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Le suaire de Turin

Étrange histoire que celle du Saint Suaire de Turin, dont parlent abondamment la presse et la télévision. Elle donne un triste exemple des dérapages qui menacent les institutions et les mentalités religieuses. Elle montre, une fois de plus, que la spiritualité dégénère vite et facilement en superstition.

La cause, pourtant, paraissait entendue. Des tests ont montré que le drap conservé à Turin date du onzième ou douzième siècle et, donc, qu'il ne saurait être celui qui a servi à enterrer Jésus. Les autorités ecclésiastique qui ont fait faire voire qui ont demandé ces tests avaient enregistré ces résultats et nous semblaient vouloir en tenir compte. Et puis, voilà qu'une double et consternante offensive se dessine.

1. En premier lieu, on met en cause les conclusions des scientifiques. On suppose, sans en apporter la preuve, que des "accidents" (exposition à la chaleur et à la lumière intenses d'un feu) auraient altéré le tissu et faussé le résultat des tests. On parle de "pollens" d'origine palestinienne trouvés dans le tissu (et que l'incendie n'aurait pas affecté).

Il est clair que l'on peut toujours contester des analyses, et demander des compléments ou des vérifications. C'est un droit légitime, et la connaissance avance souvent par discussion de résultats déjà obtenus. Il n'en demeure pas moins que, d'une part, les motifs avancés pour mettre en cause la datation scientifique du drap apparaissent bien légers et, d'autre part, qu'on peut s'interroger sur les arrière-pensées commerciales de ce débat. Un drap authentique a plus de chance d'attirer des foules quand on l'expose. Bref, la contestation tombe tellement bien à point qu'on ne peut pas s'empêcher de la soupçonner de n'être pas tout à fait honnête.

2. En second lieu, dans certains milieux catholiques (pas dans tous, heureusement), on explique que même si ce drap n'est pas vraiment le suaire du Christ, il aide, néanmoins, beaucoup de gens dans leur spiritualité et que le voir affermit leur foi. Même inauthentique, le drap apporterait un soutien spirituel, comme le font les tableaux ou les statues qui représentent la Vierge, la Nativité, la Crucifixion, et qui sont des supports pour la dévotion.

Cette seconde offensive, avec sa fausse apparence de conciliation entre les données scientifiques et les exigences de la foi, met en œuvre une argumentation qui me paraît encore plus inquiétante que celle qui conteste les tests.

D'abord, elle favorise cette fraude pieuse qui sacrifie la vérité et légitime le mensonge (dans le meilleur des cas implicite), soi-disant pour le plus grand bien des âmes, dans le but de susciter ou d'entretenir la piété, parce qu'on pense consolider ainsi la religion. Ne peut-on pas avoir le courage de la vérité, même quand elle nous dérange, et croit-on rendre gloire à Dieu par de tels procédés? Le protestantisme a aussi ses misères et ses malhonnêtetés : le fondamentalisme ne vaut pas mieux que la dévotion au Saint Suaire. Cependant, lorsqu'il a accepté la critique historique de la Bible qui met à mal l'exactitude de nombreux récits évangéliques et l'authenticité de certains écrits, le protestantisme n'en est pas sorti affaibli, mais spirituellement, intellectuellement, et culturellement renforcé. Nous ne voulons pas d'une piété qui jongle avec la vérité; ni la foi ni l'intelligence n'y gagnent, bien au contraire.

Ensuite, quelle sorte de spiritualité favorise la contemplation du Saint Suaire? Certainement pas une spiritualité évangélique pour qui le Christ est présent auprès des siens par sa Parole et par son Esprit et non pas son image ou par des reliques. Certainement pas une spiritualité de type paulinien qui ne s'intéresse pas à Jésus selon la chair (2 Cor.5,16) et se moque complètement de la figure qu'il pouvait bien avoir. Par contre, y trouve son compte cette superstition qu'est la Jésulâtrie (qui adore l'homme Jésus au lieu de voir en lui le témoin et le représentant de Dieu) Croire en Christ signifie écouter la parole de Jésus, la suivre, se laisser entraîner par elle. Faire la queue pour regarder une image prétendue de Jésus n'apporte rien à la foi.

Nous aimerions qu'un certain nombre de catholiques dont nous admirons l'honnêteté intellectuelle et la profondeur spirituelle proclament haut et fort, en public, que s'il est authentique (hypothèse peu vraisemblable), le saint suaire est une admirable pièce de musée, mais en aucun cas une aide ou un appui à une spiritualité vivante et saine.

André Gounelle
Évangile et Liberté, cahier, juin 1998

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot