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La perle de grand prix, le trésor caché
Matthieu, ch.13, v.44 à 46 et 52

 

Quand ils s’expriment à la radio ou à la télévision, les politiciens utilisent souvent ce qu’on appelle des “petites phrases”, des formules brèves, percutantes, parfois pittoresques, destinées à frapper les esprits et à s’inscrire dans les mémoires. Les maximes, sentences, proverbes et adages que cultivaient nos pères prouvent abondamment que cette technique des “petites phrases” ne date pas d’aujourd’hui. On la rencontre dans l’Antiquité, chez les stoïciens par exemple, et aussi chez certains rabbins. Jésus n’hésite pas à l’utiliser. À la question : “qu’est le Royaume des Cieux ? Que signifie, que désigne cette expression étrange ?”, un théologien consciencieux ne pourra répondre autrement qu’en écrivant un gros livre d’au moins six cents pages, bourré de notes érudites, plein de mots hébreux, grecs et latins, qu’il faudra lire lentement, avec beaucoup d’attention pour le bien comprendre. Jésus, lui, n’a besoin que de quarante secondes, le temps de raconter une anecdote. Il est vrai qu’il en raconte plusieurs, puisque le chapitre treize de l’Evangile selon Matthieu en contient à lui seul sept, mais les dire toutes ne demande guère que trois à quatre minutes. Parmi ces paraboles, pour reprendre le terme consacré, celles de la perler de grand prix et du trésor caché les plus brèves que nous connaissions : un ou deux versets chacune, trois lignes dans nos éditions du Nouveau Testament. Impossible de faire plus court, de quoi satisfaire ces gens toujours pressés que sont les producteurs d'émission.

Brèves, mais riches de sens. J’y discerne et découvre trois messages. Le premier m’invite à l’espérance contre le découragement et la lassitude qui risquent de m’envahir. Le second m’appelle à l’effort contre la facilité et la paresse qui me guettent. Le troisième m’éveille à la joie en dissipant les tristesses, les amertumes et les désenchantements qui me menacent.

L’espérance

En général, les histoires de trésor caché relèvent de la littérature dite “d’évasion”, parce qu’elle nous détourne de ce que vivons habituellement. Elles racontent des expéditions aventureuses qui vont chercher très loin, au delà des mers, sous d’autres cieux, des richesses fabuleuses. Elles nous font prendre conscience, par contraste de la pauvreté, de l’ennui de nos existences. Dans nos paraboles, rien de tel. Le paysan trouve le trésor en cultivant sa terre, comme il le faisait chaque jour. Le marchand découvre la perle de grand prix en se livrant à son négoce habituel. La fortune arrive tandis qu’ils vaquent à leurs occupations quotidiennes.

À chacun de nous, ces paraboles disent avec beaucoup de force : dans ton monde, dans ta vie, dans ton champ ou dans ton négoce, là où tu habites et où tu travailles se trouvent des trésors enfouis et des perles de grand prix. Non pas ailleurs, autre part, au loin, mais ici même. Garde donc courage quoi qu’il arrive. Ne te laisse en aucun cas submerger par la résignation et l’abattement. Ne crois pas que l’existence n’ait rien d’autre à t’apporter que de l’ennui, de la misère et des détresses. Il y a toujours quelque chose de merveilleux en elle, même quand elle paraît lourde, pénible, difficile, même quand elle est souffrante. Ne pense pas que tu sois condamné à la routine, à la banalité, à l’éternelle répétition des mêmes gestes et des mêmes situations. N’imagine pas que tu te heurteras sans cesse aux mêmes problèmes, toujours aussi insolubles, et que tu buteras sur les mêmes obstacles sans jamais arriver à les franchir. Au sein de l’ordinaire, se cache de l’extraordinaire qui peut jaillir à chaque moment.

Ne te figure pas, non plus, que tu as fait le tour de ceux que tu rencontres et fréquentes, de ton conjoint, de tes enfants, de tes voisins, de tes collègues ou de tes collaborateurs, et que tu n’as plus rien à découvrir en eux, qu’ils sont et resteront conformes à l’image que tu t’en fais. Ils portent en eux, tu portes en toi de l’inattendu, un trésor caché, qui permet de renouveler les relations d’ouvrir des horizons jusque là inaperçus.

L’espérance affronte toujours deux adversaires : d’abord, l’habitude qui nous fait oublier le prix des objets et qui nous masque la valeur des gens qui nous sont familiers; ensuite, la lassitude qui nous fait juger qu’il n’y a rien à faire, que tout restera pareil jusqu’à la fin. L’habitude et la lassitude ont tort. La vérité, la réalité, c’est qu’existent tout près de nous, à notre portée, des trésors cachés et des perles de grand prix. La foi évangélique fait naître et vivre en nous cette conviction. Le chrétien sait qu’il y a partout et toujours beaucoup à espérer. Il ne désespère de rien ni de personne. Il s’attend constamment à être surpris en bien (les suisses disent : être déçus en bien quand les choses sont meilleures que ce à quoi ils s’attendaient). Il ne s’agit pas pour lui de rêver d’un autre monde mais de voir et de vivre différemment le monde où il se trouve. Dans notre champ, il y a un trésor.

L’effort

Après cette invitation à l’espérance, je lis dans ces deux anecdotes évangéliques un second message qui appelle à l’effort. Les utopistes qui ne tiennent pas compte de la réalité, les marchands de rêve qui cherchent le plus souvent à tromper nous promettent volontiers des fortunes qui tomberaient sur nous du ciel sans que nous n’ayons rien à faire, qui nous combleraient en nous demandant très peu de choses en retour. Vous avez tous lu ces publicités qui prétendent que nous pouvons apprendre l’orthographe, le dessin, l’allemand ou l’anglais sans peine. Le loto français avait adopté comme slogan il y a un quart de siècle : “c’est facile, ce n’est pas cher, cela peut rapporter gros”. Nous avons entendu pendant notre enfance ces histoires de fées où un coup de baguette magique arrange tout, et ces récits des mille et une nuits où un génie met ses pouvoirs surnaturels au service du héros. Ces contes n’expriment pas de l’espérance. Au contraire, ils témoignent de cette résignation qui n’attend plus rien de la vie quotidienne et qui se réfugie dans l’illusion. Car nous savons bien que tout cela n’est pas vrai. Pourtant, nous nous laissons appâter et séduire par la perspective d’une réussite sans travail, d’un bonheur sans luttes ni difficultés, d’un accomplissement sans effort ni souffrance.

Nos paraboles, quant à elles, parlent d’une fortune qui coûte, qui exige, qui mobilise, qui demande de la peine. Il ne suffit pas d’attendre et de rêver pour l’obtenir. il faut agir, persévérer, s’acharner, ne pas regarder à la dépense, et ne pas mesurer sa fatigue. Le paysan la trouve en cultivant sa terre et le commerçant dans son négoce, non pas en dormant, en se reposant, en se détournant de leurs occupations quotidiennes, non pas en fuyant les tâches professionnelles et les tracas familiaux. L’un et l’autre ont dû réaliser leurs biens, vendre ce qu’ils possédaient afin d’acquérir ce qu’ils avaient découvert. Ces richesses leur ont coûté très cher : tous leurs biens, ils n’ont rien gardé.

Dans notre monde, dans notre vie, il y a des trésors cachés, enfouis, inaperçus. Pour les déterrer, les amener au jour, les tenir entre nos mains, il faut s’engager à fond, sans réserve, avec toutes ses forces et ses possibilités. Chez les autres, chez ceux qui nous côtoient tous les jours, même quand ils nous ont déçus ou blessés, en chacun d’eux sans exception, se trouve une perle de rand prix. Nous ne la discernerons, elle ne deviendra nôtre que si, de notre côté, nous acceptons de nous livrer à eux, de nous dépouiller pour eux, si nous ne cherchons pas à nous enrichir sans rien dépenser. La véritable espérance, celle qui s’enracine dans l’Evangile, ne consiste pas à désirer la fin en refusant d’en prendre les moyens, à croire que l’on peut recevoir beaucoup en donnant le moins possible. “Celui qui aura perdu sa vie la perdra, nous dit Jésus, celui qui l’aura perdu à cause de moi la retrouvera (Mt.10/39).

Une bonne nouvelle

Plus encore qu’une invitation à l’espérance et qu’un appel à l’effort, j’entends dans ces deux anecdotes un évangile, au sens propre du mot, c’est à dire une bonne nouvelle qui m’est adressée, qui m’emplit de joie, qui transforme et illumine mon existence. Dans la plupart des paraboles que raconte Jésus, le héros, l’acteur, le sujet principal, c’est Dieu. Nous aurions tort d’y chercher seulement ou principalement une sagesse humaine, un art de conduire sa vie, un enseignement sur ce que nous devons être et faire.

Jusqu’ici, dans les deux points précédents, j’ai constamment assimilé, identifié ce paysan et ce marchand avec les croyants, avec les hommes et les femmes que nous sommes. J’ai cherché dans leur aventure, dans leur comportement des modèles que nous pourrions imiter, des exemples que nous aurions à suivre, des attitudes que nous pourrions adopter, des leçons qui s’appliqueraient aux situations qui sont les nôtres. Ce faisant, je ne crois pas avoir déformé le sens ou travesti le message de ce texte. Je ne pense pas avoir eu tort, et je ne renie rien de ce que j’ai dit. Je me rends pourtant compte combien c’est insuffisant, incomplet; si je m’arrêtais là, je laisserais de côté l’essentiel.

Ces deux anecdotes visent surtout à nous parler de Dieu et de son action. Elles commencent ainsi : “Le Royaume de Dieu est semblable ...”. Elles ne cherchent pas principalement à montrer à quoi ressemble la vie chrétienne, mais à fournir une image, une comparaison, une similitude, comme on disait autrefois, qui nous fasse entrevoir, deviner, pressentir ce qu’est le Royaume. Elles nous disent, elles me disent d’abord, avant et par dessus toutes choses : “regarde ce paysan et ce marchand; ils se dépensent sans compter, de manière que l’on pourrait juger déraisonnable pour le trésor qu’ils ont trouvé et ils en ont un immense joie. Dieu est comme cela. Ils sont l’image, la figure de Dieu; ils le représentent. Et toi, eh bien, tu es cette perle de grand prix qui a tellement d’importance et de valeur à ses yeux, pour laquelle il n’économise ni ses efforts, ni sa peine, ni son temps, ni sa souffrance”.

Ainsi comprises, nos deux petites anecdotes récapitulent, résument, condensent en quelques lignes le message qui court de la première à la dernière ligne de la Bible, à savoir que nous sommes l’objet d‘un immense amour, que rien ne décourage, ne rebute ni n’arrête, qui va jusqu’au bout, jusqu’à la croix. Nous ne sommes pas abandonnés, oubliés, perdus, mais désirés, recherchés, et déjà trouvés. Nous ne sommes pas de la boue ni de la pacotille. Notre existence n’est pas condamnée à l’artifice des verreries sans valeur, ni à la lourdeur et à la crasse de la bourbe, parce qu’il y a en nous un trésor, cet amour de Dieu qui voit en nous, qui fait de nous des êtres infiniment précieux.

André Gounelle

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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