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Dominus Iesus

On pouvait difficilement imaginer pire. Voilà un texte, rédigé par la Congrégation pour la Doctrine de la foi (présidée par le Cardinal Ratzinger), approuvé par le Pape "avec science certaine et autorité apostolique" (c'est lui qui le dit) qui nous ramène à ce catholicisme rigide et dur dont on pouvait croire ou espérer que petit à petit il s'adoucissait et évoluait. Bien sûr, l'institution romaine ne corrige, ne modifie ni ne désavoue jamais les positions doctrinales définies dans le passé. Elle se contente d'en mettre parfois certaines en sommeil, de les laisser dans l'ombre, de ne plus en parler. Mais elles demeurent, et il suffit d'un rien pour qu'elles reviennent avec vigueur et qu'on les place à nouveau en pleine lumière. On l'a vu avec les "indulgences", il y a quelques mois. Nous en avons un nouveau exemple avec Dominus Iesus (que je traduirais volontiers non pas "le Seigneur Jésus", mais "Jésus dominateur", ou "tyrannique").

Ce document refuse la qualité d'Église aux protestants. Ils forment tout au plus, comme on le disait dans les années 60 (avant Vatican 2), des "communautés ecclésiales". Les responsables ecclésiastiques réformés et luthériens ont justement réagi à ce point. Personnellement, il me laisse assez froid. Je me réjouis plutôt que l'Église à laquelle j'appartiens ne soit pas vraiment une Église au sens où l'entend ce catholicisme-là, c'est à dire une institution dogmatique, hiérarchique et autoritaire, dépositaire et gestionnaire du sacré, dispensatrice du salut. Mais je sais que le catholicisme n'est pas que cela, et je m'attriste de voir sa réalité, que j'ai découverte avec beaucoup de respect et d'amitié, cachée et défigurée par cette Déclaration.

Obnubilés par les propos sur le protestantisme, avons nous prêté assez attention à ce que Dominus Iesus dit des autres religions? Elles sont réduites à servir, dans le meilleur des cas, de marchepied pour accéder à la vérité catholique - et on veut bien les en remercier. Contre les thèses du grand théologien catholique Karl Rahner, on leur dénie une valeur intrinsèque. On avait le sentiment que Jean-Paul 2, en général plutôt conservateur et conformiste, faisait preuve dans le domaine de l'interreligieux d'une ouverture et d'une audace remarquables. Je n'ai pas beaucoup d'admiration pour lui, mais sur ce dossier difficile je l'ai admiré, comme je suis touché par la conscience (malheureusement avec un discernement qui n'égale pas son abnégation) avec laquelle il continue à exercer un métier que son âge et sa santé rendent trop dur pour lui. Et voilà qu'il désavoue ce qu'il a fait de mieux et annule lui-même ce qu'il avait heureusement amorcé. Quel gâchis.

Il ne faut pas s'y tromper : ce ne sont pas les protestants et les fidèles d'autres religions qui sont visés par ce texte, mais les catholiques d'ouverture qui s'engagent dans les échanges œcuménique et qui cherchent des voies nouvelles pour le dialogue avec les autres religions. C'est plus en pensant à eux qu'à cause de ce qu'il dit de nous que ce texte nous fait mal. La théologie catholique la plus vivante, la plus intéressante, la plus prometteuse reçoit un ferme coup de crosse. Malgré tout, la vie, qui vaut mieux que les déclarations doctrinales, continuera; la pensée théologique finira par briser les rigidités dogmatiques, et l'Esprit arrivera bien à balayer ces vieilles poussières. Nous continuons à espérer avec et pour nos amis catholiques libéraux. En attendant, on aurait voulu nuire à l'Église Romaine, on ne s'y serait pas pris autrement.

André Gounelle
novembre 2000

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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