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Les mots s’usent

Á force d’être employés, les mots perdent leur fraîcheur et leur impact. Ils vieillissent, s’usent. Il arrive que ceux qui ont touché nos pères ne nous parlent plus. Ils ont perdu leur puissance émotive et expressive.

Dans le langage des églises, on rencontre des termes que le temps a flétris et fanés. Quand on appelle Jésus « seigneur », on utilise un titre qui avait de la force et du poids dans l’Antiquité et au Moyen Age, mais qui paraît aujourd’hui archéologique et désuet. Lorsqu’on parlait à nos ancêtres de leur « salut », ils se passionnaient ; par contre, nos contemporains se demandent de quoi il s’agit exactement. Le mot « grâce » n’éveille rien de précis pour beaucoup d’entre nous et celui de « péché » souvent nous égare. On a parfois le sentiment que le vocabulaire classique du christianisme n’a plus cours ; seuls des initiés le comprennent.

Dans cette situation, quatre possibilités s’offrent à nous.

1. Inventer un langage différent, adapté à notre temps pour y faire entendre le message de l’évangile. Beaucoup s’y essaient avec parfois des trouvailles heureuses, souvent sans grand succès. On ne forge pas sur commande un vocabulaire. On ne sait pas pourquoi ni comment des mots surgissent et s’imposent. De plus, abandonner les termes bibliques ne risquerait-il pas de nous couper des fondements mêmes de notre foi ?

2. Nettoyer les mots classiques (comme on nettoie un tableau pour lui rendre ses couleurs originelles), les restaurer (de même qu’on réhabilite des façades d’immeubles abîmées par le temps et par les gaz d’échappement). Souvent, les études bibliques, les prédications, les publications religieuses, les ouvrages théologiques visent à rendre leur jeunesse aux termes religieux en écartant des mauvaises compréhensions et en montrant ce qu’ils veulent vraiment dire. Cette entreprise nécessaire, souvent menée avec sérieux et compétence, aide bien les gens des paroisses ; par contre, ceux du dehors l’ignorent et notre vocabulaire leur reste étranger.

3. Renoncer à parler et communiquer l’évangile par nos comportements et actes, comme le font beaucoup de militants chrétiens de l’humanitaire. Si nos mots ont perdu leur pouvoir de signifier, cela ne vient-il pas en partie du décalage entre ce que nous disons et faisons ? Nous ne pouvons cependant pas oublier que la parole est le moyen de communication par excellence. Dieu se manifeste et agit par la Parole ; Jésus à la fois guérit et prêche. Si parler ne dispense pas d’agir, à l’inverse agir ne rend pas la parole inutile ou superflue.

4. S’exprimer par l’art. On a soutenu que nos contemporains font une expérience proche de celle du sacré (c’est-à-dire d’une réalité qui les dépasse, les interpelle et leur apporte du sens) dans les concerts, les expositions, le cinéma, etc. L’art devient vecteur du sentiment religieux et les expressions esthétiques de la foi ont de l’impact bien au-delà des églises.

Pour donner santé et vigueur au langage de la foi, sachons utiliser conjointement ces quatre possibilités. Je rêve d’une prédication qui à la fois innove, réhabilite les mots anciens, suscite des actes et soit belle. En dépit des difficultés de leur tâche, plus souvent que probablement ils ne le pensent, les prédicateurs que j’entends y parviennent au moins en partie. Je leur dis une reconnaissance qui à travers eux va plus loin, car c’est l’Esprit qui fait vivre et parler les mots, les nouveaux comme les anciens (ce qui n’exonère ni du travail ni de l’effort).

André Gounelle
Le Cep, juin 2004.

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot