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Le Christ symbole de Dieu

 

J’ai intitulé cet exposé « Le christ, symbole de Dieu ». Je vais m’arrêter successivement sur chacun des mots que comporte ce titre. Une première partie portera sur la notion de « christ », une deuxième sur celle de symbole, et la troisième sur Dieu ou, plus exactement, sur la symbolisation de Dieu.

1. Le christ

1. Jésus et le christ

Je rappelle que l'appellation « Jésus Christ » joint, associe et réunit deux termes de nature différente.

D’abord, Jésus, un nom propre qui désigne une personne concrète. Dans cette région du Proche-Orient qu’on a pris l’habitude de nommer Palestine, au début de notre ère, vécut un individu particulier. Il s'appelait Jésus, comme d'autres s’appelaient Pierre, Jean ou Jacques.

Ensuite, Christ, un nom commun qui indique une fonction, comme le font des termes tels que prêtre, avocat ou professeur. Ces mots se rapportent à la charge que quelqu'un remplit, aux responsabilités qu'il exerce, à l'autorité et à la compétence qu'on lui reconnaît.

Lorsque nous disons Albert Schweitzer ou Bill Clinton nous énonçons le prénom et le nom de famille de deux personnes, et nullement leurs qualifications. Par contre, quand nous précisons le docteur Schweitzer ou le président Clinton, nous mentionnons ce que ces hommes ont fait, le rôle qu'ils ont joué, l’activité qui a été la leur. Il en va pareillement quand on parle du christ. Il y a eu et il y a de nombreux médecins et plusieurs présidents. De même, l'Ancien Testament attribue le titre de christ à diverses personnes : à des rois, à des prophètes, à l'ensemble du peuple d'Israël ou au petit reste fidèle, et même au païen Cyrus. Dans le judaïsme contemporain de Jésus, on connaît quelques exemples de gens qui se proclament ou ont été proclamés « christ ». Aussi, plutôt que Jésus-Christ, serait-il préférable de dire Jésus le christ, comme on dit Jérémie le prophète, avec un article devant christ et une minuscule pour bien marquer qu'il ne s'agit pas du nom d'une personne, mais d'un titre que l'on confère à cette personne.

2. Jésus est le christ

Comment, à partir de cette distinction, comprendre la relation entre le nom propre Jésus et le titre de christ ? Pour éclairer cette question je propose une comparaison. Quand on appelle Champlain le fondateur de Québec, on mentionne une caractéristique de Champlain qui lui est propre, qui n’appartient qu’à lui ; de personne d'autre, on ne peut dire de la même manière qu'il est le fondateur de Québec. Par contre, quand on dit de Champlain qu’il a été un explorateur, on lui applique une catégorie générale qui, certes, lui convient et le caractérise, mais dont il n'a nullement le monopole ou l’exclusivité. On peut citer d’autres explorateurs avant lui, en même temps que lui et après lui. Champlain est bien un explorateur, mais il n’est nullement le seul explorateur.

Qu'en est-il de Jésus et du christ? Faut-il les identifier, les assimiler (comme Champlain et fondateur de Québec), ou y a-t-il une relative indépendance de l'un par rapport à l'autre (comme entre Champlain et explorateur) ? À cette question, on a donné deux réponses.

1. La première affirme que seul Jésus de Nazareth a droit au titre de Christ, de même que seul Champlain peut être appelé à proprement parler « fondateur de Québec ». Le christ n’apparaît et ne se manifeste nulle part ailleurs qu'en Jésus. On peut donc dire Jésus ou le christ ou encore Jésus Christ, cela revient au même. Pour prendre une comparaison un peu triviale, quand je verse du café et du lait dans ma tasse, j’obtiens du café au lait et, ensuite, je ne peux plus revenir en arrière et séparer dans ma tasse le café et le lait. Ils sont ensemble, je ne peux pas boire l’un sans boire l’autre. De même, selon cette première réponse, on ne peut plus distinguer ni dissocier Dieu et Jésus, ce qui conduit à pratiquement les identifier. Ainsi des cantiques de Noël parlent des « langes » de Dieu ; souvent on dit qu’à Golgotha, Dieu est crucifié et meurt ; beaucoup de chrétiens prient et adorent Jésus.

Cette fusion entre Jésus, le Christ et Dieu aboutit parfois, comme dans certaines des théologies de la mort de Dieu, à l’élimination du Père. Dieu n’a pas d’action ni même d’existence indépendantes ou différentes de celles de Jésus ; il n’est rien de plus ni rien d’autre que l’homme de Nazareth. Mais la plupart des ceux qui défendent cette première réponsevont plutôt dans le sens contraire, ils divinisent Jésus au point d’oublier son humanité. Ainsi en 1926, fit scandale dans les milieux chrétiens, un tableau de Max Ernst représentant Marie en train d’infliger une vigoureuse fessée au petit Jésus ; on a ressenti comme un blasphème ce rappel, certes brutal, de l’humanité de Jésus pourtant affirmée par le Concile de Chalcédoine.

2. La seconde réponse, tout en liant fortement le christ et Jésus, refuse de les confondre et de les assimiler l’un avec l’autre. Jésus, dit-elle, est totus Christus (totalement Christ) mais pas totum Christi (la totalité du Christ). Même si Jésus est le christ par excellence, il existe du christique ailleurs, chez d’autres que lui. Cette deuxième réponse rejoint un thème très ancien, celui du logos spermatikos. Pour reprendre la parabole du semeur, le logos divin sème des éléments de vérité, de sainteté et de justice dans divers endroits, pas seulement dans la « bonne terre » - Jésus -, mais aussi parmi les ronces, les pierres et les chemins, qui figurent les traditions philosophiques et religieuses de l’humanité.

Si le christ et Jésus sont étroitement liés, conjoints, ils restent ici pourtant distincts, ils ne fusionnent pas. On peut les comparer aux deux wagons d’un T.G.V. ; ils sont articulés l’un à l’autre ; on ne peut pas les décrocher, à la différence des wagons classiques ; on est pourtant dans la voiture 6 ou dans la voiture 7, pas dans les deux à la fois. On refuse donc d’identifier Dieu avec le christ, c’est-à-dire avec l‘homme en qui Dieu se manifeste et agit. Marie fait téter, lange et berce, éventuellement fesse un bébé humain. Elle est mère de Jésus, pas, à proprement parler, de Dieu. Á Golgotha, est crucifié un homme, mais pas Dieu lui-même. L’adoration et la prière s’adressent à Dieu, non à Jésus. Le poète anglais John Milton, proche des puritains, écrit : « l’objet ultime de la foi n’est pas le Christ médiateur, mais Dieu le Père ». Cette deuxième réponse laisse ouverte la possibilité que le christ agisse et se manifeste en dehors de Jésus, là où on ne connaît pas l’homme de Nazareth et où on ne se réfère pas explicitement à lui.

2. Symbole

Un mot mal compris

J’en arrive à la deuxième partie de ce cours qui porte sur le mot de « symbole ». Ce terme est plutôt dévalué, détérioré, mis à mal dans le langage contemporain. On qualifie, par exemple, de symbolique un geste qui n’a aucune efficacité, qu’on fait pour la forme. On dit volontiers : « ce n’est qu’un symbole », alors que, comme l’a écrit justement Ricœur, un symbole n’a pas moins de réalité, de sens ou de valeur, au contraire il en a plus que ce qui n’est pas symbolique. Un jour, Paul Tillich a déclaré dans une conférence qu'il fallait voir en Jésus un symbole. Ses auditeurs se sont scandalisés parce qu'ils ont cru que Tillich niait l'historicité de Jésus, qu'il refusait de voir en lui une personnalité historique, qu'il le mettait au rang d'un personnage imaginaire. Il s’agit d’un contresens. Tillich entendait souligner que la signification de la personne de Jésus dépasse l'homme concret, qu'il n’est pas simplement un juif du premier siècle comme il y en a eu bien d’autres, mais quelqu’un qui a de l’importance pour toute l’humanité et pour mon existence actuelle. Gandhi dans l’après-guerre, Mandela dans les années 90, sont devenus des symboles, parce qu’ils ont représenté le premier l’idéal de non-violence, le deuxième la lutte contre l’apartheid. II n'en découle nullement que ces hommes n'auraient pas réellement existé. Leur reconnaître une dimension symbolique veut dire qu’on estime qu’ils ont été porteurs de principes qu’ils ont plus ou moins bien incarnés et qui les dépasse, même s’ils les ont concrétisés à un certain moment. Dire que Jésus est un symbole de Dieu ne nie nullement qu’il a été un homme véritable, mais signifie qu’il a une dimension que n’ont pas d’autres hommes.

Définition du symbole

Que faut-il entendre par symbole ? Un événement, un objet, un personnage ou une histoire sont symboliques lorsqu’ils portent en eux quelque chose - un sens, une valeur, une présence – qui les dépasse, qui les transcende, qui va au-delà de leur réalité matérielle. Á travers eux, ce quelque chose ou ce quelqu’un d’autre nous parle, nous atteint, nous touche, nous interpelle, devient pour nous vivant et concret.

Tillich a souvent souligné qu’on ne doit pas confondre signe et symbole. Symboliser c’est autre chose que signaler. Le signe renvoie à une réalité qui lui est extérieure ; il la nomme ou la désigne du dehors, autrement dit il l’évoque (ex vocare). Ainsi le panneau sur la route indique un tournant ou un croisement qui se trouve plus loin et qui pourrait parfaitement ne pas être signalé ou être signalé par un panneau différent. Au contraire, le symbole porte, véhicule en lui la réalité à laquelle il renvoie ; il l’invoque (in vocare), autrement dit il l’appelle et la fait surgir du dedans de lui, sans pour cela se confondre avec elle. Il ne se contente pas de la signaler, il la rend présente, même si elle le dépasse. Il « vise un sens, écrit Ricœur, qui n’est pas donné autrement que par lui ». Il nous donne accès à des réalités qui autrement nous échapperaient. On a un exemple avec l’art. Ce que font percevoir ou ressentir un tableau de Matisse ou un prélude de Debussy ne peut pas être communiqué autrement que par des dessins, des couleurs et des sons, même si ce quelque chose ne se réduit évidemment pas à de traits de pinceaux ou à des notes d’instruments.

Le christ symbole de Dieu

J’en reviens au christ. J’ai, d’abord, rappelé, dans ma première partie, que le mot de « christ » désigne ce ou celui à travers lequel Dieu se manifeste ou agit. Je viens de dire que le symbole rend présent et opérant quelque chose qui le dépasse. D’où le rapprochement qu’opère mon titre entre « christ » et « symbole de Dieu ». Ces deux termes se rejoignent ; ils s’appliquent à tout objet, événement ou personne qui a un caractère ou une fonction théophore. Par « théophore » un mot rare, qui semble avoir été forgé pas Eschyle, j’entends, selon l’étymologie, ce ou celui qui porte Dieu sans se confondre avec lui.

Cette tension entre une présence et une différence qui définit le symbole correspond bien à ce que Jésus dit de sa relation avec son Père et elle aide à comprendre des affirmations à première vue contradictoires. Jésus souligne souvent son unité avec Dieu (« le Père est en moi » ou il est « avec moi » dit-il en Jn 10, 38 ; 14, 18, 32) ; et pourtant, il déclare que le Père est plus grand que lui (Jn 14, 28), il le prie, il en parle comme d’un être distinct, qui l’a envoyé et lui a donné une mission, mettant ainsi l’accent sur l’altérité et la supériorité de Dieu. Autrement dit, Jésus est le porteur d’une présence qui le dépasse, ce que j’exprime en disant qu’il est théophore, qu’il est symbole de Dieu, qu’il est christ.

J’ai parlé à plusieurs reprises de « présence » et je voudrais préciser cette notion. Elle a donné lieu à de grands débats entre catholiques et protestants à cause ou autour du sacrement. Dans ces débats, on peut discerner deux tendances ou deux positions. La première, majoritaire dans le catholicisme de l’époque classique, mais qu’on trouve aussi en protestantisme, comprend la présence de manière locale, matérielle ou objective. Pour elle, la présence, c’est le fait d’être là, c’est la « résidence » en un endroit. Une momie déposée dans une pyramide et jamais découverte y est présente même si personne ne le sait. La deuxième tendance, plutôt existentielle, se rencontre plutôt chez des protestants, mais pas chez tous, et chez quelques catholiques. Elle voit dans la présence une activité, un dynamisme. Au 17ème siècle, le pasteur Pierre du Moulin écrit : « les choses sont présentes selon qu'elles se font sentir à nos sens et à nos âmes ». Si je dors pendant une conférence ou si je pense à autre chose, je n’y suis pas vraiment présent, bien que je sois là ; je dirai, d’ailleurs, en sortant, « j’ai eu des absences ». De même, Dieu est présent quelque part, non pas parce qu’il y habiterait ou y demeurerait, mais parce qu’il y agit. Ce qu’au 16ème siècle, on explique en se servant d’une comparaison avec le soleil ; spatialement, il est ailleurs, très loin de nous ; il est cependant présent parce qu’il nous éclaire et nous chauffe. Je cite un texte de 1566 : « Le soleil estant au Ciel absent, nous est néanmoins présent par sa vertu » [« vertu » signifie force, action]. On pourrait illustrer la première tendance en mentionnant le Père Charles de Foucault qui estimait qu’une hostie consacrée cachée dans son gourbi rendait Dieu présent dans le Sahara, même si personne, lui excepté, n’en avait connaissance, même si elle n’avait apparemment aucun effet. Pour la seconde tendance, Dieu est présent quand il agit, même s’il n’est pas physiquement, matériellement, corporellement là. Ainsi, le théologien méthodiste américain John Cobb plutôt que de la présence de Dieu dans le christ, préfère parler du christ comme d’un acte divin de transformation créatrice. Quand je parle de symbole, il ne s’agit pas seulement ni même principalement d’une image, d’une représentation, mais aussi et surtout d’une action, d’une intervention de Dieu

3. La symbolisation de Dieu

J’en arrive à la troisième et dernière partie de cet exposé qui examinera successivement deux questions. D’abord, qu’est ce qui peut symboliser Dieu, autrement dit être christ ou christique ? Ensuite, qu’est ce qui le symbolise le mieux, autrement dit qu’est-ce qui est le christ par excellence ?

Qu’est-ce qui peut symboliser Dieu ?

Le symbole, nous l'avons vu, implique à la fois une différence (il renvoie à autre chose qu'à lui-même) et une présence (cet autre chose agit en lui). Or, ces deux termes, différence et présence caractérisent la relation de Dieu avec le monde. Sous une forme mythologique, le récit biblique de la création dans Genèse affirme qu’il y a dans le monde une présence ou une action de Dieu qui le fait surgir, l’organise, le soutient, le dirige. Il affirme en même temps, que Dieu ne se confond pas avec le monde ; il s'en distingue, il est autre. Dieu est à la fois l'incarné (et donc présent) et le transcendant (et donc distant). Or, le symbole incarne quelque chose qui le transcende. En raison de sa structure même, à cause du type de relation qui existe entre le Créateur et la créature, le monde a la capacité de symboliser Dieu

Il en résulte que tout ce qui existe, n'importe quel objet, n'importe quelle personne, n'importe quel événement peut en principe devenir symbole de Dieu ou christique. Aucun des symboles qu'on rencontre dans les multiples religions de l'humanité n'est, à proprement parler, faux. Dieu peut se révéler et être symbolisé aussi bien par un bout de bois que par un animal, aussi bien par une fleur que par le tonnerre, tout autant par un esclave que par un roi ; il peut l’être par un phénomène naturel comme le vent ou une éruption volcanique et aussi par un événement historique comme la sortie d’Égypte. « Les cieux, dit le psaume 19, racontent la gloire de Dieu. L'étendue manifeste l'œuvre de ses mains. Le jour en instruit un autre jour, la nuit en donne connaissance à une autre nuit ». Le monde entier, ciel et terre, espace et temps, chante Dieu, parle de Dieu, en donne une expression plus ou moins fidèle, plus ou moins déformée. Toute créature renvoie au créateur, le rend présent dans une certaine mesure et a donc un caractère ou une dimension christique.

Si en principe, en théorie, tout peut être symbole de Dieu, en fait, en pratique, tout ne l'est pas. Il y a quantité de choses qui ne nous parlent pas, qui loin de nous dire quelque chose de Dieu, nous le dissimulent ou en donnent une image monstrueusement déformée. Ce n'est pas de leur faute, mais de la nôtre. Parce que nous sommes coupés, séparés de Dieu, à cause de ce que la Bible nomme péché, nous ne savons pas déchiffrer le monde, nous n’arrivons pas à le lire ni à l’entendre. Il existe en nous une surdité qui nous empêche de percevoir qu’il est un chant ou un poème de Dieu, un aveuglement qui nous cache ce qu'il dépeint ou figure. Pourtant ce chant, cette vision nous atteignent parfois, à certains endroits. Dans un univers où tout est potentiellement signifiant, quelques significations seulement parviennent jusqu'à nous. Certains symboles nous touchent ; ailleurs le monde demeure vide, muet pour nos oreilles, opaque à nos yeux. Cela dépend de ce que nous sommes, de notre sensibilité, de la culture à laquelle nous appartenons, des événements que nous vivons. Selon les personnalités, selon les siècles, selon les situations, les symboles varient. Ainsi s'expliquent d'une part la diversité des religions (elles représentent des symbolismes différents), d'autre part leurs évolutions, car les symboles naissent, vivent et meurent au fur et à mesure que notre regard, notre perception et notre compréhension du réel se modifient.

Qu’est-ce qui symbolise le mieux Dieu ?

Puisque tout peut symboliser Dieu, puisque nous percevons sa présence ici et non ailleurs en fonction de notre culture et de notre situation, ne doit-on pas en conclure que tous les symboles se valent, sont à mettre sur le même plan, autrement dit qu’il y a une multitude de christs équivalents, même si un seul nous rencontre et nous atteint ? Je ne le pense pas. Il y a un tri à faire entre les symboles, une hiérarchie à établir selon trois règles, que j’énonce en suivant une analyse de Paul Tillich.

1. Premièrement, un symbole est bon quand il est adapté à ce que nous sommes, autrement dit quand il nous parle, nous fait vibrer, éveille quelque chose en nous. Aujourd'hui les Églises maintiennent souvent des symboles vieillis, usés qui ont perdu leur pouvoir d'invocation. Ils ne sont pas faux ni mauvais en eux-mêmes, mais ils ne fonctionnent plus. La difficulté vient de ce qu'on ne peut pas créer artificiellement des nouveaux symboles. Ils s'imposent de manière imprévisible. Dans un effort louable de rajeunissement, on a souvent remplacé dans les Églises le désuet par l'artificiel qui ne marche pas mieux. Durant certaines périodes de l'histoire, les croyants connaissent une sorte de disette symbolique, une sécheresse, une traversée du désert, avant de tomber sur une oasis, avant que naisse un nouveau langage. Il faut l'accepter et espérer.

2. En deuxième lieu, un symbole est bon quand il exprime sans trop la trahir la valeur qu’il porte, lorsqu’il traduit sans déformation excessive le sens qu'il véhicule, s’il dévoile plus qu’il n’occulte. Un être vivant est un meilleur symbole de Dieu qu’un objet inanimé, parce qu’il favorise une religion active, éthique et non un rituel ou une spiritualité centrés sur la maintien du statu quo. Un symbole comme celui de la colère de Dieu rappelle à juste titre qu'il y a des choses que Dieu réprouve et déteste. Mais cette vérité, il l'exprime de manière maladroite et dangereuse, en suscitant de la terreur au lieu d'inciter à l’amour. L’expiation substitutive, le rachat par le sang versé sont des symboles qui ont bien fonctionné à une certaine époque mais qui ont perdu aujourd’hui leur puissance de symbolisation parce que trop en décalage avec notre mentalité et notre culture.

3. J'en arrive au troisième critère. Tout symbole, le mieux adapté à notre culture comme le moins recevable aujourd’hui, le meilleur aussi bien que le pire exprime plus ou moins bien ce qu’il vise. Il n’est jamais complètement aberrant, mais jamais non plus parfait ou entièrement satisfaisant. Il y a toujours en lui une part d'approximation, d'inadéquation. Il porte, il rend présent quelque chose qui le dépasse. Aucun langage ne parle de Dieu littéralement, aucune réalité ne le représente fidèlement, aucun dogme ne le définit exactement. Le symbole est à la fois juste et erroné, il traduit et en même temps trahit, il reflète et déforme tout ensemble. Il dit quelque chose de Dieu, qu'il est rocher, berger, roi ou lumière par exemple. Il faut accepter comme vrai ce qu'il dit, et également le refuser, car Dieu est tout autre chose qu'un rocher, qu'un berger, qu'un roi ou que de la lumière. Pris au premier degré, ces termes ne conviennent pas et nous égarent.

Aussi, les symboles, s'ils répondent à une nécessité, exposent-ils à un redoutable péril. On risque toujours de les identifier avec la réalité qu'ils invoquent, qu’ils rendent présente, mais ne possèdent ni ne contiennent, avec laquelle ils ne se confondent pas. Et alors, au lieu d'être transparents, de renvoyer à autre chose qu'à eux-mêmes, ils deviennent opaques. Ils arrêtent le regard, ils confisquent l'adoration, ils prennent la place du divin auquel ils devraient renvoyer. Ils se transforment en idole. Selon une ancienne légende, l'ange (le messager de Dieu, le symbole), quand il déchoit, se change en démon. De même, un symbole devient démoniaque quand il ne se détache pas de lui-même et s'identifie avec l'ultime.

Le meilleur des symboles sera celui qui rend impossible cette confusion, celui qui porte en lui son propre effacement, sa propre négation. Ce symbole existe : c’est la croix, ou, plus exactement le crucifié. A Golgotha, Jésus sacrifie l'homme historique, l'individu de chair et de sang qu'il a été. Il le sacrifie au sens, à la présence et à la puissance dont il est le porteur. Dans les évangiles, quand on donne à Jésus le titre de Christ, immédiatement il annonce sa mort. Pour être vraiment le Christ, le messie, et non pas une idole, un imposteur ou un usurpateur, pour accomplir et ne pas masquer le dessein de Dieu, il accepte de disparaître, de s’effacer. Il montre ainsi que la vérité dernière de sa vie et de la nôtre ne se trouve pas dans sa personne concrète, historique, humaine, mais dans celui qu'il représente et qu'il appelle son Père. Jésus refuse qu’on l’appelle « bon », parce que « un seul est bon, c’est Dieu » (Mc, 10, 18). Il meurt sur la croix afin de n'être pas pris pour Dieu, mais de conduire à Dieu. Il détruit sa propre opacité pour n'être plus que transparence; il s'anéantit lui-même ou consent à son anéantissement afin de manifester Dieu. À cause de cela, il est le symbole par excellence de Dieu, celui qui le représente le mieux et à travers lequel nous découvrons Dieu de manière peut-être égalable, en tout cas insurpassable. Comme l’écrit Paul (Phil 2), « il n'a pas considéré comme une proie à arracher d'être égal à Dieu, mais il s'est dépouillé ... il s'est humilié en devenant obéissant jusqu'à la mort, la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom au dessus de tout nom ». Aussi, Jésus, le crucifié, est-il le symbole au dessus de tout symbole, celui qui sert de critère à tous les autres, parce qu'il porte en lui sa propre négation. Il n’est pas seulement un événement ou un personnage christique comme il y en a tant d’autres, il est le christ par excellence. Il fournit la norme qui juge toutes les symbolisations de Dieu, autrement dit toutes les religions y compris et d’abord celles qui se réclament de lui.

Conclusion

Quand Jean Richard m’a parlé de ce cours, il m’a suggéré de traiter de la divinité du Christ, thème que je n’aborde qu’indirectement dans mon livre. J’ai répondu à cette suggestion par la réflexion que je viens de vous soumettre sur « le christ comme symbole de Dieu ». Le Christ est-il Dieu ? Je pense, je crois pour ma part que la réponse est à la fois « oui » et « non ». Oui, parce que Dieu se rend présent et agit en lui. Non parce que le Christ renvoie à une puissance qui le dépasse, même s’il la porte en lui. Je plaide pour qu’aujourd’hui, on mette l’accent sur ce dont Jésus est porteur plus que sur sa personne. Le christianisme de l’époque classique pour donner du poids à son message a développé une ontologie, une analyse de l’être de Jésus (par exemple avec la doctrine de la double nature). Il me semble que c’est plutôt le message et le témoignage de Jésus qui donnent du poids à sa personne, et que si la première démarche avait du sens dans son contexte, la seconde convient mieux au notre et qu’elle est en soi plus juste.

André Gounelle

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot