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Débuts des évangiles
Commencement de l’Évangile

Le mot "évangile", dans notre vocabulaire, a plusieurs sens qui se recoupent : ce terme désigne, d'abord, des livres qui ont un certain genre littéraire, celui de la narration, distinct du genre des épîtres ou de l'apocalypse. Évangile signifie, ensuite, bonne nouvelle, c'est à dire le message que nous transmettent ces livres; il ne s'agit plus du contenant, mais du contenu. Enfin, nous appelons "évangile" cette action que Dieu opère en nous et dans notre monde par Jésus Christ, cette puissance de salut qu'il met en œuvre.

Je vais maintenant privilégier le premier sens (mais je retrouverai vite les autres) et m'arrêter sur les premières lignes ou les premières pages des écrits de Matthieu, Marc, Luc et Jean en me demandant : où chacun d'entre eux a-t-il placé la genèse, le démarrage de l'histoire évangélique ? Par quoi a-t-il estimé devoir entamer son récit ? Comment se présente le noël, la naissance de son récit ?

Matthieu ch.1, v.1-18.

Matthieu inaugure son livre par une grande généalogie qui part d'Abraham pour aboutir à Joseph. Il dresse la liste, qu'il voudrait complète, des ancêtres de Jésus. Immédiatement après, il enchaîne avec l'histoire de Joseph et de Marie. Sur cette genèse sous forme de généalogie, je fais deux remarques.

1. D'abord, elle indique que pour Matthieu l'évangile a commencé bien avant Jésus, en ce sens qu'il a été préparé de longue date à travers toutes les générations qui se sont succédées en Israël jusqu'à celle des parents directs de Jésus. Tout a débuté lorsque Dieu a appelé Abraham et a décidé de faire alliance avec lui. Noël a donc duré très longtemps, s'est étalé sur des siècles, dans une gestation ou une grossesse qui arrive à son terme après des siècles d'attentes.

2. Dans cette généalogie, je relève deux Jacob, le premier fils d'Isaac, le second grand-père de Jésus. Ces deux Jacobs, que de nombreuses générations séparent, ont en commun d'être l'un et l'autre père d'un Joseph. Matthieu suggère une ressemblance entre ces deux Joseph : tous deux ont des songes, tous deux partent se réfugier en Egypte. Dans l'Ancien Testament, on passe directement de Joseph à Moïse, et dans Matthieu se profile le thème de Jésus nouveau Moïse, avec le massacre des innocents dont réchappent chaque fois l’enfant élu, avec le sermon sur la Montagne qui rappelle le Sinaï, etc.

Ces deux remarques vont dans le même sens : la naissance de l'évangile, pour Matthieu, c'est l'Ancien Testament, c'est toute l'histoire du peuple d'Israël. L'évangile à la fois répète et apporte du nouveau; il reprend et transforme.

Marc, 1, v. 1, 4, 9, 14-17

Sur Marc, je fais trois remarques.

1. En tête de cet écrit, nous trouvons "commencement de l'évangile", qui est le thème de notre réflexion. Ce commencement évoque à la fois le bereschit de la Genèse et le en arché de Jean. D’un point de vue littéraire, on s'accorde à voir en Marc l'évangile le plus ancien ; ce "commencement" marque non seulement le début de son écrit, mais aussi celui du genre d’écrits ou de livres qu’on appelle "évangiles".

2. Marc met au départ la prédication, celle de Jean Baptiste d'abord, celle de Jésus ensuite. Jean baptise et prêche; après l’arrestation de Jean, Jésus prêche mais ne baptise pas; j'y verrais volontiers une pointe anti-ritualiste chez celui qui me paraît le plus protestant des évangélistes avec la primauté de la prédication, les pointes contre la hiérarchie ecclésiastique (il malmène Pierre et les disciples chaque fois qu'il le peut) et contre la tradition (il a recours à la parole de Jésus contre les habitudes en train de s'instaurer dans les églises, un procédé qui n'est pas sans analogie avec celui de la Réforme).

3. Marc rappelle, à propos de Jean, les prophéties de l'Ancien Testament, mais ne fait pas la moindre allusion aux ancêtres ou aux parents de Jean ni de Jésus. Il ne s'intéresse pas non plus aux circonstances de leur naissance. Toute son attention se concentre sur leurs paroles, sur leur message. L'évangile surgit quand ils se mettent à prêcher.

Le Noël de Marc consiste donc en la naissance d'une parole nouvelle, venant de Dieu, qui se fait entendre dans le monde, et qui appelle les êtres humains à une conversion et les mobilise pour l'œuvre de Dieu.

Luc, ch.1, v.1 à 5

Je fais ici quatre remarques.

1. Luc débute par une préface qui explique comment il a rassemblé la documentation utilisée dans son écrit. Il a fait une enquête qu'il a voulu aussi complète que possible. Il a interrogé ceux qui "dès le commencement" ont été témoins, il a cherché à connaître exactement tous les faits "depuis les origines".

2. Après cette introduction sur la genèse de son écrit, Luc raconte les circonstances de la naissance de Jean Baptiste et de Jésus. Pour lui "tout" commence au temps du roi Hérode, avec Zacharie et Elisabeth, puis avec Marie (il nomme tout juste Joseph qui visiblement ne compte guère pour lui). Luc établit donc une coïncidence, une identification entre le berceau de l'évangile et le berceau de ces bébés.

3. Ces naissances sont plutôt discrètes, même si elles ne passent pas totalement inaperçues ; avec le mutisme public de Zacharie et l'annonce peu bavarde aux bergers, elles ne touchent qu'un nombre restreint de gens. Le commencement n'est donc pas comme chez Marc un acte public, une prédication retentissante qui réunit des foules. Il n'est pas non plus lié, comme chez Matthieu, à une longue histoire, au destin de tout un peuple. Il s'agit plutôt d'un événement privé, intime qui concerne un cercle limité de personnes. Seul un petit groupe de privilégiés savent que se passe quelque chose de décisif, qu'une nouveauté inouïe fait son apparition, qu'une aube, encore pâle, vient présager un jour éclatant.

4. L'aube est un moment qui prête au lyrisme, et toute une série de poèmes et d'hymnes viennent entrecouper le récit de Luc : cantiques de Marie, de Zacharie des anges, et enfin de Siméon qui chantent le début du monde nouveau que met en route Noël.

Jean, ch.1, v.1 à 4, 9 à 12a.

Je fais trois remarques.

1. Jean ne dit pas un mot de la naissance de Jésus et presque rien de sa famille. Comme Marc, il ne situe pas l'origine, le début de l'évangile dans l'histoire des parents de Jésus ou dans celle de ses ancêtres, mais dans cette Parole qui se trouve « au commencement », comme l'affirme d'emblée le Prologue.

2. Jean se distingue de Marc en ce qu'il ne fait pas de cette parole une prédication qui a surgi un jour en Palestine, à un certain moment de l'histoire et en un certain lieu de la géographie humaines. Elle a toujours et partout existé. Elle est principe de toutes choses (arché veut dire aussi bien principe que commencement). Elle s'enracine en Dieu, elle fait partie de l'être même de Dieu. On ne doit pas chercher l'origine, le point de départ dans le temps ou dans l'histoire. Il se situe au delà dans l'Eternité de Dieu.

3. Pour Jean, sans cesse la parole divine vient au monde, s'adresse à lui, même s'il ne sait pas ou ne veut la reconnaître et la recevoir. Ce n'est donc pas la parole qui doit naître parmi les humains; depuis toujours, elle se trouve avec eux. Ce sont les humains qui ont besoin de naître à la parole. Dieu n'a pas à entrer, à pénétrer dans le monde des humains; il n'en a jamais été absent. Mais nous avons nous à entrer dans le monde de Dieu, à ouvrir les yeux, comme des bébés, et à apprendre à voir sa lumière.

Noël n'est pas ici la naissance de Jésus, mais la nouvelle naissance de l'être humain, que Jean mentionnera dès le chapitre trois. Noël se produit chaque fois que quelqu'un est touché par l'évangile et se convertit à la lumière et à la parole de Dieu.

*   *   *

Conclusions

Quelles conclusions tirer de cette lecture des quatre débuts d'évangile ? Pour ma part, j'en dégage deux.

1. Premièrement, je ne songe nullement à mettre en opposition ou en contradiction les quatre évangiles, à les dresser les uns contre les autres dans un débat contradictoire où ils soutiendraient des positions antagonistes et inconciliables entre lesquels il nous faudrait choisir. Leur contraste fait apparaître les diverses facettes d'un thème commun que je formulerais ainsi : l'évangile fait apparaître un monde nouveau. Il est vrai, comme l'a vu Marc, que tout commence avec la prédication de Jésus qui annonce la venue du Royaume et qui appelle à la conversion. Néanmoins, Luc a raison d'insister sur la personne du prédicateur ; la force de sa parole vient de ce qu'il est ; de la parole il faut remonter à la personne qui la prononce et qui lui confère son poids, sa valeur. De son côté, Matthieu fait bien de rappeler que Jésus n'est pas tombé du ciel comme un extra-terrestre surprenant, mais que toute une histoire le précède et rend possible sa venue et sa prédication. Quant à Jean il souligne très justement que l'origine première de l'évangile, comme de toutes choses se trouve en Dieu et que Noël a lieu chaque fois que le Christ naît dans une vie humaine. Je comparerasi volontiers les évangélistes aux musiciens d'un quatuor; le jeu de chaque instrument, leurs contrepoints, leur contrastes ne détruisent pas l'harmonie, mais, au contraire, l'enrichissent, l'approfondissent, la renforcent.

2. Nous venons de le voir, la naissance de la prédication renvoie à la naissance du prédicateur. À son tour, la naissance du prédicateur, de Jésus, renvoie à Abraham, c'est-à-dire à la naissance du peuple d'Israël. De là, il faut remonter jusqu'au principe, jusqu'à Dieu qui donne naissance à toutes les réalités de ce monde, qui se trouve à l'origine de ce qui existe et arrive. De plus, toutes ces naissances se prolongent, se poursuivent dans la nouvelle naissance du monde nouveau, du Royaume. Nous avons donc une suite, une chaîne de Noëls, non pas une genèse unique, mais une généalogie qui additionne de multiples enfantements, qui témoigne d'une inépuisable fécondité. Aussi loin que nous pouvons remonter, Dieu n’a pas cessé et jamais il ne cessera de provoquer des noëls, et des pâques, de faire naître de l'inédit et de l'inouï à partir des paroles et visions d'autrefois, de susciter de la nouveauté en ressuscitant l'ancien. L'évangile est un dynamisme créateur qui ne renie pas les héritages, qui ne refuse pas les traditions, qui n'efface pas les archives, mais qui les renouvelle, les actualise, qui s'en sert pour nous pousser vers l'avant, pour nous tourner vers ce Royaume qui est déjà né et qui pourtant est toujours à naître.

Noël, ce n'est pas seulement notre passé, c'est aussi et surtout notre présent et notre avenir. Jamais, nous n'aurons fini de naître à la nouveauté de Dieu et jamais Dieu ne s'arrête de nous apporter du nouveau, de nous renouveler, de faire naître et de ressusciter son Christ dans nos cœurs et dans notre monde. Ce qui fait que si parmi les musiciens du quatuor il fallait choisir, je crois que je pencherais pour Jean : Noël, comme d'ailleurs Pâques, a lieu quand la parole, c'est à dire le christ lui-même, naît en nous, chaque fois qu'il entre dans notre vie pour la renouveler. Là se trouve, me semble-t-il, l'alpha et l'oméga, le début et la fin de l'évangile, un début qui recommence sans cesse, une fin qui arrive et arrivera toujours comme un nouveau commencement. Le commencement de l'évangile constitue donc à la fois un passé, un présent et un programme, une confiance, une activité et une espérance.

 

André Gounelle

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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