sans cesse : "dis-moi quel texte biblique t'autorise à baptiser des bébés ?". À quoi, je lui répondais : "quel texte biblique me l'interdit ?". J'ai reproché aux papistes d'ajouter au texte biblique la tradition, et de déformer ainsi l'évangile. À sa manière, Grebel faisait un peu la même chose. En transformant le silence du Nouveau Testament sur le baptême des bébés en interdiction de le pratiquer, il ajoute à la parole de Dieu des choses qui ne s'y trouvent pas et en change le sens. Si la Bible n'en parle pas, cela veut dire qu'elle ne défend pas qu'on baptise les bébés.

Mais vous nous avez dit que le sacrement a pour fonction d'exprimer, de manifester ce que l'Esprit fait en nous et pour nous. En baptisant les bébés, ne vous contredisez-vous pas vous-même ?

J'ai hésité sur le baptême, et j'ai pensé, en effet, à une certaine époque qu'il serait mieux de le réserver aux adultes. Et puis, j'ai pensé que l'Esprit avait déjà agi dans le bébé et pour lui en le faisant naître dans une famille chrétienne, en lui permettant ainsi de connaître l'évangile dès sa plus tendre enfance. Le baptême exprime ce que Dieu a fait pour nous, non les sentiments de notre cœur. Il rend témoignage de la puissance et de l'amour de Dieu, non de la pureté ou de la solidité de nos convictions. C'est pourquoi, les enfants des chrétiens témoignent en recevant le baptême, même s'ils n'en ont pas conscience.

Vous avez laissé condamner et exécuter dans des conditions abominables les anabaptistes; certains ont été noyés dans le lac, parce que "ayant péché par l'eau, ils devaient être punis par l'eau".

La sentence a été prise par le magistrat, non par les autorités de l'Eglise, parce qu'ils ont estimé que les anabaptistes refusaient l'obéissance aux autorités civiles, mettaient en danger l'ordre et la cohésion de la ville, et conduisaient à l'anarchie. J'ai approuvé cette sentence en tant que citoyen.

L'interviewer ne peut ici qu'exprimer l'indignation et la tristesse que suscite en lui cette sentence. Il remarque que les attitudes de Luther envers les paysans révoltés et les juifs, celle de Zwingli envers les anabaptistes, celle de Calvin envers Servet et quelques autres pèsent sur leur mémoire et représentent des épisodes sinistres de la Réforme. Même si ces faits s'expliquent en partie par l'esprit de l'époque (encore qu'il y ait eu des partisans de la tolérance au 16ème siècle), ils ne font pas honneur au protestantisme et il serait vain de vouloir en cacher ou atténuer l'horreur.

Rappelons que Zwingli est mort en 1531, à la bataille de Cappel qui opposait les troupes de Zurich à celles des cantons catholiques. Son œuvre sera continuée à Zurich par Bullinger. Zwingli est le père et le premier grand penseur du courant réformé, dont Calvin deviendra, plus tard, le principal théologien.

André Gounelle
Le Christianisme au vingtième siècle, n°289, 19 janvier 1991

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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