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Fanatisme

Histoire d’un mot

« Fanatisme » se rattache à une famille de mots latins : au substantif fanum qui signifie le temple, le sanctuaire et s'oppose à « profane » (ce qui est en dehors de l’enclos sacré) ; au verbefanare qui veut dire « consacrer » ; à l’adjectif fanaticus qui s'applique au prêtre, à l'inspiré, à l’homme de Dieu.

Si on s'en tenait à cette étymologie, « fanatique » équivaudrait simplement à « religieux ». Mais très vite, « fanatique » a désigné une passion religieuse excessive et immodérée. Le latin connaît déjà un adverbe fanatice qui indique un état de fureur et de délire. À partir du dix-huitième siècle, on emploie « fanatisme » presque exclusivement en un sens négatif. Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire distingue le fanatique de l’enthousiaste ; il considère que l’un et l’autre sont des insensés qui prennent leurs « songes pour des réalités » et leurs « imaginations pour des prophéties », mais le premier « soutient sa folie par le meurtre », alors que le second ne fait de mal à personne. Le fanatisme est « une peste de l’âme » qui tourne la religion « en poison ».

Aujourd’hui, on trouve un usage adouci et non religieux du terme ; on se déclare « fan » d’un chanteur, d’un acteur, d’un sportif qu’on aime bien, peut-être à l’excès, mais sans être prêt à tuer ou à se faire tuer pour lui.

Foi et fanatisme

En général, on fait dériver le fanatisme de la foi. On l’attribue à des convictions soit trop fortes soit trop faibles.

Dans le premier cas, la « radicalisation », pour reprendre le terme devenu habituel, résulterait d’une foi excessive, hypertrophiée qui se juge indiscutable. Ce qui diffère de ce qu’elle croit ou professe lui apparaît comme une monstruosité à supprimer et un crime à punir, car elle y voit le refus d’une évidence qui devrait s’imposer à tous. Paul Ricœur parle en ce sens d’une « violence de la conviction ».

Dans le deuxième cas, le fanatique souffrirait au contraire d’une fragilité et d’une vulnérabilité internes. Il se montre brutal parce qu’il ne se sent pas solide. Il frappe parce qu’il ne sait pas discuter, argumenter, démontrer. Il veut éliminer les questions et les objections à cause des incertitudes et des angoisses qu’elles éveillent en lui. « Les fanatiques, écrit Eric-Emmanuel Schmitt, écrasent leurs doutes en sur-affirmant leur foi ».

Ces deux explications classiques (qui ont chacune une part de vérité) s’appliquent-elles au terrorisme actuel ? Il se pourrait bien qu’il plonge ses racines ailleurs que dans le religieux. Ne vient-il pas plutôt d’un sentiment d’exclusion et d’humiliation ? Dans un monde où ils ont l’impression d’être des parias, objets de mépris et de dérision, les terroristes entendent affirmer qu’ils existent. Ils veulent démontrer qu’ils ont la capacité de tuer ceux qui les ignorent ou les dédaignent ; ils cherchent à détruire un monde à qui ils reprochent de les exclure. Si cette hypothèse est juste, la religion n’engendre pas ici le fanatisme, mais elle est envahie et instrumentalisée par la rage de se venger de la société et de s’imposer à elle.

Religion et fanatisme

Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que les religions sont particulièrement exposées au risque et à la tentation du fanatisme. Cela tient à leur nature même : la religion nous relie, ou entend nous relier, à cet être transcendant ou à cette réalité ultime que dans la tradition biblique on nomme Dieu. « Personne n’a jamais vu Dieu » écrit l’évangile de Jean. Nous n’avons pas accès à son « secret » disait Calvin, autrement dit, à ce qu’il est en lui-même. Il se révèle à nous à travers des événements, des personnes, des textes, des institutions et des cérémonies. En eux, Dieu nous rencontre, mais ils ne s’identifient pas avec Dieu ; ils sont ses messagers et ses témoins. Ils nous rendent présent ce ou celui qui les dépasse infiniment.

Toute religion a la tentation et court le danger d’identifier Dieu avec ce qui, selon elle, le manifeste. Elle tombe alors immanquablement dans le fanatisme. En oubliant que Dieu seul est saint (ou sacré), comme le proclame inlassablement Zwingli, elle sacralise ses doctrines, ses sacrements, son clergé. Elle considère comme un blasphème ou un sacrilège toute contestation de ce qu’elle fait et dit ; elle n’accepte ni l’indifférence ni les mises en question. Par amour pour Dieu, pour servir et maintenir sa gloire qu’elle estime porter et incarner en elle-même, elle réprime aussi durement qu’elle le peut ce qui s’oppose à elle, ce qui lui échappe ou ce qui propose une autre approche. La vieille légende de l’ange déchu illustre cette dérive : parce qu’il est porteur d’un message divin, l’ange se prend ou on le prend pour Dieu ; il devient alors un démon ; il cesse d’être un serviteur et se transforme en ennemi de Dieu et des hommes.

Ici, la lutte contre le fanatisme se confond avec le combat que doit mener la religion pour rester humble. Elle a sans cesse besoin de se rappeler et de rappeler que Dieu, comme l’écrit Paul Tillich, est « au dessus de Dieu », c’est à dire au dessus de ce qu’on en dit, de la représentation que l’on en a, de la manière dont on le sert, le célèbre et le vit. Cette relativisation, constamment à opérer, pose un garde fou contre le fanatisme qui résulte très souvent d’une idolâtrie (l’idolâtrie rend un culte à une image de Dieu et non à Dieu qui est au delà de toute image). La réflexion théologique permet une religion qui soit enthousiaste tout en ayant du sens et en évitant le fanatisme.

André Gounelle

André Gounelle

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot